« Le trait d'union entre l'efficacité et le rêve »

Claire Gibault, chef d'orchestre et députée européenne (UDF-PDE). Membre de la commission Culture et Éducation au Parlement européen, celle qui seconde Claudio Abbado à la direction de l'Orchestre Mozart de Bologne milite pour la promotion de la culture au sein des organisations. « Car la personne cultivée fournit l'excellence, allie la différenciation à la compétence tout en restant une source de profit, enfin forme le trait d'union entre l'efficacité et le rêve ».

Quelle est votre définition de la culture générale ? Fait-elle de meilleurs professionnels ?

 

Claire Gibault. Est-ce répondre aux question de « Qui veut gagner des millions », de « Questions pour un champion » ou du « Maillon faible » ? Est-ce avoir un vernis de culture qui permet d'être plus à l'aise, sinon de briller dans une réunion mondaine et superficielle ? Est-ce qu'un peu de connaissances dans tous les domaines permet de ne pas être pris en défaut, de gagner en confiance, en éloquence lors d'un entretien d'embauche ? Des chercheurs de l'Université du Wisconsin ont découvert que la production de lait chez les vaches qui écoutent de la musique symphonique augmente de 7,5 %. Quelles conclusions pourraient bien en tirer nos chefs d'entreprises ? Je ne doute pas qu'aux yeux d'un employeur potentiel une bonne culture générale puisse être un gage d'une meilleure capacité à apprendre, à comprendre et à prendre du recul face aux événements importants de l'entreprise. Elle est sans doute ce « plus » qui donne une forme de distinction qui permet d'échapper aux préjugés liés aux classes sociales. Car il y a une culture populaire, comme il existe une culture paysanne, une culture ouvrière. Toutes ces cultures sont riches. Tellement riches qu'elles sont ancrées dans notre mémoire à travers les différents folklores de nos origines que la culture a su faire vivre, et notre vécu à travers les différentes expériences urbaines que le monde ouvrier a su nous transmettre.

L'épreuve de culture générale, considérée comme l'une des plus difficiles, figure au programme des concours d'entrée des grandes institutions telles que l'ENA, l'Ecole polytechnique, HEC ou l'ESSEC. Comme se plaisait à dire André Malraux « la culture ne s'acquiert pas, elle se conquiert ».

 

Cette société qui tend vers l'hyper-spécialisation laisse-t-elle encore une place dans les organisations aux gens cultivés ?

 

Ceux-ci ont toujours eu leur place dans les organisations. Ils ont été par le passé, parfois décriés, parfois encensés, mais toujours très présents et promoteurs peut être plus que les autres du développement économique et social et facteurs d'innovation et de cohésion. Et pourtant, il faut bien admettre que plus on se spécialise, plus on a de chance d'appartenir au groupe des meilleurs, même si cela induit une stratégie de domination qui risque de provoquer, à un moment donné, incontestablement un appauvrissement du monde.

 

 

Pourquoi cela ?

 

 

Simplement parce que ce qui devrait rester un débat scientifique se transforme en technique d'influence culturelle, et de puissance politique.

 

Le pouvoir est-il au bout de la pensée unique ?

 

Intégrer des disciplines différentes empêche l'évolution sectaire. Je remarque d'ailleurs que dans beaucoup de pays étrangers (États-Unis, Colombie, Allemagne, etc.), il est tout à fait normal d'effectuer un double cursus et d'allier ainsi la littérature avec la biologie ou de bénéficier d'une formation généraliste encore à l'Université. Ce n'est pas parce que l'on a passé son baccalauréat avec succès que l'on doit être obligé d'arrêter d'étudier plus en avant certains domaines qui nous ont intéressés. Les étudiants devraient avoir la possibilité de choisir jusqu'à trois matières ne relevant pas de leur domaine d'étude de spécialisation. En France, les seuls doubles cursus répandus sont le droit et les sciences politiques ou bien l'école de commerce et les sciences politiques. Les étudiants ne peuvent pas y trouver leur compte culturellement. Il faut tendre des ponts entre les universités. D'accord pour une spécialisation, pas un enfermement des étudiants.

 

Au sein d'une organisation, les gens (ou les salariés) cultivés dérangent-ils ?

 

L'intérêt culturel suscite aussi un éveil. Une prise de conscience d'appartenance à une communauté et d'une singularité de personne. La culture n'est pas une affaire de pouvoir mais un épanouissement. Freud a d'ailleurs souligné que l'art est une forme de sublimation et plus généralement la culture dans son ensemble. Art et culture permettant à l'humanité de défouler ses pulsions sur un plan imaginaire et symbolique au lieu de les refouler ou de les exprimer brutalement au risque de détruire toute vie sociale.

 

De quelle manière la culture des salariés contribue-t-elle à l'enrichissement de la culture de l'entreprise ?

 

Les organisations du XXIème siècle, résolument tournées vers la croissance, trouvent un intérêt à ces salariés cultivés qui, au-delà des idéologies, constituent des valeurs sûres qui ouvrent l'univers professionnel vers d'autres conceptions plus progressistes et apportent un autre éclairage à leurs réflexions. Les organisations sont grandes consommatrices de concepts qui tentent à concilier le développement, le social, le sens artistique et l'éthique. La rationalité et les normes qui étaient la trame des organisations jusqu'à ces dernières années ne suffisent plus.

La personne cultivée devient ce trait d'union entre l'efficacité et le rêve. Elle donne à l'organisation ce petit plus qu'est l'excellence. Elle allie la différenciation à la compétence tout en restant une source de profit. Aujourd'hui les entreprises recherchent des salariés polyvalents, curieux, qui savent percevoir leurs enjeux financiers et commerciaux même si elles savent pertinemment qu'ils peuvent aussi inquiéter leur pouvoir. Alexander Bergmann, spécialiste allemand de relations humaines et industrielles, considérait « qu'une certaine culture en affaires revient à attribuer des valeurs aux diverses conséquences des activités économiques et établir des priorités entre elles ».

 

De votre situation, comment examinez-vous la place que l'éducation réserve à la culture ?

 

L'éducation nationale réfléchit depuis de nombreuses années très sérieusement à la façon d'inclure l'enseignement artistique à ses programmes. En ma qualité d'artiste, de chef d'orchestre, et de députée européenne, je surveille cet éveil à l'enseignement artistique de très près. La culture générale - et artistique - est un droit pour tous. Surtout parce qu'elle n'a pas cet intérêt utilitaire de l'enseignement professionnel, toute filière quelle qu'elle soit gagnerait d'inclure la pratique d'un art dans son enseignement. J'ai rédigé pour le Parlement européen un rapport sur le statut social des artistes, qui a été voté en juin 2007 à Strasbourg à une immense majorité par l'ensemble de mes collègues. Un chapitre entier est consacré à l'enseignement artistique, et je reste donc très vigilante à l'orientation que va prendre cet enseignement. Car, de même que l'on n'enseigne pas l'histoire du sport, on pratique un sport. Il n'est pas envisageable d'apprendre seulement l'histoire de l'art à nos écoliers, il faut que l'enseignement artistique passe par la pratique d'un art concret et charnel.

Pour les entreprises également, le savoir est aussi important que la pratique, car une bonne pratique justifie un investissement total de l'employé qui sera porté au crédit de l'entreprise. Je milite pour un enseignement offrant à tous une solide culture générale donnant accès aux arts sous toutes les formes quelle que soit la formation choisie. La culture générale est ce qui permet le lien entre les différentes disciplines. Edouard Herriot disait tenir d'un moraliste oriental que la culture « c'est ce qui reste dans l'esprit quand on a tout oublié ».

 

 

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