[Archive 4/5] Olivier Ginon : le maquignon

Tout au long de l'été, la rédaction vous propose de revisiter notre monde en 2008. Les espoirs, les visions d'avenir, les dialogues nourris, les grands projets structurants - encore d'actualité dix ans plus tard. Autant d'événements inspirants, de regards éclairants sur l'actualité d'aujourd'hui. Cette semaine, portrait d'Olivier Ginon, fondateur de GL Events qui, en cette année 2008, a intégré l’aéropage des grands patrons lyonnais. Et, plus largement, celui des décideurs les plus influents dans la vie politique, médiatique, économique locale. Enquête sur une figure aussi visible que discrète, sur un stratège visionnaire et redoutable, sur un entrepreneur rusé et insatiable.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'économie)

Article initialement mis en ligne le 2 juin 2008, 8:40

« Il est dans le champ, chaussé de bottes. Il a repéré la bête. La meilleure, celle qu'il faut acheter. Juge et décide vite. Economise les mots. Propose le bon prix. Et« tope» dans la main. C'est un vrai maquignon », résume son ami d'enfance Franck Rey-Coquais.

Une allégorie qui caractérise l'entrepreneur, le manager. Et l'homme. « C'est un terrien », indique, en tête de ses distinctions, son frère Xavier, notaire à Lyon. Enfant, le turbulent Olivier Ginon sillonne le domaine familial de Vernaison au volant d'un tracteur et bricole les moteurs des machines agricoles.

«Un terrien»

« On fera de lui un bon paysan » prophétise alors son père, conforté par la scolarité médiocre de son rejeton. Quarante ans plus tard, c'est dans son refuge d'Auvergne qu'il arpente les prairies, pose une clôture, nourrit les chevaux, cornaque enfin un temps dont sa vie d'entrepreneur et son tempérament hyperactif le dépossèdent.

« Une terre, le plancher des vaches, une maison dressée, une grande table que partagent famille et amis autour de risottos, pâtes carbonara, ou filet de bœuf en croûte qu'il a cuisinés lui-même. Des plats à son image: simples et authentiques. Il s'assure que chacun est à son aise, jubile de cette concentration des plaisirs qui le rassure, lui toujours en doute d'être aimé, en peur d'être seul. II est le maître de maison, mais pas le Roi Soleil il est l'origine de la rencontre mais n'en est pas le point de convergence. Il est au centre, non pour briller mais parce que son utilité, son existence, l'affection des autres y sont démontrées », détaille Franck Rey-Coquais.

Là, dans cette campagne rude, l'hôte prend distance avec la lumière et les contraintes, volontiers artificielles, éphémères, mondaines, duplices, sophistes, que la ville et le microcosme décisionnel braquent sur l'un de leurs porte-drapeaux emblématiques, il se repose des centaines de milliers de kilomètres parcourus chaque année, il fertilise son ressourcement, sa robustesse, les racines constitutives de ses conditions de père, de «pote», de patron.

Famille, amis, entreprise, forment en effet un entrelacs, même s'il en cloisonne les manifestations et chacune des strates qui se sont empilées au gré de son ascension. Ceci afin de préserver l'intégrité de ses quatre enfants, et celle de son épouse, gynécologue, qui corsète sa stabilité, sa maîtrise des chimères du monde entrepreneurial et public, son éducation dans quelques domaines qu'il méconnaît.

Cette femme « admirée », représentant une caste qui, selon l'un de ses amis, demeure aux yeux d'Olivier Ginon «bien plus mystérieuse, impressionnante, presque apeurante » que celle des hommes dont il maîtrise «parfaitement les clés et les ressorts».

Chef de tribu

« L'équilibre du trépied est assuré par celui de chaque pied. Et réciproquement », indique Franck Rey-Coquais. « L'ancrage et la sérénité que constituent ce triptyque et le territoire sont d'autant plus précieux que le risque est quotidien dans son activité professionnelle. Par ailleurs, il ne lance pas de projet d'entreprise s'il risque d'entraver la santé d'un de ces piliers», complète Olivier Roux, vice-président de GL Events.

