ST Dupont retrouve la flamme

Fumer, écrire, voyager, séduire… Après une décennie de passage à vide, l’art de vivre made by ST Dupont retrouve son assise sur le marché du luxe. Et célèbre avec ses 140 ans l’obtention du label “Entreprise du patrimoine vivant”, particulièrement prisé des consommateurs japonais.

C'est une de ces marques qui résonne de manière familière sans qu'on se souvienne de ce qu'elle produit. ST Dupont fabrique des briquets et des stylos de luxe, et revient depuis un an et demi à l'un de ses métiers d'origine: la maroquinerie. C'est aussi une belle entreprise de taille intermédiaire (ETI) - 260 salariés - à capitaux chinois, cotée au second marché et ancrée depuis 1872 en Haute- Savoie. L'usine est installée à Faverges, au creux d'une vallée encaissée, entre Annecy et Ugine. 6000 habitants tout au plus et une tradition industrielle qui, contre toute attente, résiste solidement à la crise. Il y a là le Suisse Stäubli, qui conçoit des robots industriels et des machines de tissage (les métiers Jacquard), le Mexicain Cemex, qui a implanté une usine de béton prêt à l'emploi, les fours professionnels Bourgeois. Et ST Dupont qui, de l'avis de ses propres salariés, "revient de loin".

 

Les années sombres

En 2008, 40 % du site partent en fumée. Un incendie, déclaré en pleine nuit à la suite d'un dysfonctionnement électrique, touche en premier lieu l'atelier d'assemblage. Deux ans auparavant, la société vient d'essuyer un plan social douloureux, et de licencier 113 salariés sur 360 après six années de perte. L'âge d'or au cours duquel la maison employait 800 salariés n'est plus qu'un souvenir lointain. A l'automne 2006, ST Dupont frôlait la cessation de paiement, les dirigeants se succédaient à une rapidité inquiétante, alors que le secteur du luxe, lui, se portait comme un charme. L'année précédente, le cours de l'action avait été suspendu. Le malletier avait opté pour une diversification dans le prêt-à-porter qui n'a jamais trouvé sa clientèle: "Des blousons en croco blanc et des pantalons de cuir chers et has been", disent les mauvaises langues. Sept ans plus tard, la maison fondée par Simon Tissot-Dupont a opéré un revirement stratégique et renoué avec la croissance : + 10 % par an depuis 2010 et un objectif de 80 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013. "2012 a été une bonne année", se réjouit Alain Crevet, le Pdg.

 

"On n'est pas là pour faire du politiquement correct"

Chevalière au petit doigt, costume trois pièces, gourmette en argent et cheveux mi-longs ramenés derrière les oreilles, l'homme a la décontraction travaillée et l'aisance de ceux qui ont le commerce dans le sang. Il est arrivé en 2006 pour remettre la société sur les rails, après six ans à la présidence de la branche parfums de Givenchy. Bien plus qu'un baron du luxe, c'est un homme de produit. Un ancien de Procter&Gamble, qui a dirigé la division Mexique-Amérique Centrale de la multinationale américaine. Sa veille marketing, il s'en acquitte par un tour du monde régulier de ses boutiques, à la manière d'un VRP: Chine, Japon, Russie… "Il y a un milliard de fumeurs dans le monde, et ils sont en général dans les pays émergents." Un discours assez peu dans l'air du temps en Europe de l'Ouest? "On n'est pas là pour faire du politiquement correct, mais pour réaliser des affaires. Quand le produit est bien pensé, il rencontre son marché. Les gens se désintéressent de l'ostentatoire, et réclament un produit plus artisanal, moins show-off, moins clinquant". 

