Quantique : pourquoi le laboratoire pharmaceutique Boehringer s'associe avec Google

Il s’agit d’un partenariat qui tombe à pic, alors que le gouvernement français dévoilait sa stratégie ce jeudi. Le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim s'associe avec Google dans le cadre d'un programme de recherche fondamentale sur le quantique. La Tribune a pu s'entretenir avec les équipes de recherche des deux entités, qui n'ont qu'un seul et même objectif : mettre ces technologies au profit de la R&D pharmaceutique.
Google et Boehringer Ingelheim s'associent pour pousser la recherche fondamentale quantique à un autre stade, avec la perspective que celle-ci puisse venir à terme accompagner l'industrie pharmaceutique dans ses travaux de R&D sur les nouvelles molécules.
Google et Boehringer Ingelheim s'associent pour pousser la recherche fondamentale quantique à un autre stade, avec la perspective que celle-ci puisse venir à terme accompagner l'industrie pharmaceutique dans ses travaux de R&D sur les nouvelles molécules. (Crédits : DR/google)

Au lieu de prendre près de 10.000 ans, certains calculs pourraient ne prendre plus que 200 secondes... Ce sont en tout cas les promesses de l'informatique quantique, une technologie qui pourrait transformer, à l'avenir, le visage de certains secteurs de notre économie.

Et chose inédite : le laboratoire pharmaceutique allemand Boehringer Ingelheim -qui emploie près de 1.500 personnes en région lyonnaise- entre dans la course à travers un partenariat stratégique avec la firme Google. Car le géant américain de Mountain View s'intéresse de très près à ces nouvelles technologies, avec ses équipes déjà hébergées au sein d'une entité dédiée, Google Quantum AI. Et Boehringer aussi désormais :

« Boehringer Ingelheim devient la première entreprise pharmaceutique au monde à s'associer à Google dans ce domaine », se félicite Clemens Utschig-Utschig, Chief Technology Officer de Boehringer Ingelheim.

Un partenariat qui souhaite s'inscrire sur du long terme -à minima sur une durée de trois ans-, et qui vise à combiner les expertises des deux groupes : à savoir, d'un côté, les compétences de Boehringer Ingelheim dans le domaine de la conception de médicaments assistés par ordinateur et de la modélisation, et de l'autre, les ressources exceptionnelles de Google, qui se positionne aujourd'hui comme l'un des principaux développeurs d'ordinateurs et d'algorithmes quantiques au niveau mondial.

« Notre rôle, en tant que laboratoire pharmaceutique, est de découvrir les meilleurs traitements, composés de molécules et de protéines parfois complexes, et l'informatique quantique va nous permettre de mieux comprendre ces molécules et développer ainsi davantage de traitements ciblés pour les patients », explique Clemens Utschig-Utschig.

Et l'informatique quantique aurait, sur ce point, le potentiel de simuler et de comparer avec précision un nombre bien plus grand de molécules qu'il n'est possible de le faire à l'heure actuelle, créant ainsi de nouvelles possibilités thérapies pour un large éventail de maladies. Cette technologie pourrait aussi se traduire par un gain de temps pour les équipes de R&D, les amenant à pouvoir se concentrer sur un nombre réduit de molécules, les plus efficaces, grâce aux résultats obtenus par les modélisations menées en amont.

« Il était pour nous clair qu'il fallait agir dans ce domaine et Google était un partenaire idéal car il nous apportait à la fois la technologie, mais également une équipe de chercheurs susceptibles de travailler à nos côtés » confirme Boehringer, qui oeuvre à la fois dans le domaine de la santé humaine et animale.

Le laboratoire allemand a d'ailleurs lui-même mis sur pied un nouveau « Quantum Lab », composé d'une équipe de cinq chercheurs en interne. Une équipe qui se veut multi-sites, puisqu'elle est issue d'expertises sélectionnées au sein de différents pays : Allemagne, Pays-Bas, Vienne, Israël et désormais Boston, afin d'être au plus près des écosystèmes de recherche académiques et industriels dans le domaine quantique.

« Notre objectif est de montrer que l'informatique quantique n'est pas juste une technologie geek, mais une technologie avec d'importantes perspectives » , glisse Clemens Utschig-Utschig.

Google impliqué dans une roadmap à 10 ans

De son côté, le géant Google, -qui aurait réussi à passer une première étape dans la course à la "suprématie quantique" il y a quelques mois, en expérimentant un supercalculateur capable de réaliser une opération très complexe de calcul en l'espace de quelques minutes-, déploie une stratégie offensive à ce sujet depuis une dizaine d'années. Et s'intéresse désormais de près à élargir sa connaissance des algorithmes et de l'informatique quantique à des domaines applicatifs du réel :

« Il faut se souvenir des propos du prix Nobel Richard Feynman : si vous voulez simuler la nature, vous devez utiliser la mécanique quantique », rappelle Markus Hoffmann, Global Quantum Computing Programs Lead chez Google Quantum AI.

Et d'après lui, l'humanité aurait désormais atteint les limites des capacités classiques de simulation informatique dans un certain nombre de domaines : « On le voit déjà dans le champs pharmaceutique, où certaines molécules sont devenues trop complexes à analyser avec les procédures actuelles ».

Personne ne prononce pour l'instant le mot Covid-19 -ni même le nom d'autres virus-, mais l'objectif semble bel à bien d'adresser, à terme, les défis posés par l'émergence de nouvelles maladies. Et l'on voit bien combien l'épidémie actuelle a poussé les chercheurs du monde entier dans une course contre la montre pour identifier une nouvelle souche de coronavirus, puis un candidat-vaccin.

