Franchir le cap de la reconversion : de cadres à artisans

Ils bousculent radicalement leur horizon professionnel, optant pour un virage, négocié, à 180 degrés. Ces cadres en entreprise ont fait un vrai choix : devenir artisan. Malgré de belles carrières qui se profilaient dans leur poste d'origine, l'envie de travailler avec leur tête et leur main a été plus forte. Une tendance émergente.
Guislain Varin, ingénieur agro-alimentaire devenu plombier.

Au moment de son départ à la retraite, le haut responsable d'une entreprise d'ingénierie lyonnaise constate sans regret : « Je me suis éclaté, mais je n'ai pas vu mes enfants grandir. » Pour Guislain Varin, ingénieur agro-alimentaire, en poste dans cette entreprise depuis huit ans et alors chef de projet, c'est l'électrochoc. Pas question pour lui de faire un constat si amer. Certes conduire au long cours d'importants projets pour l'industrie pharmaceutique et agro-alimentaire lui apporte de grandes satisfactions, mais il ressent aussi frustrations et manques.

Façonner du concret, voire du beau

« J'avais l'impression de me faire voler du temps, avec tous ces déplacements, des réunions de travail interminables et pas forcément intéressantes. Ce temps ne me serait jamais remboursé. Quand on est cadre, on ne peut pas moduler. Le travail manuel me manquait. »

Plus que bricoleur, il se découvre un vrai plaisir à remettre en état de fond en comble son appartement récemment acquis, s'initiant à tous les corps de métier. Inspiré par un oncle chauffagiste depuis trente ans, il décide à 34 ans de franchir le pas. Après un CAP d'installateur thermique, il créé son Eurl de chauffage-plomberie à Lyon en 2010. Une rupture conventionnelle lui permet de démarrer en percevant des indemnités pendant un an, de quoi se constituer une trésorerie rassurante.

Une tendance émergente

Comptable devenu fleuriste, spécialiste juridique se lançant dans la boulangerie, cadre marketing s'installant comme luthier, etc., les exemples abondent. Ce n'est pas une vague de fond, mais une tendance émergente qui traduit non seulement le refus de n'être qu'un pion - de plus en plus malmené - dans l'entreprise et le désir de prendre son destin en main. Mais aussi l'envie de façonner du concret, voire du beau. Loin de la vie pendulaire des bureaux, de la vacuité numérique et des réunions inutiles, ces candidats à une « autre vie » se découvrent des envies, jusque-là souterraines, de réalisations concrètes.

« Ces gens ont souvent une passion cachée : faire du bois dans leur garage, rénover des maisons, etc. Ils portent en eux quelque chose d'inexploité, qu'ils ont enfouie pour suivre une voie toute tracée. Et cherchent à se réaliser dans des métiers où il faut mettre du cœur », décrit Nataly Gay, directrice du service économique de la chambre de métiers et de l'artisanat du Rhône.

On observe ainsi à la Cmar que les métiers touchant le beau ou le bon - « la pâtisserie a le vent en poupe, on n'a jamais vu ça » - séduisent ces nouveaux artisans. « Travailler les produits et les matières nobles, le bâtiment oui, mais en privilégiant une approche développement durable, des matériaux anciens, tel le pisé. » Quitter la sécurité du salariat et le prestige d'une fonction de cadre pour devenir artisan, cette tendance se dessine dans les chiffres.

« Il y a dix, vingt ans, observe Alain Berlioz-Curlet, président de la chambre régionale de métiers, on voyait des cadres licenciés ou en préretraite se tourner vers l'artisanat. Ils se réorientaient sous la contrainte. On observe une hausse chez ceux pour qui c'est un vrai choix de vie. Des personnes d'une évidente maturité, qui veulent travailler avec leur tête et leurs mains, sachant lier la réflexion aux gestes. »

Ces cadres devenus artisans

Une grande chance pour le secteur

Ces « convertis » s'avèrent une grande chance pour le secteur. « Ils en améliorent l'image, car l'artisanat n'est pas un pis-aller pour eux, comme trop souvent pour les jeunes », décode Lucien Boiché, directeur du service de la formation professionnelle de la CMAR.

« Ces adultes démontrent une forte motivation, apprennent facilement. Ils trouveront sans doute plus d'appuis bancaires, car ils ne partent pas de zéro », renchérit Alain Berlioz-Curlet.

Diplômés, forts d'un parcours en entreprise, ils introduisent aussi un savoir-faire managérial, voire des ambitions entrepreneuriales. Fabrice Vinot, doté d'un DUT en génie mécanique et productique et d'un diplôme d'école de commerce, a travaillé pendant huit ans dans une entreprise fabricante de mobilier dans l'Ain. Il en a été le responsable production et achats, puis le numéro deux. Mais « le manque d'autonomie et tous ces projets que j'avais en tête » le conduisent à tout lâcher pour se lancer sans filet financier dans le bâtiment, la rénovation totale (depuis la conception) d'appartements et de maisons. En passant bien sûr par la case CAP et en co-gérance avec un ami d'enfance au parcours similaire. C'était en 2004. Aujourd'hui la SARL Casaliz, installée près de Lyon, emploie huit personnes et les deux fondateurs visent les 15 salariés d'ici à cinq ans.

« Mais je reste à 70 % sur le terrain, pour des travaux de câblage, d'électricité, de menuiserie. J'y tiens par goût et aussi pour rester crédible auprès de nos employés, montrer que nous ne sommes pas que des administratifs. »

Quitte à souffrir, de manière récurrente, du dos.Un mal qui pourrait s'avérer à long terme un problème.

Les revers du métier

Car les métiers de l'artisanat ont leurs revers, ou du moins leurs difficultés, sur lesquels la Cmar insiste pour tempérer les ardeurs à se reconvertir.

« Certains voudraient démarrer tout de suite, mais nous défendons une nécessaire réflexion, la construction dans le temps du projet. Production, administration, commercial : l'artisan doit jongler avec toutes ces casquettes. Il n'est plus salarié, sa gestion du temps sera différente. Faire rentrer du chiffre d'affaires, travailler le week-end, penser nuit et jour à son business, etc. La vie de famille est impactée. Il faut aborder cette reconversion de manière globale », insiste Lucien Boiché.

Certes ces travers existent, ô combien, dans le monde de l'entreprise mais, justement, c'est ce qu'ils voulaient quitter... Guislain Varin a investi 25 000 euros dans un véhicule utilitaire. Épaulé par un solide réseau de connaissances, il s'est constitué une clientèle de particuliers, petites et grandes entreprises. Sa rémunération est correcte depuis un an, même s'il gagne moins que dans son poste précédent.

« Mais j'ai pris deux mois de vacances avec ma famille. L'artisanat pour moi est un mode de vie. Il signifie vie harmonieuse et intérêt du travail. On apporte la même intelligence à aménager une usine qu'à rénover une salle de bains. Et là, c'est moi qui mets en œuvre. »

Quelques chiffres

  • 44 % des nouveaux entrepreneurs de l'artisanat ont réalisé leur parcours professionnel en dehors de l'artisanat.
  • 44 % des créateurs repreneurs ont acquis leur expérience dans des entreprises de plus de 10 salariés.
  • 19 % proviennent de moyennes et grandes entreprises.
  • 15 % sont diplômés de l'enseignement supérieur.
  • 44 % des créateurs artisans étaient au chômage.
  • Age moyen : 37 ans. Un sur cinq a plus de 45 ans.

(Chiffres « Le monde des artisans », mars-avril 2012)

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