Le bonheur est dans Lofoten

La notion de bonheur en entreprise est désormais bien plus qu’un phénomène : une réelle manière de penser les organisations autrement, au profit partagé du salarié et de l'employeur, et à condition d'être fondée, authentique et sincère. Illustration au sein de la PME Lofoten.
Une politique sociale tournée vers l'humain et un développement patient : les fondamentaux sur lesquels le patron Eric Vialatoux et ses salariés fondent la culture Lofoten.

Il aurait pu gravir les échelons du Centre national d'études spatiales de Toulouse. Là, une belle carrière lui tendait les bras. Finalement, après dix années à penser des projets de longue durée, Éric Vialatoux a préféré prendre une autre direction, celle de l'entrepreneuriat. Son « coup de grisou », comme il le dénomme. Au milieu des années 1990, il fait le choix de repartir de zéro et de se lancer le défi de créer son entreprise, artisanale. De l'artisanat avec le regard de l'ingénieur.

« L'idée était de créer une activité de transformation de la matière, en l'occurrence le bois - qui offre des possibilités techniques incroyables -, de la production à la commercialisation en mettant en place des processus de production, et plaçant les hommes au cœur du système. »

Un saut dans le vide qui n'a en rien effrayé ce natif de l'ouest lyonnais.

« J'aime les choses nouvelles, prévient-il. Et puis, la gestion d'une équipe spatiale et celle d'une entreprise sont relativement proches, à cette seule différence peut-être : la casquette de chef d'entreprise est plus large ! »

Si bien qu'après avoir travaillé sur des satellites, il démarre l'aventure Lofoten - du nom des îles norvégiennes sur lesquelles il s'est rendu à plusieurs reprises.

Bonne santé

Avec sa femme, il se lance dans la fabrication de meubles, d'abord à Toulouse, puis déménage rapidement dans sa région natale, à Yzeron, dans le Rhône. Face à l'engouement, il recrute 12 salariés. Dès 2003, après le rachat d'une autre société, il s'installe à quelques kilomètres, sur la commune de Thurins. Embauche après embauche, il atteint la barre des 55 salariés à ce jour. Aujourd'hui, Lofoten enregistre un chiffre d'affaires de six millions d'euros, réalise des commandes pour de grands comptes, telles que les loges du Parc Olympique Lyonnais ou encore les menuiseries dans le cadre de la réhabilitation de la prison Saint-Paul, à Lyon.

Une bonne santé qui résulte à la fois d'une politique sociale tournée vers l'humain et d'un développement « patient », selon le terme du dirigeant. « Deux fondamentaux » qui guident la PME vers une croissance continue à deux chiffres, consolidant la structure, en particulier durant la crise économique. « Nous n'avons procédé à aucun licenciement, se félicite Éric Vialatoux, ajoutant fièrement : Depuis, je refuse même des chantiers. »

Lofoten, entreprise libérée / Un salarié

Lofoten compte aujourd'hui 55 salariés, pour une croissance à deux chiffres. Une bonne santé qui résulte d'une réelle politique sociale. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

La situation est également le fruit d'une stratégie mûrement réfléchie, reposant sur l'abandon de la fabrication de meubles, pour le renforcement de la partie agencement et menuiserie. « La vision patrimoniale du meuble a disparu. De plus, l'arrivée des enseignes à bas coût a eu raison de notre choix », justifie le dirigeant.

Une culture d'entreprise

Constamment en mouvement, à la recherche de nouveautés, Éric Vialatoux affirme avoir pris le contre-pied de l'artisanat classique. Il détonne dans un milieu jugé traditionaliste, au sein duquel, parfois, ébénistes et menuisiers peinent à prendre le virage indispensable à leur évolution et gage de leur pérennité. « Nous prenons le contre-pied de ce qui se fait habituellement. »

Le chef d'entreprise surprend aussi par l'importance de la place qu'il accorde à ses employés, tant dans leur bien-être quotidien au travail que dans leur développement professionnel. Une « culture d'entreprise » qu'il a mise en œuvre dès le départ, décloisonnant toute hiérarchie et offrant alors une grande place à l'autonomie, à la responsabilisation et à la délégation.

De quoi favoriser un climat social serein et une « très bonne » atmosphère de travail, de l'avis général. Une démarche inscrite dans ses valeurs, transmise et portée ensuite par les collaborateurs.

« Ce sont eux qui les diffusent auprès des nouveaux entrants et des clients. Cela est essentiel, tant pour le fonctionnement de l'entreprise que pour notre image », explique, bienveillant, le dirigeant.

Ascenseur social

L'esprit Lofoten est d'ailleurs donné dès l'entretien d'embauche. Elsa, 27 ans, assistante polyvalente depuis six ans, se souvient de la réflexion de son futur patron : « « Le jour où il y a une mauvaise ambiance, j'arrête », m'avait-il dit ! » Une phrase qui résume à elle seule la philosophie qui imprègne, depuis plus de 20 ans, les murs de la PME, au point d'en devenir sa clé de voûte. Mêlant confiance et convivialité, elle donne ainsi à l'ensemble des salariés cette motivation quotidienne. « Nous sommes un vrai groupe. Les gens sont là pour les autres », souligne David, 36 ans, à l'aube de sa 16e année à l'atelier.