Là, sur les hauts plateaux, le passionné de 4x4 cimente son attachement à la «pierre », au « foncier », au « solide ». Il y cultive les attributs de la « transmission » qui forme l'ossature du métier paternel et fraternel de notaire, qui donne « sens » à sa spiritualité et à ses responsabilités familiales et entrepreneuriales, qui singularise une interrogation héritée de l'éducation jésuite reçue au lycée Saint Joseph : « On t'a donné un talent: qu'en fais-tu?», la résume Franck Rey-Coquais.

Il y ravitaille sa « valeur première », la fidélité, fécondée par son père « et si exceptionnelle qu'elle en devient presque maladive », examine son vieil ami. En son nom, les quatre fondateurs de GL Events - outre Olivier Ginon, Olivier Roux, Gilles Gouedard-Compte, Jacques Danger - demeurent trente ans plus tard dans l'entreprise, longtemps il adaptera l'organisation et le management de son groupe au recrutement ou aux facultés de certains proches, et le cercle intime des amis de la première heure est intact, cuirassé.

L'authenticité de cette proximité, dépolluée d'intérêt ou de courtisanerie, cloîtrée des «soudaines» amitiés et de l'opportunisme d'une cour devisée, selon son frère Xavier, «avec amusement », assure celui que ses proches surnomment Zouz, d'une sincérité constitutive d'une personnalité plus fragile et émotive que sa corpulence, son approche volontiers glaciale, et sa rugosité lexicale subodorent.

« Dans leur peine, je suis là; dans ma peine, ils sont là », murmure l'intéressé, préoccupé de laver ces relations privilégiées du rapport de puissance que la réussite financière et les symptômes du business inoculent naturellement.

« On sait qu'il sera toujours présent si on a besoin de lui. C'est si rare... », assure Guy Mathiolon, président de la CCI de Lyon, qui pense partager avec son homologue « un même ressort entrepreneurial: celui de rendre nos parents fiers de nous ». Là enfin, dans cette campagne, le « chef de tribu » s'isole avant d'arbitrer toute grande décision. Sans doute parce que la terre constitue l'une des rares matières qui lui tient tête et dont il accepte l'autorité.

Failles

Tenir tête, ce quatrième d'une famille de six enfants va s'y employer. Très jeune. Energique, rétif aux normes, turbulent et fêtard, dépositaire du caractère entier et irradiant de son père, il se soustrait aux études et fonde avec ses trois camarades la société Polygone. Il a vingt ans.

Ainsi germe en 1978 la saga GL Events, qui trente ans plus tard rassemble 3500 salariés et produit un chiffre d'affaires de 650 millions d'euros (dont 45% hors de France). De l'éducation jésuite, il a absorbé la curiosité, un esprit ouvert, l'intérêt pour l'autre, la vocation missionnaire de l'acte d'entreprendre, mais aussi une aspiration au prosélytisme, à l'immixtion, et au sentiment de supériorité, le poids du dogme - producteur de tiraillements dont il sait s'arranger - enfin la culpabilité.

Celle notamment de « réussir » quand survient une épreuve familiale; elle expose à l'impuissance celui jusqu'alors rompu à tout maîtriser, révolutionne sa perception de la « chance », du « destin », de « l'essentiel » et de « l'utile », scelle l'intensité de sa conscience paternelle. La relation du père aux enfants constitue d'ailleurs l'une des valeurs étalons de sa considération des autres, sans doute aussi parce qu'elle exhume l'aisance et la crédibilité, « incroyables » selon Franck Rey-Coquais, qu'il déployait lui-même enfant auprès des adultes.

L'écorce et l'arbre sont solides, mais la sève est tortueuse, friable, vulnérable. Le revers, aussi l'intérêt d'une sensibilité exacerbée, propre aux gourmands qui laissent grandir  les failles au creux desquelles les « sens » progressent.

«C'est là que se niche toute la richesse d'Olivier», témoigne Guy Mathiolon.

