Sommet de l'élevage : qui est Jacques Chazalet, petit paysan devenu grand ?

En Auvergne, l'agriculture est l'affaire d'un homme : Jacques Chazalet. Fin politicien, aussi discret que puissant, Jacques Chazalet, moutonnier du Puy-de-Dôme, porte les couleurs de son territoire au plan national avec le Sommet de l'élevage qu'il préside. Et défend une profession auprès des instances européennes grâce à ses différentes casquettes qu'il porte. Un engagement boulimique reconnu qui lui vaut néanmoins quelques inimitiés en particulier lorsqu'il soutient une agriculture parfois critiquée tant pour ses méthodes que pour sa qualité.

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En grande conversation avec le commissaire du Sommet de l'élevage, Fabrice Berthon, Jacques Chazalet préférerait que l'entretien se déroule à trois. Finalement, Fabrice Berthon le convainc de faire l'interview seul, et de s'installer dans son bureau de président. Le mobilier, les photographies de bovins ou de chefs d'État en visite au Sommet, rien n'a changé. Il s'agit du bureau dans lequel officiait Roger Blanc, le président-fondateur dont il a pris la succession.

Jacques Chazalet, 61 ans, donne l'impression de n'être pas à l'aise avec l'exercice. Pourtant, ce n'est qu'illusion. Il n'est pas un orateur brillant, mais sa maladresse fait partie des atouts qui ont porté sa carrière. « Il est rusé, son ambition n'est pas exprimée mais elle est bien présente », prévient Sébastien Gardette, président (Confédération paysanne) de la chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme. Qui s'inquiéterait d'un éleveur de moutons qui trébuche parfois sur la construction d'une phrase ?

« C'est un homme d'une grande simplicité, il conserve des rapports et une façon de faire très accessible, abordable, dit de lui André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme. Il recherche le résultat plutôt que l'image. Il est convivial, ne se met pas en avant, pas en valeur. Il garde une apparence et une posture modeste. » L'élu est élogieux lorsqu'il évoque sa relation avec son ami de longue date. Il fut d'ailleurs son propriétaire ! « C'était une plaisanterie entre nous, nos épouses sont amies d'enfance, issues du même village. »

Jacques Chazalet, moutonnier de profession au cœur de la montagne thiernoise, faisait ainsi pâturer ses bêtes sur les terrains du beau-père d'André Chassaigne. Tous deux ont joué longtemps avec malice du paradoxe qu'un député communiste ait pour locataire le président de la chambre régionale d'agriculture, qui plus est membre du conseil d'administration de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). « Lors des réunions à la préfecture ou à la Draaf (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, NDLR), le « Dédé » arrivait en criant : « Je veux voir mon fermier ! Où est mon fermier ? » », s'amuse encore l'habile président du Sommet. Néanmoins, à la Confédération paysanne du Puy-de-Dôme, Ludovic Landais dément cette apparente simplicité : « Jacques Chazalet est imbu de lui-même, et imbuvable en réunion. Même avec les ministres, il peut être hautain. »

Dédommagement

Jusque-là à la tête de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) Auvergne, Jacques Chazalet a été élu, début juin, président de la Safer AURA. L'entité auvergnate ayant été dissoute au profit de la structure Auvergne-Rhône-Alpes. « Dès 2015, nous avons préparé la fusion et nous étions d'accord : pas de débat de gouvernance avant les échéances. » À Gilles Flandin, ex-président de la Safer Rhône-Alpes, d'occuper la vice-présidence. « Nous avons renforcé les services départementaux. L'effectif a augmenté de 125 à 150 équivalents plein temps. Le marché du foncier est assez favorable, et les résultats permettent d'embaucher », égraine Jacques Chazalet.

La Safer n'est d'ailleurs pas son seul engagement dans le foncier ou l'immobilier. Il demeure gérant de deux SCI : Agri Salins et Pardieu 1er, lesquelles ont leur siège social à la Cité régionale de l'agriculture auvergnate. Une Safer dont les choix en matière d'installation ont parfois été largement dénoncés, comme sur les méthodes employées.

En 2015, une dizaine d'agriculteurs d'Orcival (Puy-de-Dôme), soutenus par Daniel Condat (vice-président de la chambre d'agriculture 63 (Coordination rurale) et par la Confédération paysanne, ont discuté de l'attribution des 150 hectares d'un ancien domaine de l'Inra à un Gaec qu'ils soupçonnaient d'être favorisé par les administrateurs de la Safer. La pétition pour les soutenir a reçu plus de 1 400 signatures. Malgré l'engagement de plusieurs politiques, la préfecture n'a pas donné suite et la Safer est restée sur ses positions, arguant de procédures validées par les ministères des Finances et de l'Agriculture. La dizaine de paysans n'a pas eu gain de cause.