David, 36 ans, travaille chez Lofoten

David apprécie la liberté et la responsabilisation que lui offre l'entreprise. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Un climat général né d'une ouverture et d'une confiance qu'Éric Vialatoux accorde à ses collaborateurs, et ce, quels que soient l'individu, son niveau social ou sa qualification. « Ce qui compte avant tout, ce sont la personnalité et le parcours de vie. » Dès lors s'est « naturellement » mis en place l'ascenseur social tirant, vers le haut, les profils volontaires.

Prise de risque

Tom en est l'exemple. À seulement 25 ans, diplômé d'un bac professionnel, il est passé d'ouvrier à chef d'équipe avant de prendre le poste, il y a deux ans, de chargé d'affaires, avec un portefeuille client de deux millions d'euros.

« Je me suis questionné sur mes capacités à occuper ce poste. Puis, poussé par mon envie d'évolution, j'ai accepté la proposition. Étonnamment, l'adaptation s'est faite facilement », souligne le jeune homme, épanoui dans ses nouvelles fonctions.

« Tout le monde peut y parvenir dès lors que le dirigeant accepte la prise de risque et l'ouverture, remarque Éric Vialatoux. Accorder ma confiance à des jeunes de moins de 30 ans, les responsabiliser, cela ne m'empêche pas de dormir, au contraire. » D'autres comme Jean-Louis, 57 ans, ont fait le choix de poursuivre leur carrière au contact de la matière, à l'atelier. « Le côté manuel me manquerait trop. » Avec 37 ans de maison, son rôle est de « faire ce qui est infaisable », ce qui lui demande une grande technicité. Mais surtout, il accompagne les jeunes apprentis et leur transmet son savoir-faire. « Participer à la formation des plus jeunes est toujours gratifiant. »

Conditions privilégiées

Autre source d'épanouissement des salariés, l'autonomie. Chez Lofoten, pas de manager. Les équipes de l'atelier travaillent à plusieurs sur des projets et ce, dans leur intégralité, de la conception à la pose. Ils n'en réfèrent qu'à leur chargé d'affaires, responsable de la commande et donc du client. « Les impliquer dans la chaîne de production les motive davantage », estime Éric Vialatoux. Un argument confirmé par les intéressés.

« Nous avons une pression puisque nous devons rendre un produit de qualité. Néanmoins avec cette liberté et cette responsabilisation, le travail n'a rien à voir. Surtout, il n'est pas routinier », explique David.

Sans compter les outils de production ultra-performants mis à disposition qui offrent, à tous, les conditions idoines de travail. « Notre métier évolue en fonction des nouveautés technologiques, c'est très enrichissant », poursuit, satisfait, le jeune papa.

Lofoten, entreprise libérée

« À 80 personnes, il faudra l'aménager, le faire évoluer. Mais dès lors que vous disposez de personnes impliquées dans leur travail, l'équilibre se fait naturellement ». (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Parmi les autres privilèges soulignés par les employés figurent les conditions générales offertes par l'entreprise. « On retrouve ici le bon équilibre entre vies professionnelle et privée », se satisfait Elsa. Avec un salaire un peu plus élevé que la moyenne, tous bénéficient d'avantages mis en place par le PDG : un weekend de trois jours une semaine sur deux, des aménagements d'horaire spécifiques, suivant la demande, des primes diverses, mais aussi un accès à l'atelier pour des travaux personnels. « Mentalement, tout cela nous motive beaucoup plus », reconnaît Tom. Et, pour l'entreprise, ces dispositions influent directement sur la productivité. « Tout le monde y gagne », réagit Éric Vialatoux, « heureux » d'en être là aujourd'hui.

Et après ?

Lofoten serait-il donc un petit paradis des salariés ? La simple observation le démontre. Mais loin de vivre dans un monde utopique, elle n'est pas exempte, à l'instar de n'importe quelle autre structure, de tensions ou de comportements individuels éloignés des valeurs prônées par ceux qui la composent. Avec un modèle aussi ouvert, Lofoten peut faire face à des « dérives », même si Éric Vialatoux les minimise : « Seuls 5 % des personnes sont dans l'excès, comme partout ailleurs. » Avouant rester vigilant, il préfère plutôt se concentrer sur « les autres 95 % », en phase avec la pensée de l'entreprise. « C'est ma priorité ! »

Cependant, face au développement soutenu de l'activité, certains s'interrogent sur la capacité de l'entreprise à maintenir cette philosophie si particulière.

« Pourra-t-on continuer ainsi si l'on grandit davantage ? », se demande un salarié.

Une question que se pose le PDG lui-même, conscient que son modèle devra être revu si l'entreprise atteint une autre dimension. « À 80 personnes, il faudra l'aménager, le faire évoluer. Mais dès lors que vous disposez de personnes impliquées dans leur travail, l'équilibre se fait naturellement », tient-il à rassurer.

Une question d'équilibre

Pour l'heure, sa priorité reste de trouver de l'espace supplémentaire pour agrandir son entreprise afin de pouvoir répondre plus favorablement à la demande, mais également d'offrir un meilleur confort de travail à ses employés. Lofoten ne cesse de grandir dans un secteur pourtant en difficulté. Si bien qu'aujourd'hui, nombreux sont ceux qui souhaiteraient intégrer la PME artisanale tant pour le travail que les valeurs prônées.

Finalement, le bonheur en entreprise chez Lofoten ne repose pas sur de grands principes managériaux, mais bien sur une conduite d'entreprise différente et engagée de la part d'un patron soucieux du bon équilibre entre ses hommes et sa stratégie. Un équilibre garant d'un état d'esprit toujours positif. De ceux qui poussent à gravir les échelons.

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