Quand la jeunesse se lève

A moins d'un mois de l'élection présidentielle, Acteurs de l’économie-La Tribune a souhaité comprendre, comment et par quel moyen la jeunesse française, dynamique, énergique et combative, néanmoins trop souvent absente du débat politique, s’engage pour bousculer l’ordre établi. Marquée par un chômage massif, souffrant d’une image peu flatteuse auprès des générations aînées - suspectée d’être peu ou pas mobilisée - cette jeunesse pourtant s’engage via des modes alternatifs (réseaux sociaux, entrepreneuriat social et solidaire, engagement hyper local) qui échappent aux politiques publiques et aux dispositifs traditionnels d’évaluation. Des investissements protéiformes dont les valeurs sont aussi fortes que plurielles.
Une jeune fille lors d'une manifestation à Lyon contre la loi travail.

Jeunesse, nom féminin : "Période de la vie entre l'enfance et l'âge mûr chez l'homme." Une période de transition, si l'on se fie à la définition stricte du dictionnaire. Une définition que complète le Forum français de la jeunesse, prenant en compte les disparités de situations et les réalités diverses des personnes concernées. Structure rassemblant les principales organisations nationales gérées et animées par les jeunes, associatives, syndicales, politiques et mutualistes, le FFJ désigne la jeunesse comme une "période de transitions de différents ordres : passage du domicile familial au domicile autonome, transition vers la mise en couple, temps entre la fin de la scolarité obligatoire et l'acquisition d'un emploi stable, mais aussi temps d'apprentissage de la citoyenneté".

Espace de réflexion et de concertation des jeunes, le FFJ a émis six avis et une centaine de propositions thématisées afin de construire des propositions relatives aux problématiques de cette génération ("Représentation des jeunes en France",  "Nouvelles politiques en direction des jeunes", "Droit à la santé", "Vote et participation des jeunes", "Formation et insertion professionnelles", "Enjeux climatiques et environnementaux").

Difficultés

La jeunesse est donc une situation de passage, que Michel Fize, sociologue, chercheur au CNRS, spécialiste des questions de l'adolescence, de la jeunesse et de la famille, auteur de Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), délimite en ces termes :

"La « jeunesse » est une dénomination générique. Elle recouvre une pluralité de situations et des conditions qui varient selon les origines sociales et les parcours scolaires, notamment. Il n'existe donc pas d'unicité de situations de la jeunesse. Cela dit, je m'interdis de parler « des » jeunesses, un pluriel qui laisserait considérer que nous assistons à un éclatement de ces situations et une impossibilité de connexions entre elles. Au final, la jeunesse recouvre des situations diverses au sein d'une seule et même génération qui possède les mêmes aspirations et rencontre les mêmes difficultés."

Campagne ADE

Et face à ces difficultés, la génération jeune est unanime quand elle parle d'elle-même : le regard que portent les jeunes sur le destin de leur génération est extrêmement sombre. Vingt ans n'est pas le plus bel âge de la vie, pensent-ils majoritairement (à 51 %), selon l'enquête "Génération quoi ?" menée auprès de 210 000 jeunes et conduite par deux sociologues de la jeunesse, Cécile Van de Velde et Camille Peugny, alors maîtres de conférences respectivement à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et à l'université Paris-VIII. Les mots-clés librement choisis pour définir leur génération sont édifiants : "sacrifiée", "perdue". Et encore (après "Y", "internet", "connectée"), "désabusée", "désenchantée", "galère"...

"La jeunesse fait face à des difficultés persistantes, génération après génération, constate Michel Fize. À commencer par la réussite scolaire, qui demeure ciblée, l'élite parvenant globalement toujours à s'en sortir. Une autre difficulté réside dans l'accès au monde de l'emploi, plus ou moins facilité selon que vous êtes issus d'un milieu social favorisé ou non, ou d'une zone géographique spécifique. Le chômage des jeunes est un chômage de masse : près d'un quart de la population active juvénile est actuellement sans-emploi. La jeunesse demeure par ailleurs sous le joug de la précarité, enfilant les CDD comme des perles."