« Elles lui donnent de répandre le même bonheur dont il se nourrit », complète Franck Rey-Coquais. Mais une sensibilité qui aussi l'a meurtri à la lecture d'articles de presse critiquant les conditions dans lesquelles la gestion d'Eurexpo et du Centre des congrès lui fut confiée. « L'arroseur arrosé », s'amusent les détracteurs de son soutien - « au nom de mon amitié et de la cause entrepreneuriale bien davantage que de mon assentiment des« papiers » publiés », assure-t-il - au fondateur du mensuel Lyon Mag, Philippe Brunet-Lecomte, dont la liste des personnalités « épinglées » dans sa publication a garni les bancs de la justice.

Et embastillé Olivier Ginon dans d'importantes pressions exercées par les disciples de chaque camp. « Il en est marqué au fer rouge. Ce qu'il ne supporte plus », explique son amie Florence Verney-Carron, directrice de l'agence Communiquez. Une fois encore, ce dompteur des situations antagoniques devrait s'extraire sans conséquence du dilemme, lui qui s'est forgé la carapace grâce à laquelle il s'est peu à peu imperméabilisé des influences qu'il exerce et de celles qui s'exercent sur lui.

Instinctif

L'Homme est au cœur de l'engagement entrepreneurial de ce «fédérateur d'énergies». La décision d'initier un nouveau projet industriel repose en partie sur « l'aventure relationnelle » qu'il pense y greffer - « il doit aimer les gens pour travailler avec eux, et donc les choisit davantage sur ce critère que sur leurs compétences intrinsèques. Ce qui a ses limites », précise un cadre -, nécessaire autant pour rassasier son propre appétit de relations humaines que pour appréhender l'influence et mesurer l'utilité qu'il produit sur des interlocuteurs appelés à grandir, à progresser « grâce à lui ». Et à l'assurer concomitamment de leur fidélité et de leur reconnaissance.

« Un mécanisme, examine Franck Rey Coquais, capital dans sa constitution intellectuelle, psychique, et émotionnelle ». Et qui entraîne cet entrepreneur possesseur - et possessif - à traduire par la blessure voire la trahison l'émancipation de collaborateurs, dont le départ fragilise ses certitudes affectives en déréglant le phénomène fusionnel d'identification tissé entre l'entreprise et lui.

L'entrepreneur agit vite. Très vite. « Aussi vite qu'en prière. Avec le Seigneur, il est comme dans la vie, négociant au plus vite! », s'amuse ce même ami, qui partage sa foi. « Vite aussi parce que c'est inscrit dans les gênes de l'entreprise: l'absolue obligation de respecter le timing - on ne décale pas d'une heure l'inauguration d'une manifestation - place GL Events, ses salariés, et donc son patron dans cette logique de hâte et de réactivité », observe Olivier Roux.

Son absence de formation supérieure l'a affranchi des préjugés, assure Florence Verney-Carron. « II n'est pas prisonnier de schémas préétablis, ce qui libère sa capacité d'innover, de risquer, de décider ». Aussi son intuitivité, sa faculté de bousculer l'ordre établi et les règles du marché, comme d'apprécier instantanément les situations. Il n'intellectualise pas, et son intelligence, brute - « pour la reconnaissance de laquelle il se bat comme un damné », note un proche - abrite une puissance instinctive et une disposition visionnaire singulières.

Cette amalgamation le fait conclure en 2007 une augmentation de capital de 70 millions d'euros quelques semaines avant la disgrâce du marché boursier, le convainc quelques années plus tôt de redéployer audacieusement son groupe, l'exhorte à s'entourer de collaborateurs éloignés des « canons » de recrutement.

Elle conditionne le coup de poker, en partie réussi, lors de la tentative de prise de contrôle de Paris Expo. Là, en 1999-2000, au cours de la surenchère qui l'oppose à Unibail, il apprend à s'arrêter. « Ce jour- là, il franchit un seuil déterminant dans sa construction d'entrepreneur, et intégra le cercle des grands patrons », analyse Rémy Weber, président de CIC Lyonnaise de banque - dont Olivier Ginon est administrateur -. Les 160 millions de francs de plus-value assurent le désendettement du groupe.

Seconde chance

«Son parcours enseigne que tout est possible, qu'en certains regorge une faculté illimitée de rebondir, d'extraire un enseignement positif d'un événement dramatique, de procéder à la transmutation de toute situation compromise», diagnostique Florence Verney-Carron.

