Le conciliateur

Après six premières années marquées par la densité des dossiers portés, mais aussi par la cristallisation de tensions au sein du microcosme académique, l’Université de Lyon est à l’heure du tournant. Khaled Bouabdallah, qui vient d’être élu à sa présidence, sera-t-il à même de relever le défi de la transition ?
©Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

"C'est le choix de la sagesse". De l'avis de tous, Khaled Bouabdallah est l'homme qu'il faut,
au bon moment. Elu le 22 mars président de l'Université de Lyon, l'entité ombrelle qui regroupe les vingt établissements d'enseignement supérieur de la région Lyon/Saint-Etienne, ce dernier se voit confier le gouvernail d'un navire au maniement délicat, en plein changement de vents. Deux jours avant son élection, le projet de loi pour l'enseignement supérieur et la recherche était présenté devant le Conseil des ministres par sa ministre
Geneviève Fioraso. En jeu : la création de "communautés d'établissements", destinées à accompagner ces derniers vers la voie de la fusion ou de la fédération. Avec à terme l'objectif pour le gouvernement de passer de 150 contrats quinquennaux à une trentaine de sites universitaires.

 

Climat de suspicion entre institutions

A Lyon, le chantier politique, juridique, financier et organisationnel est colossal. La manière dont a été remporté le "quasi-succès" du "pseudo-Idex", cet Investissement d'Avenir pour lequel la candidature lyonnaise a été repêchée au second tour, laisse entrevoir le climat académique dans lequel baignait le PRES (Pôle d'Enseignement supérieur et de recherche), l'outil de gouvernance commune que partagent les membres de l'Université de Lyon, depuis sa création en 2007. "Les Universités ont eu le sentiment que leurs ressources étaient captées. Sur certaines décisions qui nous concernaient, elles n'étaient pas associées, et elles n'avaient même pas accès au dossier", évoque Pierre-Yves Péguy, vice-président de Lyon 2 en charge des finances. "Lorsque nous nous asseyions tous autour de la table, nous n'avions rien à nous dire" rapporte-t-on du côté des grandes écoles. Cependant, la triple élection des présidents d'Universités lyonnaises au printemps 2012 a permis d'apaiser les tensions, et nombreux sont ceux qui reconnaissent malgré tout au président sortant, le géographe Michel Lussault (qui n'a pas donné suite à nos propositions d'interview) un bilan global "positif". "Il a essuyé les plâtres d'une communauté de Gaulois", murmure-t-on dans les couloirs des établissements.

 

Homme de consensus

C'est dans ce contexte que Khaled Bouabdallah a été élu à l'unanimité par le conseil d'administration du PRES, hormis trois absentions. Un changement de style annoncé et attendu depuis plusieurs mois. Son profil d'économiste, spécialiste de l'ingénierie territoriale, du marché du travail et de l'intelligence économique correspond aux enjeux de prospective,
de gestion et d'équilibre budgétaire auxquels il doit faire face. Mais avant tout, c'est son tempérament d'homme de consensus qui semble avoir séduit. "C'est quelqu'un de calme, de rassembleur, doté d'une grande capacité d'écoute et de synthèse", estime Frank Debouck, directeur de l'Ecole centrale de Lyon. "Un homme de dialogue et de modération", pour Jacques Samarut, président de l'ENS de Lyon, qui loue la qualité d'implication de Khaled
Bouabdallah lors de son premier mandat en tant que vice-président du PRES. "Je n'aime pas les conflits, même si je passe mes journées à les traiter", reconnaît l'intéressé, qui - fait rare dans le milieu universitaire - ne se connaît pas d'ennemis parmi ses pairs. "Les conflits sont stériles, gaspilleurs de ressources. Je suis d'un tempérament qui essaye de les résoudre plutôt que de les créer". A Lyon 2, on reconnaît ses talents de négociateur, son indépendance d'esprit, lui qui, de par son identité stéphanoise, "n'entre pas dans le jeu des trois Universités lyonnaises, tout en connaissant sur le bout des doigts le tissu académique local et national". Preuve du succès de ses qualités de médiation : ses multiples casquettes. Outre la présidence du PRES, Khaled Bouabdallah cumule les fonctions de président de l'Université Jean Monnet Saint-Etienne (fonction pour laquelle il a été reconduit en 2012) et de vice-président de la Conférence des Présidents d'Université. 

