Deeptechs : "Nous avons gagné 10 ans sur le développement de la filière" (Minalogic)

CES 2021. Alors que le coup d’envoi du grand rendez-vous de l'électronique grand public a été donné à Las Vegas en format digital, comment le monde de la deeptech a-t-il vécu cette année inédite, marquée par la crise ? Selon Jean-Eric Michallet, délégué général du pôle de compétitivité des technologies du numérique en AuRA, Minalogic, on assisterait à l'accélération de plusieurs tendances favorables à l’éclosion de ces technologies disruptives, dont AuRA se pose comme un terreau fertile.
Le dg du pôle Minalogic Jean-Eric Michallet, qui a d'abord fait carrière chez IBM ainsi qu'au sein du CEA Leti, estime qu'il n'y a jamais eu autant de possibilités de financements qu'aujourd'hui pour les deeptechs.
Le dg du pôle Minalogic Jean-Eric Michallet, qui a d'abord fait carrière chez IBM ainsi qu'au sein du CEA Leti, estime qu'il n'y a jamais eu autant de possibilités de financements qu'aujourd'hui pour les deeptechs. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - Tout d'abord, comment qualifieriez-vous la tenue en format digitale du CES cette année ? En tant que coordinateur de la délégation régionale à côté de la région Auvergne Rhône-Alpes, quelles tendances avez-vous observées concernant les startups candidates ?

JEAN-ERIC MICHALLET - "Il est évident que nous nous situons dans une période très particulière, et le CES a été nécessairement impacté. En période normale, on ne parlerait que de cet événement, alors qu'il est aujourd'hui relégué en page 20 des journaux...

Bien évidemment, beaucoup d'entreprises se sont posées la question de leur participation cette année, et certaines n'ont pas forcément voulu investir, même si des collectivités comme la région Auvergne Rhône-Alpes sont là pour les aider à couvrir jusqu'à 80% de leurs frais. D'un autre côté, on observe que depuis un an, les entreprises ont désormais l'expérience de ces événements digitalisés, même s'il n'est pas toujours facile de vendre son produit ou son concept en visioconférence".

La taille de votre délégation régionale s'avère cependant plus resserrée cette année...

"Tous ces facteurs cités plus haut expliquent en effet que l'on se retrouve avec une délégation un peu plus resserrée, d'une vingtaine de startups au lieu de 30. Mais nous observons quand même une belle représentativité de l'innovation en Auvergne Rhône-Alpes, avec des entreprises comme BeFC, Dracula Technologies ou encore ProovStation qui font partie des deeptechs proposant quelque chose de disruptif.

Nous avons également des plateformes logicielles comme Kentyou, qui travaille dans le domaine de la smart City, ou encore des concepts innovants comme la brosse à dents ultrarapide de FasTeesT. eLichens revient également avec son capteur miniature, mais en amenant cette année de nouveaux usages liés à la crise sanitaire. Tout cela nous permet d'afficher une belle complémentarité et représente bien l'écosystème numérique au sein de notre région".

Auvergne Rhône-Alpes se positionne également comme un terreau de deeptechs, avec ses hubs de Lyon, Grenoble mais désormais aussi Valence : comment la crise actuelle a-t-elle impacté cet écosystème régional ?

"Notre région arrive en effet en tête dans le domaine des deeptechs, juste après l'Ile-de-France, compte-tenu de son tissu industriel qui appelle des technologies disruptives, fortement capitalistiques, et qui ont besoin d'une propriété intellectuelle forte pour accéder au marché.

Cela n'empêche pas les innovations de usage, mais ces deeptechs s'appuient effectivement en AuRA sur une présence très forte de l'écosystème de recherche, à la fois public (CEA, Inria, etc) et privé, avec plusieurs grands groupes (Michelin, Schneider, STMicroelectronics, Sanofi, etc) dont l'empreinte R&D est très importante sur le territoire.

Il ne faut pas oublier la présence de plusieurs pôles de compétitivité comme Minalogic sur le territoire, mais aussi comme Lyonbiopôle, Axelera, Cîmes ou encore Techtera, a permis de nourrir cet écosystème numérique."

La crise que nous vivons a-t-elle accéléré le mouvement vers ces deeptechs ? Voire également élargi leur champs d'action ?