Point d'orgue: 30 juillet 1988. L'entreprise est en flammes. Le stock, les disquettes, sont détruits. Ce qui doit préparer la livraison des événements de la rentrée est anéanti. Les salariés interrompent leurs congés. Leur patron emprunte un avion, et sillonne l'Europe en quête de fournisseurs capables d'assurer l'improbable. Les engagements sont miraculeusement honorés.

L'événement solidifie le rapport fusionnel d'Olivier Ginon à l'entreprise, consolide le charisme et le respect qu'il exerce auprès des salariés, et, juge Olivier Roux, imprime «la culture, notamment humaine, du groupe».

Autant d'attributs que Xavier Perroux, responsable commercial et délégué syndical FO, confirme: « Bien davantage que les autres cadres dirigeants, il manifeste de l'attention, de la proximité pour le personnel, notamment de terrain. On l'a vu partager le repas avec les techniciens affairés au Grand Prix de tennis de Lyon plutôt qu'avec les « huiles ». Lorsqu'il présenta l'an dernier le Sirha à Catherine Lagarde, il m'aperçut dans l'assistance, m'invita à le rejoindre et me présenta au Ministre ».

Consubstantielle à son origine autodidacte comme à une trajectoire, longtemps cahoteuse, Olivier Ginon manifeste une forte considération pour la seconde chance. «C'est l'une de ses règles de vie », assure Olivier Roux. II l'affiche.

«Elle est réelle, corrobore Xavier Perroux. Je me souviens de ce salarié qu'il avait lui-même surpris dérobant du matériel. Le responsable direct de l'employé réclama son licenciement, pour l'exemple. Olivier Ginon tenta de lui fournir une seconde opportunité. Finalement, il obtempéra devant l'insistance de son collaborateur, mais non sans avoir vraiment essayé de le convaincre ». Une sensibilité aux injustices, la confiance dans la responsabilité décisionnelle de l'individu, la détestation de toute forme d'aliénation, qu'un cadre dirigeant agrège, là encore, à sa foi.

Dévoré

Olivier Ginon place l'intérêt de l'entreprise au-dessus de tout. Pragmatique, l'homme de droite, proche de Charles Millon et désormais de Gérard Collomb, saura, lors d'un dîner privé, semoncer Dominique Perben, coupable à ses yeux d'une campagne susceptible d'affecter la réputation et la dynamique de la ville. L'assouvissement de son appétit entrepreneurial connaît- il une borne? Un dirigeant du groupe l'assimile à un «redoutable prédateur, un requin blanc» à l'affût de la moindre opportunité, qui traque « très loin » la proie, et dont les collaborateurs « servent à aiguiser la dentition ». Mais une prédation circonscrite. « Il n'est pas un tueur », poursuit le témoin. Ses limites? « L'homme, le corps social, l'entreprise rivale » que l'accomplissement de son ambition peut mettre en péril. Aussi « le strict respect de la loi, une pratique exigeante de l'éthique ».

« Il est extraordinairement malin », s'accordent les témoins. Joueur, jouisseur, séducteur, instinctif, le maître de chiffres jauge et « fouille » son interlocuteur, dissèque chaque trait, repère et examine les anfractuosités au creux desquelles il s'engouffre. Esquive, ferre, revient à la charge. « il sait où peser, agir, faire mal. Et met son auditoire en caleçon, détaille un collaborateur. Son intégrité morale le retient néanmoins de manipuler».

Caméléon, il s'adapte à l'environnement, aussi à l'aise avec l'exubérance artificielle de Saint-Tropez qu'avec les paysans du Puy-de-Dôme. La manière dont il s'est emparé en 2006 de 47% de Sepel - détenue à 53 % par la CCI de Lyon - société d'exploitation d'Eurexpo, demeure dans la mémoire des initiés. Preuve que de la ruse à la manipulation, l'interprétation est large... Dans le dos de Regis Pelen, il rachète en effet les parts détenues par les banques, encercle les décideurs en poste, et obtient le sésame. Une revanche pour celui qui ruminait de s'être fait traité quelques temps plus tôt par sa victime d'un cinglant « Monsieur le fournisseur »...

