Ces entreprises insensibles au numérique

Ils n'ont pignon ni sur Internet ni sur les réseaux sociaux. À l'heure où les nouvelles technologies cornaquent le quotidien personnel et professionnel, certaines entreprises ont décidé de s'affranchir de toute communication digitale. Choix délibéré pour les uns, situation subie pour les autres, mais pour tous, une prise de risque élevée, ces irréductibles peuvent-ils continuer ainsi ?

Voilà un chiffre qui interpelle : 20 % seulement des entreprises déclarées en faillite en 2013 étaient présentes sur Internet, révèle le récent baromètre de la société Email-Brokers. De même, selon cette étude, le nombre d'entreprises françaises présentes sur le réseau social Facebook est passé de 4,2 % à 16,1 % en un an. Chez nos voisins européens, les choses sont bien différentes. Près d'une société allemande sur cinq possède un profil Facebook et plus d'une sur quatre en Espagne. La conclusion des auteurs de ce baromètre est sans appel. « Internet constitue un facteur clé dans la dynamisation et la pérennité d'un business. »

En juin 2014, l'étude réalisée par IDC pour Microsoft auprès de 240 dirigeants d'entreprises de 10 à 50 salariés plaident en faveur de cette analyse. 82 % des dirigeants interrogés affirment percevoir clairement l'impact du numérique sur le fonctionnement des entreprises de leur secteur d'activité et 50 % envisagent d'investir davantage cette année pour accompagner leur transformation numérique. Près de la moitié des patrons qui ont répondu à cette étude considèrent le numérique comme un levier de croissance, en matière de relation client et d'innovation.

Bien évidemment, entre les affirmations et la réalité, l'écart est, comme souvent, important. Un petit tour parmi les entreprises absentes du web suffit à s'en convaincre.

Des motivations plus ou moins fondées

Conseiller en gestion de patrimoine dans l'agglomération lyonnaise, Jean-Paul Hubert est absent des réseaux sociaux et d'Internet. Non par rejet dogmatique des nouvelles technologies, mais parce qu'il estime ne pas en avoir besoin.

« Je me pose régulièrement la question d'une présence sur Internet et sur les réseaux sociaux. Jusqu'à présent, la réponse a toujours été négative. Les réseaux sociaux, parce que je pense ne pas avoir le temps nécessaire pour y gérer correctement et efficacement la présence de mon entreprise. Internet, pour des raisons similaires, même si je pense que je ferais appel à des prestataires de service, mais surtout parce que je n'en ai pas besoin pour développer mon business. Internet et les réseaux sociaux ne correspondent pas totalement à la vision que j'ai de mon activité. Je préfère en effet fonctionner par bouche-à-oreille, avec discrétion, plutôt que de m'afficher sur de tels canaux de communication », explique-t-il.

À côté de cet argumentaire régulièrement remis en question, la majorité des chefs d'entreprise qui ne se positionnent pas sur ces outils de communication avancent des motivations liées à l'argent et au manque de temps. Parfois Big Brother trouve sa place dans le chapitre des récriminations, au même titre que la peur d'être copié. Et les questions de générations ne sont pas non plus étrangères à ce rejet.

« Franchement, je n'y connais rien à toutes ces nouvelles technologies. De toute façon, ce qui compte pour mes clients, c'est de savoir que je vais faire du bon boulot en respectant les délais et à des tarifs corrects. Et ça, ce sont vos clients qui le font savoir autour d'eux, sûrement pas un site Internet avec de belles images. Cela fait plus de trente ans que je travaille comme ça, je ne vais pas remettre cette façon de faire en question pour être à la mode », claque un entrepreneur d'une cinquantaine d'années spécialisé dans l'aménagement d'espaces extérieurs qui emploie sept personnes et tient à l'anonymat y compris pour témoigner sur ce sujet.

Les USA dévoilent une cyber-coalition contre l'Etat islamique

Reste que la majorité des absents d'Internet ne sont pas aussi tranchés dans leur jugement à en croire les spécialistes des réseaux sociaux.

Une méconnaissance de la valeur ajoutée

Pour Olivier Luisetti, chercheur en webmarketing communautaire, les entreprises qui boudent ces nouvelles technologies ont à leur tête des patrons mal informés.

« Ils ne savent pas réellement ce que peuvent leur apporter Internet et encore moins les réseaux sociaux. Ils les rejettent sous de multiples prétextes qui ne sont pas les bons. Ce constat découle pour partie d'un phénomène culturel. En France, les entrepreneurs n'ont pas le réflexe de la veille et de l'intelligence économique, alors qu'en Chine ou aux Etats Unis, il est très présent. De fait, les chefs d'entreprise utilisent ces technologies plus pour rester en veille sur ce que font leurs concurrents que pour se faire connaitre. Et de nos jours, où le capital client est très volatile, il est primordial d'utiliser la veille pour adapter ses produits ou ses services », explique-t-il.