La position de Jacques Chazalet au sein de cet organisme ressemble pour beaucoup de ses opposants à une sorte de dédommagement. Il faut savoir qu'il s'est installé à sa tête en 2014, après une campagne électorale perdue par l'Union départementale des syndicats d'exploitants agricoles (UDSEA) 63 à la chambre d'agriculture. « Ce ne sont pas la Confédération paysanne ni la Coordination rurale qui ont gagné. Nous avons perdu en faisant deux listes quand eux s'associaient », justifie-t-il. Pour cette campagne, Bruno Chaput, président de l'Établissement départemental de l'élevage (EDE), divise l'UDSEA 63 en présentant une liste dissidente face à Claude Raynaud qui a lui-même remplacé Jacques Chazalet comme tête de liste. Dans ce climat, Sébastien Gardette, candidat de la Confédération paysanne, rafle la mise et devient président de la chambre d'agriculture 63 au nez et à la barbe d'une UDSEA divisée.

Incompréhension et rancœurs

S'il ne s'est pas fait que des amis en défendant l'agriculture de montagne plutôt que celle des céréaliers, Jacques Chazalet y a cependant gagné ses galons et le respect dans son camp et au-delà. « C'est peut- être bien dans son département qu'il aura le plus été victime d'incompréhension et de rancœurs, regrette Véronique Sauzedde, directrice de la FRSEA Massif central. Un homme soucieux de rassembler les gens, qui inspire un profond respect même face à des interlocuteurs dont les intérêts sont divergents. »

Au sein de la FNSEA, Jacques Chazalet a su défendre l'intérêt des zones de montagne, tant pour le département du Puy-de-Dôme qu'au niveau national. « Il est très fort pour pratiquer du lobbying, autant ici qu'à Bruxelles, constate Sébastien Gardette. Il n'est pas forcément technique mais il connaît bien ses dossiers. » Le maintien de l'activité agricole dans les zones défavorisées reste la grande bataille de ses mandats au sein de la fédération.

« Au syndicat, trois grandes régions pèsent sur les orientations : les Céréaliers du Centre-Val-de-Loire et de l'Est de la France, l'Ouest avec l'élevage intensif et le Massif central avec l'élevage à l'herbe, explique Jacques Chazalet. Je voulais faire reconnaître la production herbagère comme une culture. La réforme de 1992 introduit l'abandon du soutien au marché (aux prix), pour passer à des aides directes aux producteurs de céréales. Chez nous, la production de l'herbe n'était pas prise en compte, alors que nos animaux produisent aussi du lait et de la viande. Cela générait une importante différence de revenu au bout du compte. Ce système-là se révélait donc pervers. Nous avons dû trouver des alliés pour le modifier. Jean-Michel Lemétayer (président FNSEA 2001-2010) n'a pas fait blocage. »

Un constat qui dit bien les tensions et les rancœurs qu'a dû affronter le moutonnier de la montagne thiernoise face aux riches céréaliers de son syndicat. « Michel Barnier nous a bien aidé et il a fallu 10 ans de combat pour en voir la fin. » En 2014, François Hollande et Stéphane Le Foll, alors ministre de l'Agriculture, annonceront au Sommet de l'élevage les modifications tant attendues de la PAC. Un succès qui donne à Jacques Chazalet ses galons, mais l'empêchera d'aller plus loin dans le syndicat.

La « guerre du mouton »

Cette ambition syndicale, Jacques Chazalet la développe très tôt. Il est le plus jeune de la bande de jeunes « chefs d'exploitation » qui gravitait autour de Michel Debatisse (formé à la JAC, président de la FNSEA de 1971 à 1979, secrétaire d'État à l'Agriculture de 1979 à 1981). Pierre Pagesse (ancien président de Limagrain, fondateur du think tank Momagri, etc.), Roger Blanc, et de nombreux syndicalistes FNSEA locaux sont dans son sillon et s'inspirent de l'auteur de La révolution silencieuse. Une filiation que l'agriculteur revendique. « Je me suis installé à Celles-sur-Durolle, à côté de Palladuc. Ce sont « les terres » de Michel Debatisse. Nos fermes et nos terrains étaient proches et nous avons travaillé ensemble. Cela a marqué mon engagement syndical. »