 

Premiers travaux de concertation

Des qualités et un parti-pris de confiance qui ne s'avèrent pas superflus au vu des chantiers qui l'attendent. Le premier est de faire remonter au ministère la vision lyonnaise de "l'outil PRES", amené à disparaître dans quelques mois, lorsque la nouvelle loi aura été présentée devant le Parlement - fin juin ou début septembre -, et que les décrets d'application auront été publiés. S'agira-t-il d'une fusion comme à Strasbourg ou Aix-Marseille ? D'une communauté d'établissements comme il en va des communautés de commune ? D'un système fédéral ? Les premiers travaux de concertation engagés semblent se porter vers le deuxième scénario. Toutes les semaines, les membres du conseil d'administration se réunissent en effet une demi-journée, pour mettre le doigt sur les ambiguïtés de fonctionnement à lever, et proposer une nouvelle organisation. La partie qui s'engage dans les bureaux du PRES, le long du
chantier de la Caserne Sergent Blandan, est sans équivoque : "Les compétences que nous déciderons de transférer devront l'être totalement : les établissements seront amenés à s'en décharger, explique Khaled Bouabdallah, qui prend l'exemple de l'animation des relations internationales. Le PRES s'en charge, les établissements également, ce qui est source d'éparpillement. Les frontières doivent être plus claires. Il s'agit de passer un cap, pour être capable de dire : ce qui se fait ici ne se fait plus ailleurs. Cela n'empêche pas les établissements de faire des choses, mais dans le cadre d'une maîtrise d'oeuvre". Sur ce
point, une certaine prudence pointe du côté des Universités. Jean-Luc Mayaud, président de l'Université Lumière Lyon 2, insiste sur la nécessité de maintenir des "zones de frottement" : "La recherche ne se fait pas toujours sur les grands boulevards académiques. Il faut aussi conserver des initiatives autonomes : c'est souvent là que naît l'innovation". "La logique que
nous voulons suivre n'est pas celle du transfert de compétence, mais de la valeur ajoutée",
complète François-Noël Gilly, président de l'Université Claude Bernard Lyon 1. Ainsi un service commun des achats entre universités, ainsi qu'un service partagé pour les marchés publics seraient à l'étude. Une maison de l'Assurance, pilotée par Lyon 1 et Lyon 3 est également en projet. Dossier "déprimant" Le futur PRES risque-t-il de se transformer en super structure coupée de la communauté? "Les briques de base demeurent les établissements, rassure le nouveau président. Mais il faut être plus efficaces dans
l'organisation". Parmi les autres points de litige : la gestion des écoles doctorales, de la co-diplomation, et le volet qui avait levé de nombreux espoirs avant de se transformer en serpent de mer : les aspects bâtimentaires. "Ce dossier est absolument déprimant, soupire François-
Noël Gilly. Nous avons eu la naïveté de croire en 2008 que le chantier démarrerait dans les deux ans. Aujourd'hui, l'échéancier prévoit un étalage du démarrage des travaux entre 2016 et 2020 suivant les bâtiments". En cause ? Le changement d'environnement fiscal, qui ouvrirait la voie pour le campus de La Doua à un montage par emprunt (auprès de la Banque
Européenne d'Investissement et de la Caisse des dépôts) plutôt qu'à une société de réalisation ou un partenariat public-privé. Sur le campus Gerland-Lyon Sud, en revanche, le chantier est en bonne voie : le choix du partenaire privé est attendu pour le 17 avril.

Autre dossier flottant : celui du modèle économique du futur PRES. Aujourd'hui, ses ressources sont de 45,4 M€, composées à la fois des cotisations de ses membres, et de la contribution des collectivités locales. Demain, la Fondation pour l'Université de Lyon (voir encadré) sera amenée à compléter ces ressources par des fonds privés. Enfin la question des équilibres politiques demeure un point crucial sur lequel attendent d'être rassurés tous les acteurs. "Il nous faut parvenir à un équilibre durable au sein duquel les poids lourds [les Universités NDLR] puissent tendre la main aux autres structures comme les écoles. Il ne s'agit pas de créer un système à deux vitesses, mais de reconnaître où sont les moteurs, et d'éviter
qu'ils aient un pied dedans, un pied dehors", analyse Pierre-Yves Péguy. "Vivement notre installation dans les futurs bureaux du PRES, sur les quais du Rhône, glisse Khaled Bouabdallah. Les locaux seront un peu plus à l'image de notre ambition". Il devrait lui falloir patienter jusqu'à fin 2014.

 

 

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