Des biotechs pour "rendre l'innovation plus agile" (Hacking Health Lyon)

ENTRETIEN. En Auvergne-Rhône-Alpes, l’innovation en santé s'est retrouvée elle aussi boostée par la pandémie au cours des derniers mois. Rôle des biotechs, place de l'innovation collaborative, mais aussi nouveaux concepts nés de la crise actuelle... Le directeur de l’i-Care Lab et organisateur du Hacking Health Lyon, Gérald Comtet, revient sur un secteur qui a désormais tendance à créer à plusieurs et en s'emparant des problématiques du quotidien.
Gérald Comtet, président d'I-Care Lab et organisateur du Hacking Health Lyon, rappelle que le corollaire de l'innovation est la contrainte : la phase de crise que l'on connait actuellement a en ce sens stimulé les initiatives.
Gérald Comtet, président d'I-Care Lab et organisateur du Hacking Health Lyon, rappelle que le corollaire de l'innovation est la contrainte : "la phase de crise que l'on connait actuellement a en ce sens stimulé les initiatives". (Crédits : i-care LAB / Hacking Health Lyon)

LA TRIBUNE AUVERGNE-RHONE-ALPES- Alors que nous venons de passer une année assez inédite pour l'écosystème de la santé, vous avez tenu récemment la cinquième édition du Hacking Health à la mi-janvier. Comment a évolué l'innovation collaborative depuis la création de cet hackathon, spécialisé dans le domaine de la santé et le médico-social ?

GERALD COMTET - "L'innovation collaborative que l'on observe vient surtout résoudre des problèmes de terrain, provenant des établissements de santé ou des patients, et cette tendance a été exacerbée par la crise sanitaire et le confinement. On l'a observé à plusieurs reprises au sein de notre Hackathon, où nous avons par exemple distingué le projet de borne interactive Marti, qui est né de problématiques rencontrées par les soignants, qui recevaient des patients aux urgences avec lesquels ils devaient échanger, mais qui parlaient difficilement le français.

Autre exemple : le petit robot Jo, qui aide les jeunes patients asthmatiques pour l'observance de leurs traitements. Il a vu le jour pour aider les parents de ces enfants, confrontés à des difficultés de prise du traitement au quotidien. C'est l'ADN du Hackathon que de s'emparer de problématiques du quotidien, avec une dimension moins médicale et plus sociale, et d'amener les gens à collaborer qu'ils soient designers, développeurs, ou techniciens."

On évoque souvent la région AuRA comme un terreau pour l'industrie pharmaceutique et les medtechs : plus largement, a-t-on des atouts en présence pour développer une innovation plus collaborative à l'avenir ?

"Notre écosystème est très complet et comprend non seulement des pôles de compétitivité comme LyonBiopôle ou Pulsalys, mais aussi des laboratoires et, plus globalement, les pouvoirs publics. LyonBiopôle regroupe plus de 300 entreprises sur le territoire, avec des grands noms comme Sanofi, Biomérieux ou encore Boerhinger Ingelheim.

A Lyon, nous avons par exemple la filière diagnostic et médicaments et à Grenoble, avec le CEA, la médecine augmentée et la chirurgie assistée par ordinateur.

Le volet industriel est aussi fortement représenté et dense en Aura, avec au moins 500 entreprises actives sur le sujet. Nous avons des PME et ETI à Saint-Etienne dans le textile, en Haute-Savoie avec des technologies de métallurgie comme les implants orthopédiques, ou encore à Oyonnax dans le plastique. Et sur le plan des medtech et du digital santé, des entreprises comme Medtronic, EDAP-TMS ou Nouveal.

D'un point de vue applicatif, on peut également compter sur un écosystème important avec les Hospices civils de Lyon (HCL) qui sont le 2e CHU de France ainsi qu'un maillage territorial dynamique en établissements de santé."

La pandémie a-t-elle justement fait obstacle cette année à la dynamique collaborative ?

"Nous avons au contraire observé une augmentation de l'innovation collaborative, surtout durant le premier confinement. La mobilisation des acteurs de terrain, qui n'étaient pas forcément concernés par la réponse à la pandémie, a été très rapide. Ils ont mis en œuvre beaucoup de hackathons pour répondre aux enjeux liés aux demandes, au moment de la phase la plus aiguë : équipements de protections individuelles, problématique d'organisation des soins, de référencement, etc.