Acte volontaire

Pourtant, "certains jeunes continuent, malgré cette absence de perspectives, de s'engager « positivement », relève le sociologue. C'est sans doute ici que des traits de caractère et de personnalité entrent en ligne de compte. En dépit de la noirceur de sa situation, cette jeunesse demeure combative, trace sa route et construit son destin". La jeunesse qui s'engage possède au moins trois qualités tient à rappeler Brieuc Guinard, président, à 28 ans du MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne), géré et animé par des jeunes âgés de 13 à 30 ans : "Volonté, ténacité et sens du collectif ".

Mais qu'entendre par engagement ? D'emblée, il peut sembler difficile de définir et de circonscrire cette notion. "Or c'est bien à ce préalable que nous avons été confrontés lors de la rédaction du rapport", confie Beligh Nabli, universitaire, enseignant-chercheur en droit public, co-auteur du rapport "Reconnaître, valoriser, encourager l'engagement des jeunes". Commandé à France Stratégie et remis au ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports Patrick Kanner en juin 2015, ce rapport lance 25 pistes pour favoriser l'engagement des jeunes dans la vie publique.

"Il n'existe pas, a priori, de définition consensuelle de l'engagement, ajoute Beligh Nabli. C'est pourquoi nous avons dû construire notre propre définition. Ce qui nous a semblé essentiel et fondamental, c'est qu'il s'agit d'un acte volontaire. Cette condition préalable est essentielle : elle exclut des actes d'engagement tous les actes contraints, rendus obligatoires par des dispositifs à l'endroit des jeunes qui ne relèvent pas, bien que présentés parfois comme tels, de dispositifs d'engagement. Car c'est bien l'acte volontaire qui caractérise l'engagement. Celui-ci peut être animé par des convictions ou des valeurs diverses, mais il doit procéder d'une liberté et non d'une obligation."

Tendre vers un idéal

Au sein de l'Institut de l'engagement, il n'existe pas non plus une seule définition de l'engagement. "L'engagement est par nature trop multiple pour répondre à une définition unique", reconnaît Claire de Mazancourt, sa directrice, qui a pour mission de donner un avenir à certains jeunes repérés pendant leur Service civique (période de volontariat), et les aide à mener à bien un projet d'avenir : formation, recherche d'emploi ou création d'activités.

"L'engagement pourrait néanmoins correspondre à une force vitale qui permet à un individu ne pas rester spectateur mais de s'impliquer activement pour faire bouger les choses."

Majdi Chaarana, président de l'Unef Lyon (Union nationale des étudiants de France), âgé de 20 ans, confirme : "S'engager, c'est agir. C'est entreprendre une aventure et faire en sorte qu'elle se concrétise par une réussite. C'est devenir acteur et ne pas demeurer spectateur, pour tenter de changer les choses et bousculer l'ordre établi." De concert, Claire de Mazancourt :

"L'engagement correspond à une envie d'agir pour porter des projets qui ne sont pas individuels mais, au contraire, qui permettent de répondre à des besoins de la société. Ces projets peuvent s'inscrire de manière naturelle dans le champ de l'économie sociale et solidaire, mais également dans une économie lucrative et dans un contexte concurrentiel, dans un établissement d'enseignement ou dans une association aussi bien que dans une entreprise."

Pour Brieuc Guinard, "s'engager, c'est d'abord faire un choix, celui de s'investir pour une mission ou une cause, dans une association ou un parti politique, par exemple, ou à travers un mandat électif. C'est aussi faire un choix de société qui tende vers un idéal."

service civique

Chez les jeunes, l'engagement est multiple.

Et Milena Lebreton-Chebouba, déléguée générale du Forum français de la jeunesse, confirme :

"L'économie sociale et solidaire est un secteur prisé par la jeunesse pour tenter de nouvelles aventures et lancer des projets entrepreneuriaux qui répondent directement aux grands enjeux sociétaux."

L'entreprise traditionnelle ne fait plus rêver les jeunes, ou alors beaucoup moins que ses aînés, indique Thibault de Saint-Simon, directeur de la communication et du développement durable au sein d'Aviva, par ailleurs en charge de la Fabrique Aviva. Celle-ci a permis de soutenir financièrement 183 projets, dont une part importante conduite par de jeunes entrepreneurs. "Entamer une aventure, qui plus est collaborative, qui puisse donner un sens à l'action, et ce dans une logique économique, est fondamental pour bon nombre de jeunes au sortir de leur parcours de formation. Les projets que nous avons soutenus portent tous cette notion de sens et de responsabilité sociétale et environnementale."

