Financement : hauts de bilan en péril

Tandis qu'à Bruxelles, la France mène un lobbying tenace pour faire reconnaître le statut des ETI et leur ouvrir ainsi un accès favorisé aux aides publiques, en Rhône-Alpes les regards se tournent plutôt vers la consolidation des outils de mise en relation avec les investisseurs. Non sans un pessimisme certain à l'égard de la frilosité des financeurs privés.

"La crise a frappé tout le réseau industriel. Il est devenu de plus en plus difficile de dégager des ressources pour financer l'investissement. Les volumes sont challengés, les marges se sont érodées". Le témoignage de Michel Cognet, directeur général du groupe Chomarat, industriel ardéchois spécialisé dans le textile technique (1 500 salariés, CA 2012 : 150 millions d'euros), pourtant réputé pour le confort de sa trésorerie, est emblématique des contradictions auxquelles se heurtent les ETI : le financement n'est pas un problème pour ces dernières. Il pourrait le devenir. "Les ETI manquent de fonds propres", alerte de son côté Elisabeth Ducottet, Pdg de Thuasne, entreprise basée dans la Loire. Certes, 80 % des ETI affichent une santé financière excellente, selon les chiffres avancés par les équipes régionales de la Banque de France, dans le cadre d'une étude avec le CESER. Mais leurs besoins n'en demeurent pas moins cruciaux. Plus de la moitié du besoin de financement des ETI est couvert par autofinancement, mais près de 43 % résulte de l'endettement et des concours bancaires, d'après une enquête réalisée en 2012 par la DGCIS et OSEO. "Les ETI ont besoin de financement pour investir, pas pour fonctionner comme les PME", observe Yvon Gattaz, président du syndicat Asmep-ETI.

Exclues des aides publiques

Pour les dirigeants, la première des ruptures de stratégie se situe au niveau des aides publiques. Le statut d'ETI n'existe pas au niveau européen : les sociétés relèvent soit de la catégorie des PME, soit de celle des grands groupes. En vertu des règles de libre concurrence, la plupart des dispositifs d'accompagnement publics sont donc limités aux PME. C'est le cas par exemple du Crédit Impôt Innovation (CII), voté avec la loi de finance 2013, dans lequel plusieurs ETI avaient placé leurs espoirs, y voyant un volet d'élargissement du très prisé Crédit Impôt Recherche. Mais le CII se trouve explicitement limité aux entreprises de moins de 250 salariés. "Nous observons un véritable sentiment d'exclusion des ETI à l'égard des subventions publiques", rapporte Pierre Roset, quatrième du nom à défendre l'implantation de l'entreprise familiale dans l'Ain, et président du groupe des exportateurs de meubles. "Certes, nous ne vivons pas grâce aux aides, mais elles peuvent contribuer à favoriser une phase de développement. Et nous assistons surtout à un double discours, qui promeut les ETI tout en ne les soutenant pas dans le maintien des emplois sur le territoire". Selon Guy Mathiolon, Pdg de Serfim : "La politique française consiste à charger la mule et à étrangler les entreprises, pour ensuite accorder des subventions afin de rétablir la donne. Arrêtons ce système, adoptons une fiscalité intelligente. Avec les subventions, on s'attaque aux conséquences, c'est la cautère sur la jambe de bois". A la Direccte, davantage que sur les subventions, l'attention se porte plutôt vers le Hub de la finance, lancé en 2012 sous sa version virtuelle. "Ce qu'il faut, c'est favoriser la mise en relation avec les financeurs". Or si certains dispositifs publics, comme OSEO ou le FSI, ont permis de soutenir efficacement leurs hauts de bilan, et que la BPI devrait selon toute vraisemblance prolonger cette action, les ETI doivent compter sur d'autres sources qui pourraient, elles, s'avérer problématiques à l'avenir. "Les dispositifs publics ont vocation à compléter le marché, pas à s'y substituer", commente Arnaud Peyrelongue, qui pilote les équipes du réseau Sud-Est d'OSEO. Ces dernières, qui répondent en priorité aux demandes de financement des PME, ont vu ces dernières années le nombre d'ETI venues frapper à leur porte s'accroître. Celles-ci sollicitent souvent des produits plus sophistiqués que leurs petites sœurs, et mettent en avant leur capacité à gérer le passif, à gérer leurs ressources de financement de manière souple. S'il ne constitue pas la première revendication des dirigeants, le déficit d'aides publiques directes aux ETI s'avère-t-il pour autant justifié ? "Il est vrai que certaines entreprises ont beau répondre au critère juridique d'une ETI, elles n'en demeurent pas moins des liliputiens sur leur marché. C'est le cas par exemple dans le secteur de la chimie, où certains acteurs régionaux se trouvent face à des mastodontes", relativise Arnaud Peyrelongue.