Prétextant un manque de temps, d'argent ou une volonté de rester discret sur leurs savoir-faire, les entrepreneurs français restent donc à l'écart et certains hésitent encore à s'offrir une simple vitrine sur Internet. En revanche, ceux qui envisagent de franchir le pas ne le font pas à la légère. Pour 65 % des dirigeants qui ont répondu à l'étude réalisée par IDC pour Microsoft, la transformation numérique des entreprises impose des changements au sein de leur organisation, à commencer, pour eux-mêmes, par l'acquisition de nouvelles compétences. La bascule passe donc en général par une embauche ou par la sous-traitance de la gestion d'un site Internet à un prestataire. Et elle se fait plus souvent encore à l'occasion de l'arrivée d'un nouvel actionnaire.

« Lorsque je suis entré en discussion avec l'ancien dirigeant, l'absence de site Internet m'a interpellé. Cela dit, la société était tournée vers le BtoB, les clients venaient sur sa renommée donc le besoin n'était pas patent. Sans compter qu'il y avait eu par le passé un essai sur Internet qui finalement n'avait pas perduré, sans que cela n'influe sur l'activité », témoigne Pierre de Marigny, qui a repris en début d'année Laro Viticulture, fournisseur des viticulteurs et agriculteurs du bassin caladois en matériel agricole, notamment machines à vendanger, tracteurs pressoirs, etc.

Après avoir embauché et créé un magasin de vente aux particuliers, Pierre de Marigny va lancer son site dans quelques semaines et réaliser des opérations de e-mailing.

« Je suis convaincu du besoin de ce site, mais il ne faut pas être pris en défaut donc nous avons pris le temps de bien structurer l'entreprise avant de communiquer sur Internet », justifie t-il.

Une partie importante du capital immatériel

De plus en plus rares, la « défiance et la défaillance technologique » des entreprises trouvent ainsi souvent leurs limites à l'occasion d'un évènement incontournable que tous les chefs d'entreprise rêvent de réussir : la cession.

« La démarche numérique d'une entreprise est un élément de mieux en mieux valorisé à l'occasion d'une vente. En tout cas, il est désormais pris en compte quasi systématiquement lorsque l'on valorise le capital immatériel », fait remarquer Denis Chatain, responsable du service information et conseil pour les entreprises de l'Espace Numérique Entreprise de Lyon (Rhône) qui constate un afflux de demandes de conseils pour créer un site ou mettre en place une stratégie numérique en amont d'une cession.

« Les clients sont de plus en plus volatiles, mais le capital d'influence peut être conservé à l'occasion d'un changement de dirigeant, car il est en général identifié à une marque. Il est donc essentiel d'être présent sur Internet et surtout sur les réseaux sociaux pour que ce capital d'influence soit bien visible et bien valorisé lors d'une vente », ajoute Olivier Luisetti.

Le nombre de boudeurs de nouvelles technologies devraient donc se réduire de plus en plus.

« On peut tout au plus estimer que les entreprises positionnées sur un savoir-faire très spécifique lié à un marché de niche peuvent rester absentes d'Internet et des réseaux sociaux. Mais, pour les autres, rester en marge de ces nouveaux outils est une erreur », assure Olivier Luisetti.

Reste donc à lever les dernières barrières psychologiques et peut-être à trouver quelques indicateurs chiffrés permettant d'évaluer très concrètement la valeur ajoutée du numérique pour les entreprises. Et plus spécialement les PME et TPE, qui le plus restent en marge des technologies numériques. Le cabinet McKinsey France s'y emploie.

« D'ici à 2020, la France pourrait accroître la part du numérique dans son PIB de 100 milliards d'euros par an, à la condition que les entreprises accélèrent nettement leur transformation numérique. Plus largement, l'impact potentiel des technologies numériques disruptives (cloud computing, impression 3D, Internet des objets, big data...) s'élève à près de 1 000 milliards d'euros en France d'ici à 2025, en prenant en compte la création de valeur ajoutée et le surplus de valeur dont bénéficient les consommateurs », calcule-t-il dans une étude qu'il vient tout juste de publier.

De quoi convaincre les derniers réfractaires.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 09/01/2015 à 17:55
Signaler
Honnêtement : que de temps perdus sur ces réseaux sociaux avec les outils connectés.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.