D'où l'enjeu qui entourait l'obtention du label "Entreprise du patrimoine vivant", décerné en décembre par le ministère de l'Economie. Une commission, deux ministres, un changement de gouvernement, et la crainte, chez ST Dupont, que l'actionnariat chinois ne vienne occulter le savoir-faire made in France entretenu à Faverges. Car ce label, détenu par Hermès ou Channel et qui a son équivalent dans la plupart des autres pays industriels, constitue un sésame précieux pour séduire les millionnaires chinois, coréens ou japonais en mal d'authenticité. "Je me bats pour que nos salariés n'appellent pas notre site une usine, mais une manufacture. Le travail de la main a une importance particulière chez ST Dupont. Il y a une perfection du geste, qui ne se transmet qu'en interne", observe Alain Crevet.

 

Un actionnaire hongkongais

L'actionnaire en question, c'est Dixon Poon, quinquagénaire né à Hong Kong, spécialisé dans la distribution de produits de luxe et propriétaire de la chaîne de magasins chics Harvey Nicols. Ce milliardaire chinois à l'allure d'un financier londonien possède depuis 25 ans 68 % du capital de ST Dupont, qu'il a racheté en 1987 à Gillette, le géant américain du rasage. Son goût pour le prêt-àporter n'est sans doute pas étranger à la création d'une ligne de vêtement qui a trouvé ses marques auprès de la jet set asiatique mais n'a jamais rencontré son public en France. La nationalité de Dixon Poon, et le développement de la marque sur les marchés orientaux laissent-ils planer une menace de délocalisation? "Lorsque l'usine a été détruite, notre première crainte a été que l'actionnaire décide de délocaliser", répond le directeur de l'usine, Eric Patin. Mais pour les consommateurs asiatiques, la production en France constitue un atout marketing. En 48 heures, Dixon Poon décide donc de reconstruire à Faverges. Un dossier lourd pour la compagnie d'assurance, amenée à verser 20 millions d'euros d'indemnités entre 2007 et 2009. Aujourd'hui, la direction admet que cette manne a permis au bateau de rester à flot… et de continuer à sortir du profit, malgré l'incendie.

Cette crise a surtout exhorté l'entreprise à se moderniser, et à envisager le marché avec les armes de son temps. Les machines des années 1970, conçues pour réaliser de grandes séries sur un rythme convenu d'avance, sont progressivement remplacées par des outils plus flexibles, variant la forme et les techniques. A l'ancienne, les maîtres laqueurs font toujours couler dans des bols en porcelaine la préparation ambrée destinée à produire la fameuse laque de Chine qui a fait les lettres de noblesse de la maison. Chaque stylo est toujours vérifié à la main. Il y a même un poste réservé au contrôle du "cling", terme très officiel qui désigne le petit bruit du couvercle se refermant sur la flamme. Les salariés sont là depuis dix, vingt, trente ans, souvent plus. Mais à l'étage, tout est neuf dans l'atelier de maroquinerie. Objectif : faire de nouveau du cuir l'un des piliers de la marque. "Dans un groupe comme Givenchy la direction est toujours entourée d'éminences grises, il y a la famille…, se souvient Alain Crevet. Chez ST Dupont, on profite d'un degré de liberté beaucoup plus étendu. Le seul objectif est de renouer avec la croissance. J'aime ce genre de brief très tranquille…"

 

LES LICENCES PLUS RENTABLES QUE LES BRIQUETS

Moins visible mais plus lucratif, ST Dupont s'appuie sur un système de licence qui lui permet de lancer de nouveaux produits (parfums, lunettes…) sans les mêmes risques financiers que pour sa gamme de prêt-à-porter. Les licences ont ainsi enregistré 5 millions d'euros de profit l'année dernière, contre 0,5 million d'euros pour les briquets et stylos. En abaissant un peu les prix d'entrée de gamme pour ces derniers, la direction espère rajeunir sa clientèle. Mais elle continue de se positionner sur les produits d'exception, en montant des partenariats avec d'autres ténors du Made in France, à l'image de cette carabine Verney-Carron habillée d'orfèvrerie pour un riche Européen. Un partenariat avec l'Orient Express, dont la SNCF a acquis les sept voitures en 2011, est également à l'étude.

 

 

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