Une startup de Saint-Etienne a par exemple mis au point des outils de diagnostic rapide et des laboratoires se sont mobilisés pour aider à mettre au point des vaccins, par exemple en proposant des animaux ou des modèles in silico pour les phases de test.

Les HCL ont eux aussi lancé plusieurs projets pilotés par leur cellule d'innovation transversale, pour contribuer à faciliter notamment l'utilisation des big datas. Il y a eu une stimulation pour répondre à cette urgence.

En santé, l'innovation n'est cependant pas une fin en soi, c'est juste le début de l'aventure. Car il faut que l'innovation soit vraiment utilisée par les gens, qu'ils se l'approprient".

Comme dans dans d'autres secteurs qui ont connu un grand vent de digitalisation, cette pandémie a-t-elle aussi conduit à innover davantage sur le terrain des usages numériques, et à créer des ponts avec le domaine de la santé ?

"Sur partie médico-sociale, il y a en effet eu un effort important pour essayer de rendre accessible les soins et le télésuivi aux plus fragiles. Par exemple, Nouveal a mis en place Covidom pour suivre ces personnes à domicile et éviter d'encombrer les hôpitaux. La télémédecine a également explosé et de nombreux patients ont pu bénéficier de diagnostics à distance en période de confinement strict.

Le numérique a fait partie des sujets qui ont été à la pointe de l'innovation auprès des professionnels et des patients. Car le corollaire de l'innovation, c'est la contrainte : on peut estimer à ce titre que la phase de crise a stimulé les initiatives."

A l'heure où l'on voit que l'innovation doit parfois se faire dans des temps très resserrés pour répondre à la demande mondiale en matière de vaccins par exemple, quelle est selon vous la recette pour que ces projets d'innovation en santé fonctionnent ?

"Il faut tout d'abord que ces projets s'inscrivent dans une logique de proximité avec leurs futurs usagers. Auquel cas, ces innovations risquent de ne pas être utilisées, et de ne pas atteindre leur cible.

Il faut également essayer de décloisonner les acteurs concernés par l'innovation et de les intégrer dans une logique plus large de coopération et de collaboration, tout assurant la mise en œuvre des méthodes rigoureuses pour parvenir à des objectifs précis, tangibles.

Il ne fait pas se souper du terrain, car cela permet de voir par exemple des choses qu'on n'aurait pas observées en laboratoire. C'est un processus long et fragile, où l'on n'a pas le droit à l'erreur."

Quels défis demeurent pour demain ?

"Les défis sont nombreux : il est par exemple encore nécessaire de décloisonner le monde de la santé, que l'on associe d'ailleurs trop souvent encore à la médecine. Or, aujourd'hui, la détection précoce, l'hygiène de vie, la prévention sont elles aussi importantes pour garder des gens en bonne santé.

Nous devons donc être davantage dans l'anticipation que dans l'urgence et avoir une vision moins hospitalo-centrée de la santé, qui intègre le confort de vie des patients.

L'une des difficultés pour les entreprises est désormais d'avoir la capacité économique de développer les innovations, car les investisseurs se font plus rares en raison de la crise économique. Cette fragilité est potentiellement inquiétante car il est bien d'innover, mais il demeure aussi nécessaire de pouvoir par la suite vendre ces innovations."

On a vu de grands groupes comme Pfizer s'associer avec des jeunes pousses comme l'allemand  BioNTech : les biotechs seront-elles appelées à prendre également un rôle plus important à l'avenir en matière d'innovation ?

"Oui, puisqu'on demande de l'agilité au système de santé : les grandes entreprises sont concernées, mais les startups et les biotechs sont plus agiles. C'est un binôme qui doit donc se mettre en place. A l'avenir, beaucoup de startups vont se lancer dans le domaine de la santé.

Car les jeunes pousses, qui se confrontent plus facilement aux problématiques de terrain, ont la capacité de développer rapidement un produit, ce qui est très intéressant dans un monde de la santé en pleine transformation.

Leur enjeu est ensuite celui du développement, pour que la solution soit viable et diffusée au plus grand nombre. Cela demande tout de même de gros investissements et c'est parfois à ce niveau-là que le bât blesse ensuite, car elles devront être en mesure de tenir la distance sur des temps de développements qui peuvent être plus longs."

 (Avec ML)

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