Né en 1956, dans une famille d'agriculteurs de la banlieue de Valence, Jacques Chazalet est l'aîné de sept enfants. Ses parents élèvent des porcs, des chèvres et travaillent en culture maraîchère. « Je savais que je devais partir travailler ailleurs. À cette époque, je cherchais ma voie au lycée de Brioude-Bonnefont en Haute-Loire, j'ai rencontré un copain qui avait une sœur, et une ferme... j'ai ainsi épousé ma femme et son patrimoine », plaisante-t-il. Il s'installe et reprend l'exploitation familiale en 1980, se spécialisant en ovin viande. Une période durant laquelle les moutonniers gagnent correctement leur vie. « Et puis « la guerre du mouton » est apparue, et le premier plan ovin. Une décennie assez dure pour les revenus des éleveurs. Je me suis engagé dans la fédération départementale des ovins et aux Jeunes agriculteurs (JA). » En 1990, il en devient le président.

Mandats pléthoriques

Le syndicalisme agricole de droite est en effervescence. « En 1991, nous avons organisé la finale de labour national à Marmilhat (63). Il y avait un mouvement général pour communiquer auprès du public. » C'est la période des opérations sourire, terre en fête, de l'accueil du grand public chez les agriculteurs. En 1990, les JA organisent la grande moisson aux Champs-Elysées. L'avenue se transforme en champ de blé pour séduire les Parisiens. « Nous avions compris que pour faire de la politique, il fallait avoir le soutien du public. Nous étions en pleine période de remise en question des quotas laitiers. Il nous fallait un événement qui démontre que Clermont-Ferrand est la capitale d'un système d'élevage à l'herbe, avec des vaches qui pâturent. Nous avons créé le Sommet avec Fabrice Berthon (son commissaire). » Le premier Sommet de l'élevage se déroule à Cournon-d'Auvergne, en 1992, et conquiert immédiatement son public.

Dès les années 1990, Jacques Chazalet cumule les mandats. En 1991, il devient président du groupement d'intérêt économique (GIE) ovin régional. Un an plus tard, il fait ses débuts à l'UDSEA 63 ; en 1996, il devient administrateur à la FNSEA, et entre au bureau en 2006. Il préside la FRSEA Massif central en 2004 et la chambre régionale d'agriculture, puis devient président de la Copamac-Sidam. De ces années d'engagement syndical, son meilleur souvenir reste la manifestation de septembre 2008, pour le bilan de santé de la PAC. « Nous étions entre 15 et 20 000 manifestants. J'ai vu arriver des cars entiers, le matin, à Laqueuille. Il en venait de partout, avec des élus, des syndicalistes, des paysans... Et puis, les femmes sont arrivées, avec les enfants, les adolescents ! Et quand elles sortent, c'est que ça va mal à la ferme. » À force de ténacité, il saura finalement convaincre.

Interrogations

La prochaine victoire de Jacques Chazalet sera sans doute de voir la construction de la seconde halle à Cournon-d'Auvergne promise par Laurent Wauquiez, et 10 000 visiteurs étrangers se rendre au Sommet. En effet, si l'édition 2017 (4, 5 et 6 octobre) est annoncée comme la plus importante en termes de fréquentation, d'espaces commercialisés et d'animaux en présentation sur les différents rings de la Grande Halle et du Zénith d'Auvergne, il manque un espace couvert supplémentaire. 80 % de la surface d'exposition est en extérieur.

Avec ces 88 000 visiteurs attendus au Sommet de l'élevage, 2 000 animaux inscrits et près de 1 500 exposants, Jacques Chazalet est aussi responsable du salon de l'excellence de l'élevage français qui se tient durant le Salon de l'agriculture. De quoi susciter des interrogations sur ses multiples mandats qui encouragent une agriculture parfois critiquée tant pour ses méthodes que pour sa qualité. « C'est incroyable qu'il soit à la tête des deux plus grosses manifestations de promotion de l'agriculture, regrette Ludovic Landais. Il porte les valeurs de la FNSEA, et là où le bât blesse, c'est que ces salons ne proposent pas suffisamment d'alternatives. Rien que le choix des races mises en avant est discutable. » Modeste, Jacques Chazalet estime seulement qu'il s'agit « d'une reconnaissance de la qualité du Sommet de l'élevage ».

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Commentaires 2
à écrit le 05/10/2017 à 9:14
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Un soldat de la malbouffe devenu riche, et on s'étonne ensuite que notre président des riches casse l'agriculture bio, ceux qui gagnent leur vie en travaillant en nourrisant les gens et non les laboratoires pharmaceutiques. Une idée de l'alimenta...

le 02/10/2018 à 19:09
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Honte à lui d'envoyer des betes en Turquie,Iran etc.....des betes épuisées par les trajets sans boire et tuées dans les conditions les plus barbares!

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