Entrepreneurs, osez parler !

Un ou deux chefs d'entreprise se suicident chaque jour, qui forment le symbole extrême du désarroi moral que traversent les entrepreneurs en difficulté. En riposte, le tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime) a mis en place une cellule psychologique et les chambres de commerce et d'industrie tentent de dédramatiser le dépôt de bilan. Le gouvernement, de son côté, projette un plan pour le droit à la deuxième chance.
Pauline Balaÿ à la tête de l'Embarcadère a pu bénéficier d'un GAD © Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

La souffrance psychologique du chef d'entreprise est-elle moins inavouable aujourd'hui ? Un des premiers à briser le silence sur ce tabou, l'universitaire montpelliérain Olivier Torres, commence à être entendu. Pour donner crédit à sa croisade, l'agrégé d'économie a donné le jour, il y a quatre ans, à Amarok, un laboratoire scientifique de suivi de la santé des dirigeants de PME, commerçants et artisans.

L'intérêt que Marc Binnie, le greffier du tribunal de commerce de Saintes, en Charente-Maritime, a porté très tôt aux travaux de l'enseignant-chercheur a convaincu la juridiction consulaire de créer, fin 2013, une cellule pour aider les patrons, contraints de se mettre sous l'aile de la justice, à traverser ce qui est souvent vécu comme une épreuve douloureuse.

Une formation des intervenants

Une formation de tous les intervenants de la procédure judiciaire y est assurée par l'association Les passagers du temps, partenaire de l'initiative. « Un ou deux dirigeants de société se suicident chaque jour », rappelle l'universitaire. Professeur à l'université de Montpellier et à EMLyon, il sensibilise les étudiants à ces questions. « Tôt ou tard, cet enseignement se généralisera », dit-il, convaincu.

Face aux difficultés, le soutien des proches mais aussi des différents réseaux est primordial. « D'ailleurs, le taux de syndication des entrepreneurs est supérieur à celui des salariés », constate-t-il. L'entraide est une notion qui a toujours existé au sein des organisations professionnelles ou patronales, mais elle s'exprime de façon informelle. « Les chefs d'entreprise n'ont pas l'habitude de mettre leur malheur sur la place publique », confirme Pierric Chalvin, délégué général de l'Union interentreprises textile et région (Unitex).

Reste que ces cénacles « leur donnent l'occasion d'échanger, d'avoir des temps de dialogue un peu libérateurs », atteste Virginie Nogueras qui dirige Ex'pairs formation, un cabinet lyonnais de conseils et coaching. La formule de nocturnes à thème (le charisme, l'homme et le temps...) qu'elle a lancées, il y a quatre ans, connaît une audience grandissante : « On est dans un cadre bienveillant, personne n'est badgé. C'est une sorte de cercle où les dirigeants peuvent se ressourcer, témoigner sur leur histoire, aller parfois dans l'intime. Chaque fois on parle de l'isolement. »

Les GAD pour rompre la solitude

Rompre la solitude du chef d'entreprise face à la décision, c'est l'objectif des Groupes d'aide à la décision (GAD), mis en place par le Centre des jeunes dirigeants (CJD), dans les années 1990. Que la décision soit de nature défensive - fermeture d'une usine, arrêt d'une ligne de produits, licenciements - ou offensive quand il envisage d'attaquer de nouveaux marchés, de procéder à une acquisition, etc.

« La plupart du temps, l'intéressé ne vient pas de lui-même car il ne lui est pas toujours facile de prendre l'initiative d'une telle démarche. Elle lui a été conseillée par un de nos membres », reconnaît Christian Garcin, en charge de cette question au CJD Lyon. Le dispositif est très méthodique. Tout d'abord, le dirigeant dit par qui il souhaite être accompagné : des dirigeants qu'il connaît bien et/ou dont il apprécie la pertinence professionnelle, un groupe de 4 à 6 personnes. Quoi qu'il en soit, ceux qui sont habilités à siéger dans un GAD se sont tous soumis à une formation spécifique. Et la confidentialité est évidemment de rigueur.