« Là encore il avait un coup d'avance. Tout un art », sourit un adjoint à la Ville de Lyon, par ailleurs conscient de l'ostracisme dont une partie des concurrents locaux de GL Events se dit frappée. « Lorsqu'il récupéra la gestion d'Eurexpo, il monta à plusieurs reprises sur la scène des manifestations qui s'y déroulaient par la suite. Comme pour afficher ostensiblement que dorénavant c'était « son » territoire. Ce bulldozer fonctionne en rapport de forces, aussi subtil soit-il. Face à lui, il faut « peser ». Sinon, on est dévoré. De même, il faut être vigilant lorsqu'on se place en position de « demandeur». Car son réflexe est de mettre sa contribution en balance pour mieux exploiter le déséquilibre. Toutefois de manière toujours franche et claire ».

Management carencé

Au sein de GL Events, le management concentre les ambiguïtés et les paradoxes de l'extrême personnification de l'entreprise, de la relation symbiotique et passionnée que le fondateur - il possède 50% de Polygone SA, elle-même propriétaire de 55,2% du capital de GL Events, le public se partageant 39,7% et la Banque de Vizille détenant 5,1% (et 5% de Polygone SA) - au caractère entier entretient avec l'âme du groupe. L'éponymie, à défaut d'être traduite en mots, est éclatante.

Adepte d'une forme de paternalisme moderne, mêlant dirigisme et consensus, faisant du mensonge un cas « non négociable » de licenciement, Olivier Ginon est au confluent de deux familles, et donc de deux héritages identitaires et comportementaux : celui, paternel, d'une lignée de notaires, bourgeois, urbain, racé ; celui, maternel, des Prénat, concentre la rudesse symptomatique de l'industrie lourde des hauts fourneaux de Givors. Son management épouse cette alchimie.

Un caractère éruptif, parfois cassant et brutal, un tempérament soupe-au-lait mais peu rancunier, le rejet pour ses collaborateurs de toute docilité et de toute prévisibilité mais l'exigence de s'approprier la décision ultime, une intransigeance qui le propulse dans des arbitrages injustes mais qu'il regrette et panse par la préoccupation «d'accompagner».

Et, analyse un ancien haut dirigeant, un déplacement managérial « en crabe » fondé sur la juxtaposition des cercles concentriques que forme la hiérarchie de ses proximités. Bref, une somme d'ambivalences et d'incohérences qui singularise la dualité des convictions et de leur application.

«Le management demeure celui d'une petite PME », synthétise un cadre.

Avec ses forces - autonomie, confiance, réactivité », résume Xavier Perroux, et une charpente directionnelle composée de fidèles -. Ses particularismes : « II accorde une attention plus grande aux collaborateurs opérationnels et entrepreneurs qu'aux fonctionnels », se remémore Bruno Rollet, qui fut directeur financier de 1995 à 2001. Et ses carences, masquées par la vélocité entrepreneuriale, l'audace, l'émotion, emblématiques du groupe. Parmi elles, une instantanéité et une solitude décisionnelles parfois contre-productives. Aussi la complexité et la compartimentation, voire la confusion et l'illisibilité des centres de décision. Comme pour assurer au fondateur d'être le seul chef d'orchestre à même de contrôler chaque parcelle d'un ensemble fragmenté. Comme pour assouvir le besoin de concentrer entre ses mains toutes les décisions, jusqu'aux plus subalternes, témoignage rassurant de son utilité, preuve de l'irréfragable dépendance de l'entreprise à lui-même, récompense de ce qu'il adonné, investi, subi, risqué.

« Les collaborateurs sont mobilisés pour servir, protéger l'image et la réputation de ce que le fondateur a bâti », décortique un cadre.

Ce qu'Olivier Roux corrobore. « Il est l'âme de l'entreprise, la première des plus-values. Ma responsabilité - et celle des salariés - est donc de capitaliser sur sa personne ». Une démarche « d'autant plus essentielle » que l'entreprise croit fortement et intègre des cohortes de nouveaux collaborateurs aux yeux desquels Olivier Ginon constitue le ciment culturel, l'empreinte génétique, les repères historiques.

« L'objectif n'est pas de faire briller Olivier pour lui-même, mais de mettre en lumière, comme un phare, tout ce qu'il représente en terme de fondamentaux de culture, de leadership ».

