Les dégâts du principe de précaution sur la science : « Il est urgent de se ressaisir »

Par Maurice Tubian, professeur de médecine, membre de l'Académie des Sciences, président honoraire de l'Académie Nationale de Médecine.

Depuis 2004, le Principe de précaution (PP) est intégré, via la Charte de l'Environnement, dans la Constitution. Les médecins, l'Académie de Médecine, les scientifiques ont exprimé leur circonspection à ce sujet et l'expérience augmente leurs craintes. Depuis Hippocrate, la médecine se fonde sur la comparaison pragmatique des risques et des bénéfices de tout acte médical puisqu'il n'en existe pas qui soient efficaces et dépourvus de risque. La considération des seuls risques peut causer des catastrophes. Ainsi, au nom du PP on a arrêté, en 1998, la vaccination contre l'hépatite B en milieu scolaire parce que certains médecins redoutaient qu'elle puisse accroître le risque de sclérose en plaque. Aucune étude n'a confirmé ce risque. Et même s'il s'avérait plausible, il serait très en deçà des bénéfices de la vaccination. Résultat, plusieurs centaines d'enfants mourront d'une contamination qui aurait pu être évitée. La prévention des accidents sanguins des transfusions a connu la même issue.

Autre exemple, la lutte contre la maladie de la vache folle et son homologue chez l'homme. Au nom du PP on abat l'ensemble du troupeau dès qu'un cas est repéré. Aucun argument scientifique ne justifie une telle mesure que la France est seule à mettre en œuvre. Son coût financier et psychologique (pour les éleveurs) est considérable. Pis, les recherches entreprises pour évaluer l'efficacité de cette mesure ont été arrêtées. Les précautions prises pour lutter contre le prion coûtent 1,5 milliard d'euros par an ; or depuis 1993, seuls treize cas ont été décelés chez l'homme. Ces mêmes sommes affectées aux hôpitaux, par exemple dans la lutte contre les infections nosocomiales, auraient évité des milliers de décès chaque année.
Les exemples «hors» santé, épargnée par la charte de l'environnement, ne manquent pas. A la fin du XIXème siècle, on a drainé les marécages dans les régions méditerranéennes pour accroître la superficie des terres cultivables et éradiquer le paludisme. Ces deux objectifs ont été atteints. Le PP aurait rendu cela impossible car l'opération aurait été accusée de rompre des équilibres biologiques et les avantages n'auraient pas été pris en compte. D'autre part, comment aurait-on pu électrifier la France au début du XXème siècle si l'on avait pris en compte les risques des champs magnétiques et électriques? Ceux-ci sont certes très hypothétiques mais c'est le rôle du PP que de prendre en compte les risques incertains. La rationalité a du bon.

Les Académies des Sciences et de Médecine avaient fait deux propositions :
- réintroduire dans le texte, conformément à l'usage international, la prise en compte des avantages à côté de celle des risques et évaluer le rapport coût/bénéfice de toute action.
- préciser dans une loi, comme cela a été fait pour les autres articles de la Charte, les modalités de mise en œuvre du PP. Après maintes discussions, ces amendements n'ont pas été retenus.

 

Le principe de précaution pénalise l'économie

L'expérience du PP depuis son vote confirme trois inconvénients :

  • Le PP n'a pas rassuré la population, et il a renforcé les réticences devant la science et les innovations technologiques. L'ampleur des précautions a semblé conforter la grandeur des risques. La science a, depuis deux siècles, accru immensément le niveau et la durée de vie. Croire qu'on peut avoir uniquement les avantages en supprimant les risques encourage l'utopie. Il n'y a pas de progrès sans inconvénient L'avenir de la France et de l'Europe repose sur la capacité d'innovation technologique. L'Asie compte deux milliards de personnes aussi bien formées qu'en Europe, qui travaillent pour des salaires dix fois inférieurs. Nous ne pourrons maintenir notre position internationale que grâce à notre inventivité, notre dynamisme, et notre créativité technologique; - c'est le cas du Japon.
  • Comme le fait l'ensemble de nos compétiteurs, nous devrions valoriser nos scientifiques. Or ils ont l'impression qu'on se méfie d'eux. Les rapports académiques montrent l'utilité de pousser les recherches dans le domaine des OGM. Or elles ont été accusées d'être vendues à l'industrie agroalimentaire et leurs recommandations sont ignorées. Récemment, le tribunal d'Orléans a, au nom du PP, acquitté les arracheurs de plants de maïs transgéniques cultivés avec l'autorisation de l'Etat, au motif que ceux-ci pouvaient menacer l'environnement, mais sans tenir compte de l'intérêt de ces recherches. Des Etats-Unis au Brésil, plus d'un milliard d'hommes consomme chaque jour des OGM sans que ces prétendus risques aient pu être mis en évidence.Autre exemple, la recherche en génétique humaine. Le clonage thérapeutique constitue l'une des voies les plus prometteuses. Au nom de la bioéthique et du PP, on l'a interdit en France. En dépit de découvertes permettant de surmonter certains reproches théoriques sur la facilitation du clonage reproductif, le clonage thérapeutique demeure tabou. Les préjugés antiscientifiques sont plus forts que les faits. Cette attitude accroît le malaise de la communauté scientifique française, en particulier celui des jeunes. Dans la plupart des pays, les chercheurs sont considérés comme l'élite et l'espoir de la nation. En France, non seulement leurs salaires sont misérables, mais on les traite comme des apprentis-sorciers. Si bien que dans les branches les plus critiquées (physique nucléaire, génétique) le nombre d'étudiants de haut niveau diminue au point de menacer le renouvellement des enseignants.
  • L'innovation technique ne permet de créer des emplois que si l'industrie exploite les recherches. Or le PP décourage les industriels et la recherche appliquée. Pourquoi développer de nouveaux produits alors qu'ils sont à la merci d'une campagne médiatique les accusant de menacer l'environnement? Les décisions aberrantes prises par le ministère de l'agriculture contre les insecticides Gaucho et Régent accusés - sans preuve - de nuire aux abeilles, ne vont pas les rassurer. Les tribunaux français ont pris des jugements déconcertants et le choix des experts qui les ont inspirés pose des interrogations. Il est encore temps de se ressaisir, de rechercher avec les juristes la manière de limiter les risques que le PP fait courir à la recherche et à l'industrie française. Lors de la séance solennelle de l'Institut de France, Renaud Denoix de Saint-Marc, vice-président du Conseil D'état, a récemment cité Soljenitsyne: « Le déclin du courage est ce qui frappe le plus un regard étranger dans l'Occident... (Il) est particulièrement sensible dans la couche des dirigeants et dans la couche intellectuelle dominante». Le PP illustre cette terrible opinion.

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