« Il est certain que nous ne résoudrons pas tous les problèmes de l'humanité, mais nous souhaitons nous concentrer sur certains domaines de la science, tel que la chimie, afin d'aller au-delà des connaissances actuelles », estime pour sa part Markus Hoffmann.

La firme américaine s'est elle-même fixée une feuille de route sur les dix années à venir consistant à développer de nouveaux algorithmes et méthodes d'analyses pour adresser ces défis :

« Cela nous donne le temps de trouver des applications utiles et de convertir les problèmes rencontrés par l'humanité au moyen du quantique », déclare Thomas O'Brien, responsable des algorithmes et applications quantiques européens chez Google Quantum AI.

Elle avait d'ailleurs déjà commencé à déployer un certain nombre de partenariats avec d'autres compagnies, comme le chimiste allemand Covestro, ou encore les constructeurs automobiles Volkswagen ou Daimler. Et ce nouvel accord avec le laboratoire pharmaceutique Boehringer constitue également une occasion de lui garantir désormais « de solides compétences scientifiques » dans ce domaine, ajoute Thomas O'Brien.

Un gain de temps en R&D

Concrètement, ce partenariat permettra aux équipes de Google et Boehringer de travailler ensemble à relever plusieurs défis : « A ce stade, on ne parle pas encore d'applications humaines ou animales, mais bien de recherche fondamentale, précise toutefois Clemens Utschig-Utschig. Nous allons commencer par nous focaliser sur les fondements de la recherche, afin de mieux comprendre les molécules. C'est un aspect essentiel avant de pouvoir penser à des domaines applicatifs ».

Ainsi, on ne saura pas encore quelles sont les maladies et traitements qui pourraient être concernés demain en priorité par ce changement de paradigme de la recherche.

Côté chiffres, les deux partenaires demeurent également discrets concernant le budget alloué à ce projet stratégique pour les deux entités, ainsi que sur le nombre précis de chercheurs alloués. Ils rappellent cependant que l'ensemble des travaux se traduiront tout d'abord par « du temps humain » à consacrer à ces recherches et modélisations, avant de pouvoir utiliser des ordinateurs quantiques pour des expérimentations.

« Quand on construit un programme aussi large, cela requiert la collaboration d'un grand nombre de personnes issues de différents départements du groupe, que ce soit des experts en fabrication, hardware, software, infrastructures informatiques, conception d'algorithmes, etc », confirme Thomas O'Brien chez Google.

Coopérer, tout en prenant sa place en Europe

D'autant plus que selon eux, le développement de cette filière ne pourra se faire qu'en misant sur des modes d'innovation collaboratifs comme celui-ci, en s'assurant de mettre en commun les expertises à l'échelle internationale.

« Notre combat est la complexité de la nature elle-même. Face à un tel défi, il est crucial de s'appuyer sur la collaboration de tous les chercheurs et de l'industrie, y compris les startups », déclare Markus Hoffmann.

Google s'engage d'ailleurs à ce que les algorithmes développés par ses équipes soient ensuite mis à disposition en open source pour contribuer aux travaux de l'industrie.

Un projet qui résonne également avec la stratégie du gouvernement Macron, dévoilée ce jeudi matin, pour le domaine quantique. L'Etat français a en effet choisi d'accélérer, en annonçant une enveloppe de 1,8 milliards d'euros, pour accompagner le développement de cette filière émergeante, sur laquelle des acteurs locaux comme le CEA de Grenoble, le CNRS et l'Inria contribuent déjà par leurs travaux de recherche.

Bien que l'enveloppe annoncée paraisse encore limitée face à des pays comme la Chine (qui a annoncé 10 milliards de dollars) ou les Etats-Unis (où la recherche repose à la fois sur un soutien public, ainsi que sur de forts investissements des GAFA), elle place néanmoins la France devant le Canada, la Suisse ou encore le Royaume-Uni.

« En tant qu'Européen, je suis assez triste que l'on pense assez souvent que la France est en retard dans le domaine de l'informatique quantique. De mon point de vue, ce n'est pas vrai, car tous les partenaires de recherche industrielle de Google Quantum AI sont basés en Europe », estime d'ailleurs Markus Hoffmann.

Selon lui, Google a notamment développé des collaborations de recherche universitaire « de grande qualité » dans toute l'Europe, tandis que son kit de développement logiciel pour la construction de systèmes informatiques quantiques en open source (SDK) est déjà intégré par certaines startups, telles que la société française Pasqal.

Reste une nécessité cependant : celle de déployer dès à présent une stratégie pour former les futurs talents du domaine quantique, « afin de ne pas reproduire ce que l'on a connu avec l'intelligence artificielle et la pénurie de jeunes recrues formées », met en garde Google.

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Commentaires 3
à écrit le 22/01/2021 à 18:40
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je ne suis pas specialiste pharma, mais il semble qu'en fait dans les nouvelles molecules, le gros pb, c'est la 3d, en particulier les angles et la faut du gros calcul qui a du cloud, et qui a tensorflow? pas les socialistes francais qui distribue...

à écrit le 22/01/2021 à 8:36
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Parce qu'ils sont intelligents, bon vu que ce sont des allemands ils finiront par se faire avaler parce que bien trop naîfs mais nous autres français devrions discuter bien plus avec les GAFAM de façon générale. Enfin je parle des français éveillés b...

le 23/01/2021 à 9:50
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"je parle des français éveillés bien entendu" vous venez ? On va discuter avec les Gafam dès qu'on aura obtenu un rendez-vous. Il en faudra un avec G, un avec A, une avec F, etc c'est une hydre à 5 têtes (donc un monstre :-) ).

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