Marc Rozier, le soyeux lyonnais symbole du tournant chinois

Confrontée à des enjeux climatiques et sociétaux, la Chine a enclenché un virage économique sans précédent. Au cœur de ces bouleversements gigantesques, l'entreprise Marc Rozier, un soyeux lyonnais, symbolise toute la dimension de ce changement qui dessine la Chine du XXI siècle.

Hanghzou, nord-est de la Chine. Qualifiée autrefois de plus belle cité du monde sous la dynastie Song (XII-XIII siècle), présente dans les récits de Marco Polo, cette ville abrite désormais la maison mère d'un soyeux lyonnais historique : Marc Rozier. Le groupe chinois Wensli, 1,4 milliard d'euros de chiffre d'affaires, a acquis ce fleuron français il y a deux ans et détient 85 % du capital. Les raisons ayant motivé cette opération symbolisent le tournant économique de l'Empire du Milieu, condamné à trouver un nouveau souffle économique, afin de garantir la stabilité de son régime.

Investissement massif à l'étranger

« La Chine est à la croisée des chemins. Elle doit faire évoluer son modèle économique, en limitant sa croissance, afin d'assurer, entre autres, la bonne intégration de ses étudiants arrivant sur le marché du travail », analyse Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur de France en Chine.

Toute exclusion du monde de l'emploi pourrait constituer un vecteur de contestation sociale. La Chine, bien consciente de cela, doit donc s'ouvrir sur le monde et « faire tomber sa propre muraille mentale pour aller conquérir d'autres marchés », estime le diplomate.

Premier investisseur de capitaux nets en 2014, le pays possède environ 3 500 milliards d'euros à investir en dehors de ses frontières. L'investissement interne pourrait renforcer l'inflation. Ainsi, la République populaire s'oriente vers l'extérieur, en nourrissant de nouveaux grands projets, à l'instar de la Route de la Soie du XXI siècle, projet érigé par le Président chinois Xin Jinping. Pour assurer ce dessein, un fonds de 40 milliards de dollars a été constitué, dans lequel participe la France à hauteur de 600 millions.

Vers des coopérations capitalistiques

« Marc Rozier s'inscrit pleinement dans la lignée de cette stratégie », souligne Patrick Bonnefond, ancien PDG d'Hermès, désormais à la tête du soyeux lyonnais et décisionnaire du groupe Wensli. La Chine cherche à exporter ses capitaux, et pour cela, elle a « besoin de s'appuyer sur des acteurs locaux, car la puissance financière ne suffit pas », estime Maurice Gourdault-Montagne.


Privilégiant jusqu'alors les achats complets, elle développe désormais une stratégie de coopération. Cela est souligné par l'ambition de maintenir dans les entreprises, notamment les PME, les acteurs historiques. Pour preuve, Wensli a souhaité que la famille fondatrice reste dans le capital, lors de la deuxième OPA.

S'appuyer sur le savoir-faire historique

« Le lien historique, c'est ce qui intéresse les Chinois. C'est ce qu'ils sont venus chercher en achetant Marc Rozier. L'histoire garantit le savoir-faire et le prestige de la marque », détaille Patrick Bonnefond.

Le soyeux lyonnais, qui réalise un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros par an, est considéré comme un artisan authentique, maîtrisant l'ensemble de la filière. Ses fonds d'archives, ainsi que les 76 000 documents recensés du graveur Piola, récemment acquis par Marc Rozier, matérialise cette histoire. La maison mère asiatique espère capitaliser sur le glorieux passé du Français, avec l'objectif de tirer vers le haut, sa gamme chinoise.

De son côté, une telle opération permet de protéger l'entreprise française, estime M. Bonnefond :

 « Sans cet apport, Marc Rozier n'aurait peut-être pas survécu très longtemps. Ce genre d'acquisition permet aussi de sauvegarder les savoir-faire traditionnels français ».

 Depuis la prise de contrôle de Wensli, la marque française a embauché huit collaborateurs, investit dans des nouveaux outils de productions et envisage de nouvelles acquisitions sur le territoire rhônalpin afin de sécuriser la filière.

Soutenir la capacité d'innovation

Si Wensli, via Marc Rozier s'inspire d'un savoir-faire vieux de plusieurs siècles, l'innovation n'est cependant pas absente. C'est aussi une nouveauté du modèle économique chinois, jusqu'alors centré sur l'importation des techniques et de la créativité.

« Ce groupe est le seul centre de recherche et de développement privé autorisé par le régime communiste. 140 brevets ont été déposé par Wensli depuis 2006, dont 10 qui ont débouché sur de l'innovation. Je ne crois pas qu'une structure européenne ait été aussi performante », indique Patrick Bonnefond

Une nouvelle pédagogie d'enseignement

Ce dynamisme est rendu possible par une meilleure formation des salariés chinois. « 70 % de nos employés ont un bac+4 », rappelle Patrick Bonnefond. Ils sont formés dans les meilleures écoles mondiales, et de plus en plus en Chine.

Cette métamorphose se réalise progressivement, sous l'œil attentif du Parti communiste chinois. Car une massification de cette approche pourrait permettre l'émergence, dans la sphère populaire, d'un esprit critique plus important, et ainsi intensifier les aspirations démocratiques. C'est tout le paradoxe de l'économie chinoise.

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