Lifi : Et si l'Internet de demain passait par la lumière ?

Avec un débit jusqu’à 100 fois plus rapide que le wifi, la technologie lifi ("light fidelity") pourrait révolutionner les communications sans fil, en se servant de la lumière pour faire transiter des informations. Santé, sécurité, transports, commerce… les domaines d’application sont multiples et ouvrent d’immenses perspectives de développement. Plongée dans un monde qui n’est plus science-fiction, où des acteurs grenoblois travaillent à faire émerger l’internet de demain.

Il tire son nom de "light fidelity", avec une référence à peine voilée à son cousin, le wifi ("wireless fidelity"). Le lifi, soit l'internet par la lumière, est peut-être la solution qui permettra demain d'équiper bureaux, maisons, crèches ou encore centres commerciaux.

Plus performant et plus stable que le wifi, ce système utilisant les fréquences créées par une ampoule LED pour transmettre de l'information ouvrirait la voie à des applications dans de nombreux domaines : santé, sécurité, transports, commerce, etc. D'après les experts, la vitesse de connexion atteinte en laboratoire permettrait de télécharger pas moins de 23 DVD en l'espace d'une seconde, offrant ainsi des débits jusqu'à 100 fois supérieurs au wifi. L'utilisation du lifi pourrait alors avoir un impact sur le risque de saturation des réseaux, à l'heure où 50 milliards d'objets connectés sont annoncés d'ici à 2020. Des géants comme Apple et Philips ont même commencé à étudier la possibilité d'intégrer des récepteurs lifi sur leurs prochains modèles de smartphones.

"Nous sommes passés d'un stade, au début des années 2000, où les gens fournissaient uniquement des luminaires, à une approche plus globale avec, par exemple, des solutions d'économie d'énergie ou des dimensions de smart lighting, explique Patrick Clert-Girard, délégué général du Cluster Lumière. En prenant pour support une LED, il est possible de superposer un signal numérique au signal lumineux, qui n'a plus rien à voir avec la lumière mais qui relève des communications."

Lifi et VLC

Si, contrairement au wifi, le lifi ne traverse pas les murs, il offre justement une meilleure sécurisation des accès, rendant ainsi possible son utilisation au sein des crèches, des hôpitaux ou du secteur de la défense. "Il a aussi l'avantage d'être plus inoffensif en matière de production de rayons électromagnétiques et est donc mieux perçu en termes de santé", complète Patrick Clert-Girard.

Encore faudra-t-il faire une distinction entre le lifi et sa cousine, la VLC (visible light communication) :

"Cette technologie permet de pousser une information descendante vers le consommateur, tandis que le lifi comprend à la fois une information descendante et remontante permettant des échanges d'informations dans les deux sens, soit des envois d'emails, par exemple", précise Sylvie Blanco, professeur de management de l'innovation à Grenoble école de management.

Dès lors, les applications potentielles sont multiples : "Dans des espaces comme les musées ou les gares, on pourrait permettre aux gens de se connecter sous un cône de lumière, avec un signal qui se déplace en même temps que l'utilisateur, comme dans un train", suggère-t-elle. Autre possibilité : se servir des LED utilisées pour l'éclairage des boutiques en vue de faire passer des informations ciblées aux consommateurs, en fonction de leur positionnement dans les rayons d'une boutique.

Et les fournisseurs d'accès, dans tout ça ?

Contacté, Orange n'a pas donné suite aux demandes d'Acteurs de l'économie-La Tribune. Si la plupart des fournisseurs restent encore assez discrets sur l'utilisation de cette technologie, Joris Gaudion, président du joint-venture SMLS, rappelle que le lifi ne concernera que la couche transport du signal. "Il sera donc probablement opéré par les mêmes opérateurs que ceux qui fournissent le wifi, car nous aurons toujours besoin d'un portail captif pour se connecter et s'identifier au réseau pour des raisons de sécurité. Tout l'enjeu sera donc pour eux de construire de nouvelles offres."

"Nous pouvons imaginer la même chose dans l'industrie, où un opérateur pourrait recevoir un faisceau d'informations grâce à une tablette sur l'état d'entretien de la machine et son cycle de révision à venir", ajoute l'enseignante.

"Toutes les applications naturelles se trouvent dans des domaines où l'on a besoin de davantage de sécurité, comme les agences d'armement ou de sécurité, mais aussi le domaine de la santé afin de limiter l'exposition du public aux ondes électromagnétiques", résume Patrick Clert-Girard.

Pole position

Bien que fonctionnant sur un principe déjà démontré en 1880 par l'inventeur du téléphone, Alexander Graham Bell, le lifi a vraiment émergé en 2011 à la suite d'une conférence TED menée par le professeur Harald Haas, de l'université d'Édimbourg. La technologie a depuis fait l'objet de tests et de développements dans plusieurs laboratoires, dont le CEA-Leti, à Grenoble, qui travaille conjointement avec l'entreprise Luciom depuis 2012 sur les nouvelles générations de LED.