Le co-fondateur ne le conteste toutefois pas : Olivier Ginon est à la croisée des chemins. En jeu : concentrer son investissement là où sa plus-value est la plus manifeste, la stratégie et le développement, et se délester progressivement d'une omniprésence opérationnelle de moins en moins compatible avec l'envergure et les aspirations du groupe. Le gourmand saura-t-il se retenir?

Avec Jean-Michel Aulas c'est "je t'aime moi non plus"

Il se défend de toute discordance, de toute animosité avec le président de l'Olympique Lyonnais. Dans son proche entourage, on assure le contraire. « Et pour cause : les valeurs qu'Olivier Ginon et Jean-Michel Aulas portent et qui les construisent sont très différentes même aux antipodes » résume un collaborateur du premier nommé.

Et les conditions dans lesquelles le patron de GL Events fut amené à « sortir » du capital du club lyonnais lors d'un remembrement préparatoire à l'intronisation de Pathé, n'y sont pas étrangères. L'engagement d'Olivier Ginon dans le développement du Lyon Olympique Universitaire (LOU) - d'environ 1 million d'euros par an - n'a pas répondu qu'aux seules « pressions amicales » de Gérard Collomb. Eriger un complexe rugbystique - sport auquel il était jusqu'alors étranger - constitue « aussi » matière à rivaliser - toutes proportions gardées - avec l'ambition sportive, infrastructurelle et industrielle de Jean-Michel Aulas dans l'Olympique Lyonnais.

Si les deux hommes ne semblent effectivement guère proches, en revanche les deux dirigeants d'entreprise se respectent, et ont saisi l'intérêt d'une coopération constructive dans un territoire lyonnais qu'ils fertilisent substantiellement. Administrateur de l'OL, Olivier Ginon a mobilisé son groupe dans le Club des Vingt et au capital (désormais de moins de 1%) d'un établissement dont l'essor industriel et de la qualité de gestion forment une cohérence - à défaut encore d'un terrain fécond - avec le redimensionnement stratégique de GL Events dans les événements sportifs, initié lors de la Coupe du Monde 1998 et consolidé deux ans plus tard à l'occasion des JO de Sydney.

Amarré à Lyon. Pour longtemps.

GL Events restera-t-il à Lyon ? Le siège de Brignais (650 salariés), les locaux du Centre des congrès (220 collaborateurs) et le site d'Eurexpo (50 personnes) ne rassemblant plus qu'un quart des effectifs du groupe, l'agglomération lyonnaise hébergeant moins de 20% de l'activité consolidée, et le vœu expansionniste international semblant davantage être exaucé à partir de Paris (où le siège local emploie 180 salariés et les antennes périphériques plus de 1 000 personnes), l'interrogation n'est pas saugrenue.

Les raisons qui arriment le groupe entre Rhône et Saône sont toutefois solides: d'une part l'attachement du fondateur à« sa » ville, consolidé par une psychologie que le besoin d'enracinement et de stabilité personnels, familiaux, amicaux, domine. D'autre part, une relation étroite et amicale avec le Maire de Lyon, Gérard Collomb, qui germe quelques semaines avant l'élection de 2001 lorsqu'au cours d'un déjeuner le dirigeant annonce au futur édile qu'en cas de victoire « il s'investira dans une collaboration sincère, franche, utile aux deux parties ». Les conditions d'ancrage local de GL Events ne sont toutefois pas qu'affectives.

Ancrages locales

Elles se composent d'un entrelacs d'intérêts stratégiques, humains, identitaires qui assurent concomitamment à Olivier Ginon une position et une reconnaissance sociales appréciées.

« Peu importent les raisons et les conséquences. Ce qui compte, c'est que GL Events constitue une formidable locomotive pour l'activité économique et l'image internationale de l'agglomération. Ce degré d'implication locale - y compris dans sa dimension citoyenne et sociétale - de la part d'un patron aussi amoureux de sa ville est suffisamment rare pour qu'il soit remarqué, compris. Encouragé. », indique Guy Mathiolon, président de la CCI de Lyon. « Et, complète Rémy Weber, président du CIC Lyonnaise de Banque, protégé. L'entreprise et son dirigeant constituent un si puissant levier d'attractivité que nous devons tout faire pour les laisser en paix ».

