Péril en la demeure : la question épineuse de la transmission

Février 2004. Pour fêter sa cinquante millionième paire de skis, Rossignol a fait les choses en grand. Charters venus de Paris pour plusieurs centaines d'invités superbement accueillis dans les plus beaux hôtels de Courchevel 1850, en présence d'Alberto Tomba, Marielle Goitschel, Jean-Claude Killy… venus assister à la présentation de la nouvelle collection.

Laurent Boix-Vives, 78 ans, propriétaire dirigeant depuis 1955, jubile devant la valse des prétendants alors qu'il cherche un successeur. C'est finalement Quicksilver qui rachètera le fleuron isérois. Le réveil sera douloureux, tant les cultures sont différentes. S'ensuivront déficits, restructurations, fermetures, vente au fonds australien Macquarie, qui a taillé dans les effectifs avant de relocaliser la production de Taïwan vers la France. En 1997 Georges Salomon est quant à lui confronté à un problème de succession et doit vendre le spécialiste des sports d'hiver d'Annecy, qui compte alors 2 000 salariés, à Adidas qui lui-même le cèdera au groupe Finlandais Amer Sports, lequel n'hésitera pas à restructurer et cesser des productions.

Le point commun de ces deux ETI ?

Toutes deux ont été vendues pour ensuite "perdre leur âme" puis leur richesse, au détriment de leurs territoires. Un constat qui soulève une problématique majeure pour les ETI : celle de la pyramide des âges de leurs dirigeants. "Nous ne sommes pas dans une bonne phase pour transmettre, ce qui rend les cédants opportunistes, ouverts aux propositions des grands groupes", soutient Nathalie Bulckaert Grégoire, directrice de la région Centre-Est Banque Palatine. Surprenant pour des entreprises patrimoniales voire familiales. En cause ? "La fiscalité responsable de gâchis sans nom", alerte Guy Mathiolon, Pdg de Serfim spécialisé en environnement et travaux publics, qui a commencé à transmettre 40 % de sa société à ses cadres. "Il faut étaler dans le temps et être un vendeur généreux, car ils n'ont pas d'exonération alors qu'ils achètent l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Je leur fait un crédit vendeur - c'est-à-dire qu'ils paieront plus tard - mais je dois déjà m'acquitter de la taxe sur la plus-value. Nous marchons sur la tête", s'insurge l'ancien président de la CCI Lyon.

Seule solution ? Vendre

Si peu de politiques s'emparent du sujet malgré l'urgence à repenser la politique de transmission c'est que "les ETI conservent leurs effectifs en temps de crise et sont donc peu spectaculaires", analyse Yvon Gattaz, président du syndicat Asmep-ETI. Le problème est simple : développer une entreprise signifie y investir de l'argent et en sortir le moins possible. Les dirigeants d'ETI ont donc bien souvent peu de patrimoines en dehors de l'entreprise. Face aux droits de succession ou de donation exorbitants, les héritiers n'ont souvent pas les moyens de prendre la relève. La seule solution consiste donc bien souvent à vendre. La modification du pack Dutreil en 2011 a amélioré la situation, mais les familles de dirigeants sont encore lourdement taxées. "Je suis sidéré par ces propriétaires d'ETI allemandes qui me disent ne pas payer de droits de succession", s'indigne Patrick Martin, Pdg du groupe Martin Belaysoud. Car la sévérité fiscale française pénalise aussi les velléités de développement. "La renonciation à l'investissement est un mal sournois car invisible. A un certain âge, le dirigeant se demande pourquoi il continuerait de prendre des risques et préfère retirer de l'argent, notamment sous forme de dividendes", ajoute l'ancien président du Medef Rhône-Alpes. 

 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.