Yves Le Bihan : "L'épanouissement dans l'entreprise sert la performance"

Le jeudi 5 novembre se tiendra à Lyon, la première Nuit de l'entreprise positive. Une soirée pour mettre en avant de nouvelles formes de management et de gouvernance de l'entreprise. Yves Le Bihan, Président de l'Institut français du leadership positif, appelle les entrepreneurs à revoir leur vision des choses pour des organisations plus performantes.

Acteurs de l'économie-La Tribune : le 5 novembre à Lyon vous organisez à Lyon, la première nuit de "l'Entreprise positive". Comment a germé cette idée et quel est ce concept d'entreprise positive ?

Yves Le Bihan : Le constat est multiple. D'une part, en tant que coach de dirigeant, comme beaucoup, je vois que notre modèle de croissance a atteint ses limites. Les entreprises sont confrontées à une série de défis tous plus importants les uns que les autres : la financiarisation excessive de l'économie, la complexité des marchés, la volatilité des positions concurrentielles, la transformation numérique, etc.

D'autre part, dans les entreprises aujourd'hui les indicateurs montrent que les salariés ne s'investissent pas vraiment, voire même souffrent au travail. Partant de là, il y a une impérieuse nécessité à réinventer les modèles de leadership dans l'entreprise, d'explorer de nouvelles formes de management, de nouvelles approches pour les dirigeants.

On a exploré, depuis cinq ans, des pistes à partir de trois approches : les neurosciences, la science de la psychologie positive, et l'approche de la pleine conscience (une pratique laïque d'entrainement à se centrer sur l'instant). Ces trois piliers nous ont permis de bâtir ce modèle du leader positif.

L'ancien patron de la Japan Air Lines, Kazuo Inamori, a placé l'altruisme au cœur de sa vision de l'entreprise et de sa gouvernance. Est-ce que le leader positif que vous décrivez est un patron altruiste voire empathique ?

Complètement. Aujourd'hui, nous pensons que ce type de leader doit être à la fois empathique, altruiste, vulnérable et humble. Mais cela n'exclut pas la très haute exigence et la recherche de la performance pour l'entreprise.

Notre vision du leader positif, c'est au fond une organisation qui favorise le fonctionnement optimal d'une entreprise, à commencer par les ressources humaines. Ce fonctionnement optimal doit être au service, à mon sens, d'un nouveau modèle économique et social à la fois plus épanouissant, plus intègre et responsable pour mieux relever les défis du 21e siècle. Et encore une fois, ce n'est pas incompatible avec la performance économique.

Nous pensons en tout cas que c'est une approche qui peut permettre à un grand nombre d'organisation de rentrer de plain-pied dans le 21e siècle. Dans de très nombreuses entreprises, quels que soient les secteurs, les structures et les modes de managements sont encore bloqués au 20e siècle, avec un management très hiérarchique, taylorien, extrêmement vertical, cloisonné, procédurier à l'excès, avec une autonomie réduite. De plus, ce système néglige la santé globale des salariés, tant sur le plan physique que psychique.

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Le modèle actuel ne répond plus aux aspirations des nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail qui sont en attente de sens au sein de l'entreprise. On est encore dans des modes de gouvernances où l'on tait ses émotions où l'on ne transmet pas son enthousiasme, où l'on bride les initiatives, où l'on restreint la créativité. Il y a un certain nombre de verrous qu'il faut faire sauter.

Comment construire ce modèle ? Pour des chefs d'entreprises dont la visibilité, parfois, n'excède pas deux ou trois mois, une telle rupture n'est pas forcement évidente à envisager ?

Certaines entreprises, si elles ne réfléchissent pas à l'évolution de leur organisation et de leur mode de gouvernance sont amener à disparaître. Purement et simplement ! Notre association propose un certain nombre de modules pour permettre aux dirigeants de cheminer, d'évoluer. Car la transformation personnelle du dirigeant est tout sauf simple.

Nous avons par exemple mis en œuvre à Lyon un cycle "Sagesse et leadership" dans lequel on propose un espace pour dirigeants où ils peuvent exprimer et partager leurs expériences, échanger sur la complexité, la solitude même d'être un entrepreneur. Les meilleures business schools ne fabriquent pas des dirigeants, mais des supers héros. Il faut passer du leader héroïque au leader authentique.

Est-ce que l'une des clés du problème n'est pas justement de revoir la formation initiale des managers et dirigeants ?

Effectivement, je considère que nos élites sont plus formatées que formées. Dans leur formation initiale, il manque encore le travail sur soi, pour bien se comprendre. Il serait bon que les universités, les écoles d'ingénieurs et les business schools amènent chaque futur dirigeant à une réflexion sur lui-même pour incarner un leadership positif.

La grande qualité nécessaire aux dirigeants de demain c'est la conscience de soi. La capacité d'identifier ce qui se passe en nous. La pratique de pleine conscience est un cheminement de nature à aider à cette démarche. C'est ce que l'on constate dans nos programmes.

Que va t-il se passer précisément, jeudi, durant cette "Nuit de l'entreprise positive" ?

Lors de cette soirée, nous ferons témoigner des dirigeants, des entrepreneurs qui ont osé changer de modèle, soit par cheminement personnel, soit parce que l'entreprise allait dans le mur. Nous allons montrer un certain nombre de pratiques et établir la preuve par l'exemple et par les résultats.

Des collaborateurs plus épanouis, mieux engagés dans l'entreprise, heureux au travail sont plus performants. 31 % plus productif et 3 fois plus créatifs que les autres, selon une enquête de Gallup. L'épanouissement sert donc l'engagement et la performance. Seuls 9 % des salariés se déclarent engagés dans leur entreprise. Seulement 9 % sont donc émotionnellement centrés pour la création de valeurs dans l'entreprise.

Les salariés doivent également changer pour s'inclurent dans ce nouveau modèle. Est-ce que cela se fait naturellement dans les entreprises qui engagent cette rupture ?

C'est un des freins dans les croyances des dirigeants qui se disent "mais jamais nos collaborateurs vont nous suivre". Et pourtant, à chaque fois, on découvre le formidable potentiel, l'énergie dont sont capables nos collaborateurs. Par contre, il faut un cadre.

Aujourd'hui, lorsque vous proposez aux collaborateurs des règles transparentes, ils rentrent dans le jeu à fond. Il y a aura toujours 5 % de résistants, mais l'immense majorité aspirent à s'épanouir et à s'accomplir au travail. La majorité aspire à cette autonomie responsable au service de la performance de l'entreprise.

À condition qu'il y ait de la cohérence entre les discours et la réalité...

C'est fondamental. Un certain nombre d'entreprises surfent sur des modes de pensée et d'organisation. Le problème est que les salariés sont de plus en plus informés et de plus en plus réactifs, donc de plus en plus durs entre l'incohérence et les actes. Il vaut mieux encore ne rien annoncer plutôt que de promettre transparence, autonomie, etc, et ne pas l'incarner dans le quotidien.

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