Olivier Ginon date au 30 juillet 1988, jour de l'incendie qui ravagea son entreprise, la dernière opportunité de déménager à Paris.

« Je ne regrette pas d'être resté. De Paris nous nous serions focalisés sur le marché local, alors que de Lyon notre développement exigeait une prospection nationale et internationale, l'exploration de nouveaux métiers, et la culture d'une grande proximité avec les clients. Ce qui fait l'identité du groupe aujourd'hui ».

Formant corps avec son entreprise et Lyon, en faveur de quelle partie de lui-même arbitrerait-il en cas de conflit ? « Difficile de répondre, confie un élu lyonnais. L'ambiguïté et les tergiversations sont parfois palpables. Et sa loyauté envers Lyon à quelque reprise suspecte. Comme lorsque dans le cadre du Bureau des Congrès, chargé de promouvoir l'offre lyonnaise en matière d'événements - et que GL Events subventionne à hauteur de 300 000 euros par an, soit près de la moitié du budget, ndlr -, l'un de ses commerciaux n'hésita pas à rapidement orienter vers son site de Barcelone un prospect étranger hésitant à retenir Lyon... ». Ce qui n'émeut pas François Gaillard, directeur général de l'Office du tourisme. «Je ne vois pas d'obstacle à ce qu'un événement non calibré pour Lyon trouve sa place ailleurs. Et n'oublions pas ce que la ville doit à GL Events: le chiffre d'affaires du Palais des Congrès a doub.lé en deux ans, la professionnalisation de l'offre a crédibilisé Lyon au plan international, l'activité (50 millions d'euros) générée dans le cadre du Bureau du Congrès est cinquante fois supérieure au budget mobilisé.»

Un modèle économique redoutable. Et redouté.

L'activité de GL Events est scindée en trois métiers: la gestion des sites (Eurexpo et Centre des congrès à Lyon et vingt-six autres lieux dans le monde) l'organisation d'événements, la livraison des prestations (son lumière, mobilier en attendant la restauration et l'acquisition du traiteur Jean-Paul Pignol ?) développées au gré d'une intense politique d'acquisitions.

Le « génie » entrepreneurial et précurseur d'Olivier Ginon réside dans l'intégration verticale de ces pôles en rupture dans un secteur d'activités jusqu'alors atomisé et compartimenté.

« Celui qui possède le lieu devance la concurrence. C'est là toute la science visionnaire d'Olivier Ginon. Bravo! », reconnaît, admiratif, Frédéric Cilla, directeur général de Quorum Production (douze collaborateurs, 2,5 millions d'euros d'activité).

« La vista, la faculté d'être différenciant, la capacité d'anticiper et d'amorcer le virage stratégique avant tout le monde » plébiscitées par Olivier Roux, son président les initie au début des années 2000, lors qu'il repère dans les agglomérations l'insuffisance des équipements et des compétences pour gérer les lieux de congrès. Un travail de fourmi est effectué auprès des élus locaux - responsabilité qui incombe notamment à Jean-Eudes Rabut, ancien proche de Jacques Chirac - et les premiers contrats d'exploitation voient le jour. Qui grâce aux lucratives passerelles établies désormais entre les métiers et à l'arborescence des synergies, démultiplient mécaniquement l'activité consolidée du groupe.

Au prix d'un « encerclement » des clients et du mécontentement de certains d'entre eux. Ce que Renaud Hamaide directeur général du concurrent parisien ViParis (groupe Unibail-Rodamco) ne dément pas. Vincent Gaillemain fondateur de l'agence d'évènements Ontario (DDB Nouveau Monde) dissèque le processus : « Lorsqu'un client décide d'organiser un évènement, il cherche d'abord le lieu. Si celui qu'il négocie est Eurexpo, son interlocuteur commercial va « l'orienter » vers les autres enseignes du groupe en mesure d'assurer l'intégralité de la prestation : conception et scénarisation, relations presse, relations publiques, hôtesses, mobilier, son... Des fournitures qui dégagent de substantielles marges : pour 1€ d'espace loué, le client investit  en moyenne 2€ de prestations techniques. Cette logique commerciale emploie des pratiques respectueuses de la législation, mais facilement coercitives. Ainsi, certains postes sont retirés ou maintenus au gré du choix final du client. L'étau se resserre, le modèle est verrouillé ».