Lire aussi : La Fabrique Aviva : un million d'euros pour l'entreprenariat solidaire et social

Préjugés

Il existe cependant un contraste, un décalage, entre d'un côté ce désir d'engagement, protéiforme et réel chez les jeunes, cette quête de sens, et de l'autre, une représentation, de la part d'un pan de la société, d'une jeunesse désengagée ou, à tout le moins, qui ne serait pas ou peu engagée.

"La jeunesse souffre d'un niveau de défiance assez élevé de la part de ses aînés. Nous demeurons dans une vision assez négative des jeunes, à qui il manque toujours quelque chose par rapport à la référence adulte : déficit d'expérience, déficit de maturité, déficit de sagesse", déplore Michel Fize.

Or, "il faut absolument lutter contre les préjugés établis et fatalistes à l'endroit de la jeunesse, engage Sabine de Beaulieu, déléguée générale de l'association Jeunesse et Entreprise, dont le but est de généraliser et d'améliorer l'apport des entreprises à l'information, à la formation et à l'insertion des jeunes. Car les jeunes disposent d'une capacité, presque innée, de rebond et de réaction, et d'un formidable potentiel d'innovation." Et Beligh Nabli d'avoir "constaté ce décalage entre la réalité et ce qui relève de la perception. Celle-ci rejoint celle plus globale et plutôt négative de la jeunesse, comme le révèlent fréquemment les sondages d'opinion. Ce décalage s'explique par les formes d'engagement de la jeunesse. Celles-ci ne sont pas forcément visibles ou adaptées aux cadres institutionnels ou aux dispositifs existants."

Engagement alternatif

Dès lors, les modes d'expression des opinions ou les façons de concevoir des opérations, en s'appuyant notamment sur les technologies de l'information et de la communication ou les réseaux sociaux, privilégiés par les jeunes, constituent des modes d'engagement qui ne sont pas classiques et échappent aux dispositifs publics. Or ceux-ci, informels, parfois ponctuels, caractérisent celui des jeunes. "Par rapport aux formes traditionnelles d'engagement, à commencer par le vote et la participation électorale, on observe une distanciation de la part de la jeunesse qui ne privilégie pas ou plus les formes classiques d'action", ajoute le chercheur, rejoint par Milena Lebreton-Chebouba :

"L'engagement de la part des jeunes emprunte aujourd'hui des voies alternatives, via les réseaux sociaux, par exemple, ou dans le cadre de projets et d'actions concrets très localisés, à l'échelle d'un quartier."

Ce que confirme Brieuc Guinard : "Nos engagements et nos modes d'action diffèrent de ceux des générations aînées, à qui ils échappent parfois". D'où la difficulté de le percevoir et de le mesurer.

L'envie d'engagement existe réellement chez les jeunes. "Les valeurs auxquelles il sont attachés sont très fortes. Le problème de l'engagement des jeunes réside donc davantage dans la nature des dispositifs censés encourager et favoriser les formes d'engagement", souligne Beligh Nabli.

"La jeunesse cherche un sens aux actions qu'elle engage. Les jeunes se révèlent attachés à des valeurs humaines et sociales très fortes. Ils apparaissent en quête d'idéal", confirme Sabine de Beaulieu.

L'engagement politique et civique est un exemple concret. "L'idée d'une limitation plus stricte du cumul des mandats vise à faciliter la représentation des jeunes au sein de la représentation nationale, expose Beligh Nabli. C'est une manière de promouvoir le rajeunissement des institutions démocratiques et d'améliorer la représentation de la jeunesse comme segment du corps social." Michel Fize relève par ailleurs qu'il incombe à la classe politique dirigeante de fixer des perspectives d'avenir aux jeunes dans leur ensemble.

"Dans le cas contraire, nous pouvons assister à une radicalisation de franges de la jeunesse, tentées par le vote frontiste, par l'engagement djihadiste, alors synonymes d'aventure aux yeux de ces jeunes. Ces engagements font figure de compensation à une société mal-accueillante. Or, il est impératif de se soucier de notre jeunesse, en perte de sens, de repères et d'espoirs, sans réelles perspectives d'avenir ou alors peu glorieuses. Notre société leur refusant notamment l'emploi, elle leur refuse du même coup la construction d'une identité positive."

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