"Il existe des développements en cours au niveau industriel pour faciliter les déploiements et obtenir une meilleure performance en matière d'augmentation du débit ou d'intégration de composants. L'autre spécificité, c'est que nous voulons conserver la même qualité d'éclairage tout en y intégrant un échange d'informations", précise Martin Gallezot, chef de projet du laboratoire.

Une dimension qui intéresse donc les groupes spécialisés dans les secteurs de la lumière et de l'énergie, comme l'industriel Schneider Electric, Philips ou encore Panasonic, mais aussi des startups et ETI du secteur. "Au sein du cluster, nous accueillons des sociétés comme Oledcomm ou Luciom qui fournissent des solutions lifi. Mais nous en sommes vraiment au démarrage. Lucibel commence tout juste à fabriquer ses solutions en grande série", avance Patrick Clert-Girard.

Des investigations de marché

Fin novembre 2015, Schneider Electric a créé un joint-venture avec Lucibel, SLMS (Schneider Lucibel Managed Services), en vue de développer de nouveaux services autour de cette technologie et de la VLC, principalement à destination de clients du domaine du commerce de détail. "Il s'agissait avant tout pour Schneider de réaliser une investigation de marché, à partir d'idées issues d'un processus d'innovation en interne", explique Joris Gaudion, président de SMLS. L'un de ses produits phares ? Un pop-up store, avec comme référence la tournée événement des Citroën C3. "Nous livrons des parcours interactifs et ludiques grâce à la technologie VLC, qui permettent de gérer jusqu'à dix clients autour d'une voiture pour un seul vendeur."

101 milliards de dollars

D'après les premiers chiffres avancés par les experts américains, le marché des technologies VLC aux États-Unis pourrait atteindre les 101 milliards de dollars d'ici à 2024 (90 milliards d'euros), contre 500 millions de dollars aujourd'hui (450 millions d'euros). Il sera concentré dans six domaines : le commerce de détail, les transports, les produits électroniques, la santé, la défense et la sécurité. Et la France représentera "plusieurs millions d'euros dès l'année prochaine et plusieurs centaines après", avance Joris Gaudion, président du joint-venture SMLS.

Des solutions de balisage positionnées au sein de grands ensembles, tels que des gares ou des aéroports, sont également en projet pour 2017. Selon lui, l'un des principaux avantages de ce type de technologie est sa facilité d'accès. "Plus besoin de devoir cliquer, les clients reçoivent directement les informations lorsqu'ils se trouvent sous le faisceau de lumière."

L'internet de demain ?

Le lifi remplacera-t-il pour autant l'usage du wifi ? "Nous devrions plutôt cumuler différentes technologies", pense Martin Gallezot.

"Le lifi apporte un accès internet plus sécurisé et plus difficile à détourner, ce qui pourrait être utile pour toutes les zones où il existe des enjeux de sécurisation, estime Sylvie Blanco, qui observe dans l'essor de cette technologie une « resegmentation » de l'offre présente sur le marché. Mais cela ne concernera pas forcément tout le monde, car il faut au préalable changer ses lampadaires pour des LED et ajouter des récepteurs et émetteurs pour avoir accès à internet. Le marché des particuliers ne sera donc pas le premier visé."

Cependant la professeure projette que ceux-ci pourraient voir les premières applications d'ici à quatre ans.

"Le lifi vient compléter l'offre wifi existante et déjà dans les mains des consommateurs", estime Joris Gaudion, rappelant que les secteurs du commerce de détail et de l'événementiel sont souvent ceux qui font émerger les tendances.

Une intégration coûteuse ?

Si plusieurs industriels songent déjà à développer des appareils compatibles avec le lifi, les débuts pourraient se dérouler de la même manière qu'avec le wifi : "Il faudra certainement ajouter dans un premier temps une clé USB à son PC pour pouvoir capter le signal", avance Sylvie Blanco, professeure de management de l'innovation à Grenoble école de management. Mais son intégration finale au sein des appareils connectés ne devrait pas poser de défis majeurs d'après Martin Gallezot, chef de projet au CEA-Leti, à Grenoble : "Il n'existe pas de barrière technologique à franchir, car les composants dont nous avons besoin, tels que les récepteurs ou émetteurs infrarouges, existent déjà." Pour Joris Gaudion, président de SMLS, joint-venture créé entre Schneider Electric et l'entreprise Lucibel, le déploiement de ce type de solutions nécessite au minimum le remplacement des luminaires existants par des produits pensés pour la lumière connectée, afin d'atteindre le même seuil de performance que les expériences réalisées en laboratoire. Si un surcoût est à prévoir à l'installation, afin d'équiper notamment les LED de récepteurs, l'installation se révélerait cependant ensuite moins consommatrice d'énergie. "D'ici à deux ans, nous constaterons une relative parité des prix entre la lumière LED et celle fournie par les bornes wifi, car la technologie aura progressé", estime Joris Gaudion.

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Commentaire 1
à écrit le 10/05/2017 à 9:26
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Expliquer le LiFi engage à considérer une complémentarité des technologies , des usages pour mieux conseiller les utilisateurs . Promouvoir le LiFi ne doit pas passer par une opposition au Wifi ou à toute autre technologie . Les débits seront nécess...

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