Cadenassé

Personne ne conteste que les enseignes de GL Events soient automatiquement sollicitées lors des événements orchestré par le groupe. La grogne enfle lorsque la problématique oligopolistique voire hégémonique porte sur les sites exploités dans le cadre de concessions ou de délégations de service public.

« C'est un détournement de fonds publics au bénéfice d'une entreprise privée, assène Frédéric Cilla. Le système est cadenassé. Ces bâtiments ont été construits et sont administrés avec des deniers publics auxquels moi-même, contribuable, participe mais  dont je suis exclu en ma qualité de prestataire industriel. Or les lieux exploités par GL Events capturent 70% de l'activité événementielle B to B ou B to C. Sans compter les compétences humaines - notamment la cohorte d'intermittents à laquelle l'employeur ne propose aucun salariat en dépit d'une taille et d'une organisation qui le permettraient - aspirées par les enseignes du groupe. Ainsi, les prestataires locaux ont perdu 40 % de leur activité. Comment la Ville a-t-elle pu faire preuve d'une telle cécité, d'une telle complicité?».

Blandine Peillon, qui dirigea l'agence d'hôtesses Charlestown jusqu'en 2007, avait « tout tenté », envoyé « tous les documents nécessaires » pour référencer sa société au Palais des Congrès. « En vain. Et lorsqu'Eurexpo tomba dans l'escarcelle de GL Events, nous perdîmes le marché Lyon Mode City. Récupéré comme tous les autres par l'agence Profil, propriété du groupe. Lorsque nous arrivions tout de même à travailler grâce à nos clients qui passaient outre le « pack de prestations » proposé et nous imposaient, nous évoluions dans des conditions matérielles peu commodes. L'entreprise s'en est sortie en investissant dans une politique et une équipe commerciales agressives ».

« Ce procès d'intention est fallacieux, réplique Xavier Perroux, responsable commercial - et délégué FO - chez GL Events. J'en veux pour preuve les marchés « signalétiques » que j'ai perdus au Palais des Congrès ou au Château de Saint-Priest. Et pendant trois ans, pas une seule fois je n'ai réussi à faire retenir mes offres à la Halle de Clermont-Ferrand ». De son côté, Olivier Ginon assure «qu'aucun prestataire n'a disparu à Lyon», considère que les « râleurs feraient bien de risquer davantage plutôt que d'attendre passivement que l'activité vienne à eux », enfin estime « qu'en faisant grossir le gâteau plutôt qu'en le découpant en l'état, c'est toute la communauté lyonnaise du secteur qui en tirera profit ».

« Les prestataires font l'objet d'un traitement inégal, mais on constate un assouplissement significatif des pratiques, par ailleurs nettement moins rigides que chez Unibail » observe un régisseur indépendant.

Même l'installateur XPO, propriété du dauphin du secteur, Créatifs, parvient - certes dans la difficulté - à travailler au Centre des Congrès. Avant le dernier renouvellement de l'appel d'offres de ce dernier, un protocole a d'ailleurs été conclu, qui édicte l'agrément des prestataires indépendants et leur accès, au moins potentiel, aux espaces gérés par GL Events.

« Un écran de fumée, une illusion sans effet qui permettent d'enterrer officiellement le problème », peste Frédéric Cilla.

« L'ouverture à une amélioration sensible des relations, tempère Vincent Gaillemain. Les entraves à l'emploi de mes propres fournisseurs se lèvent ». Et de concéder qu'en dépit des vicissitudes secrétées par un tel leadership, la désignation de GL Events aux commandes d'Eurexpo a « favorisé » la dynamisation et la professionnalisation du site «autrefois» déliquescentes.

« Croyez-moi, les salariés de Sepel s'en félicitent », assure Guy Mathiolon, président d'une CCI de Lyon qui détient 53 % de la société d'exploitation du site.

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