Centralisme bancaire préjudiciable

La reconnaissance des ETI est acquise depuis 2008, mais dans la pratique, qu'en est-il ? "Nous sommes toujours dans le fameux triangle des Bermudes. En matière de financement, les ETI sont trop petites pour les centres de décisions parisiens et trop importantes pour les régionaux", ironise Patrick Martin, Pdg du Groupe Martin Belaysoud à Bourg-en-Bresse. A quelques exceptions près, les dossiers doivent souvent remonter à la capitale où se trouvent les centres de décision. Un dirigeant d'ETI qui demande un crédit conséquent verra ainsi sa demande rapatriée à la direction nationale des risques : un détour synonyme d'allongement des délais et d'une lecture déshumanisée, purement technique du projet. Or dans ce domaine, la valeur des hommes est essentielle. En Italie, les organisations bancaires de proximité, dites "Confidi", ont été déterminantes dans le développement de certaines sociétés, au sens où elles ont fondé leurs prêts sur des critères économiques (tels que le business plan), mais aussi sur les acteurs portant le projet, au-delà des promesses de rentabilité à court-terme. Alors que Bâle III et Solvency II servent d'argument supplémentaire au resserrement des crédits, les banques non mutualistes tendent à réduire le pouvoir des acteurs locaux. Pour les ETI, la menace se profile.

Timide financement par la bourse

"La Bourse et tous les acteurs s'y rattachant sont regroupés sur la place parisienne afin de peser à l'échelle mondiale", rappelle Yvon Gattaz. Il faut multiplier déplacements et rencontres à Paris, en dépit des efforts passés de Lyon pour créer une bourse réservée aux entreprises moyennes. "Il n'y a pas de second marché très dynamique et liquide en France, abonde Alexandre Moulin, commissaire au redressement productif en Rhône-Alpes. Certains avantages d'avoir des entreprises cotées sont indéniables, car la bourse confère aux ETI une transparence financière et une visibilité plus importantes, mais cela ne représente pas une source de liquidité considérable". Malgré tout, certaines s'y essayent, le régulateur encourageant la désintermédiation et la baisse de seuils pour prétendre au marché obligataire afin de copier le modèle américain, où le financement bancaire s'avère beaucoup moins présent. "Nous avons tenté l'émission obligataire pour 20 millions d'euros, révèle Olivier Jolland, directeur financier de Tessi, leader du traitement de flux en France (transactions devises, documents…) basé à Grenoble. Le produit est souple et le coupon n'est pas trop cher. C'est une diversification des sources de financement intéressante".

Obstacles culturels au private equity

Bien que l'éco-système s'accorde à dire qu'il faut consolider les hauts de bilan, les dirigeants n'en gardent pas moins une certaine réticence à ouvrir leur capital. "Rhône-Alpes opère sa mue doucement, en atteste la présence dans la région de Siparex, qui prend des parts minoritaires", confie Nathalie Bulckaert Grégoire, directrice de la région Centre-Est Banque Palatine qui a fait le pari des ETI depuis cinq ans. Par ses véhicules dédiés, Siparex a financé une quarantaine d'ETI sur les dix dernières années. "Bien souvent, leurs dirigeants "marchent" à la confiance. Il faut entretenir des relations de long terme avec eux. Peu endettés, ils sont rarement dans l'urgence. Et un jour, souvent pour la réalisation d'une croissance externe, ils font appel à nous", explique le Pdg de Siparex, Bertrand Rambaud. Ce dernier observe un autre frein à ce mode de financement : la frilosité des fonds à investir dans ce type de société. "Dans la grande famille du Private Equity, certains fonds d'investissement privilégient des LBO majoritaires et sont peu enclins à prendre des positions minoritaires au sein d'ETI familiales". 

 

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