Quatre étapes

Depuis la rentrée de septembre 2013, le CJD en a mobilisé 10 : 6 défensifs et 4 offensifs. « Nous nous efforçons d'être très réactifs, ce qui suppose que nous nous rendions disponibles », assure Christian Garcin, par ailleurs co-associé du cabinet Elusys Management, basé à Sathonay-Village (Rhône) et spécialisé dans la mise en mouvement des équipes face à des changements. Concrètement, un GAD dure 3 heures et se déroule en 4 étapes : présentation de la problématique, questions, reformulation de la problématique et pistes d'action. Puis le dirigeant aura 6 à 8 semaines pour élaborer son plan et en informer son GAD. « L'important n'est pas de lui livrer une solution toute faite mais de faire en sorte qu'il prenne de la hauteur », résume Christian Garcin.

Pauline Balaÿ, qui a bénéficié d'un tel accompagnement, l'an dernier, témoigne : « Nous avons repris l'Embarcadère (Ndlr : société exploitant des salles de réception sur la Saône) en 2006. Sept ans plus tard nous avions une décision à prendre pour aller de l'avant sans que cela mette à mal l'entreprise. J'ai apprécié la discrétion et la compréhension du GAD. Je ne suis pas certaine que je serais allée chercher un conseil ailleurs. »

Un peu de REPI

Rassurer, informer le chef d'entreprise en proie à des difficultés financières, tel est le rôle de Repi (Relai écoute, prévention, information), le service mis en place par la CCI de Lyon en 2003 et rebaptisé en 2012 sachant qu'il est encore appelé à changer de nom. Pionnière, la chambre consulaire lyonnaise a fait école. 300 dirigeants y sont accueillis. « 90 % d'entre eux sont en situation de cessation de paiements. Nous commençons par faire un pré-diagnostic téléphonique et, ensuite nous leur fixons un rendez-vous. Nous les éclairons sur les procédures en essayant de les rassurer. Certains sont effondrés et nous nous efforçons de trouver les bons mots pour calmer le jeu », souligne Christine Ottavy, responsable du pôle transmission, reprise et prévention au sein de la CCI lyonnaise.

Des permanences y sont aussi assurées par d'anciens juges du tribunal de commerce, tous chefs d'entreprise, pour dédramatiser le dépôt de bilan. « C'est un triple traumatisme, personnel, financier et professionnel. L'entrepreneur est assailli par la honte de s'être trompé et d'avoir trompé », prêche Philippe Rambaud. Après une belle carrière d'un quart de siècle chez Danone, il a vécu une telle expérience en 2007 avec la société PH@auto-Assistance (spécialisée dans le marketing à l'exportation) qu'il avait créée 7 ans plus tôt. Mais l'homme qui n'était pas de nature à se laisser anéantir durablement - il confie avoir été aidé par son épouse qui fait du coaching et par un psychothérapeute qui lui a fait retracer tous les succès et les échecs de sa vie - a créé l'association 60 000 rebonds.

Échec et rebond

60 000, c'est le nombre d'entreprises qui défaillent chaque année en France où l'échec est mal vu, contrairement aux États-Unis. Et selon une étude de la Commission européenne, c'est en France que le délai entre l'échec et le rebond est le plus long : 8 ans. Rebondir comme salarié, quand un patron a perdu son emploi, est compliqué comme l'atteste Dimitri Pivot, le président de Second Souffle, autre association d'entraide. Lancée en 2010 à Paris, elle a essaimé à Lyon (en 2012), Rennes (août 2013) et bientôt à Lille. « Avec l'APEC (Ndlr : Association pour l'emploi des cadres), nous avons mis en place des ateliers pour redonner confiance en soi », annonce ce trentenaire. Ancien directeur des achats dans une grande entreprise, il s'était mis à son compte en 2000 en fondant à Châteauroux, une menuiserie spécialisée dans le mobilier pour enfants qu'il s'est résolu à brader en 2005 après une tentative malheureuse de développement, sous forme de franchise.

« J'ai alors envoyé des centaine de CV sans la moindre réponse. C'est en supprimant mon expérience de chef d'entreprise que j'ai réussi à me faire embaucher. Un profil d'entrepreneur fait peur », assure-t-il. Deux autres associations, Sos Entrepreneurs et Re-créer apportent leur soutien aux entrepreneurs en phase d'échec. Toutes les quatre, qui agissent de façon complémentaire, ont constitué un groupement d'intérêt associatif baptisé Portail du rebond des entrepreneurs. En janvier dernier, Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l'Innovation et à l'Economie numérique, avait signé une charte du rebond avec ces associations et annoncé un « plan pour le droit à la seconde chance ». Pas à pas, les mentalités évoluent.

 

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