"Les usages qui apparaissent aujourd'hui vont en effet bien plus loin que l'électronique, et la crise sanitaire a accéléré cette transformation. Nous avons gagné 10 ans en termes de développement au sein de la filière.

Même si la valorisation de la recherche ne date pas d'hier, l'éclosion de l'esprit entrepreneurial que nous avons observé au cours des dernières années fait que la France est aujourd'hui reconnue mondialement dans ce domaine.

Il demeure encore nécessaire de transformer ce mouvement en emplois, et de traiter les enjeux de financement et d'industrialisation, mais la France ne manque pas d'idées et n'a jamais manqué d'innovations.

On le voit bien dans le panel des innovations présentes en Auvergne Rhône-Alpes, et qui couvrent à la fois la santé, le bien-être, la mobilité, l'énergie..."

Avec cette crise, assiste-t-on justement à un basculement de l'innovation vers la deeptech au détriment du secteur des services, qui étaient jusqu'ici en plein boom ?

"Il est intéressant de constater que proposer 'du service pour du service' est aujourd'hui passé de mode, et les membres des comités d'investissements ou des jurys réfléchissent davantage à ce sujet.

La tendance à bas bruit consiste à revenir vers des technologies plus « dures », avec la conviction que cela ne sert à rien de faire le 72e Meetic pour une catégorie de population précise. On veut plutôt trouver un produit qui améliore la qualité de l'air que l'on respire, les conditions de travail, le transport et la mobilité, ou encore l'énergie et la santé.

Les technologies du secteur médial vont en ce sens reprendre de l'importance. En 2020, beaucoup de gens sont aussi revenus vers les guichets de financements publics et vers la valorisation de technologies issues des laboratoires".

Sur le terrain des financements, on peut craindre que la crise sanitaire ne rende les investissements plus compliqués à conclure pour ces deeptechs : est-ce vraiment le cas ?

"On dit que la situation est compliquée, mais elle est surtout différente : il n'y a en réalité jamais eu autant de possibilités de financements qu'aujourd'hui. Les états n'ont jamais autant ouvert le robinet, et les acteurs privés ont toujours de l'argent pour financer des projets.

Les critères évoluent cependant vers des aspects de durabilité, de développement durable, ou encore d'industrialisation et de localisation qui vont prendre de l'importance à l'avenir. Financer la technologie pour la technologie devient cependant un peu lassant car on voit bien que la société est désormais dans une quête de sens.

La technologie se trouve au cœur de cette réorganisation du monde, et les startups deeptechs ont bien plus de chances d'éclore, que des concepts de restaurant au coin de la rue..."

Pour autant, les startups ne sont pas entièrement déconnectées de leur écosystèmes et ont besoin que les autres secteurs et acteurs de l'économie aillent bien pour continuer à se développer elles-aussi.

Cette crise peut-elle être vue comme une opportunité pour donner enfin le feu vert à certains champs de l'innovation, comme le domaine de l'environnement par exemple, dont les investissements pouvaient jusqu'ici être jugés trop coûteux ou en dehors des priorités avant la crise ?

"Il est évident que le contexte actuel porte, de manière plus forte, des innovations dans ce domaine, comme celles des startups régionales BeFC, Dracula technologies, eLichens ou encore Kenyou et sa plateforme de jumelage numérique pour analyser en temps réel les données de la smart City.

Nous sommes dans un double mouvement où nous avons à la fois des générations d'entrepreneurs plus sensibles à ses questions, et de l'autre, des financeurs comme HSBC, où les conseils d'administration demandent désormais de se retirer des énergies fossiles.

Il existe aussi une demande des institutionnels publiques pour financer des projets en matière de développement durable : c'est donc une véritable opportunité pour la filière."

Comment envisagez-vous l'année 2021 ?

"Bien intelligent est celui qui saura prédire ce qu'il va se passer... Mais je pense que l'année à venir pourrait ressembler, en partie, à 2020. Le temps que nous sortions de cette crise, il y aura probablement des rechutes.

Les entreprises sont d'un côté le pied sur l'accélérateur, et de l'autre sur le frein. L'année 2021 pourrait donc encore être synonyme de "stop and go" pour les salariés et les investissements également.

Mais sur un terrain plus macro, les politiques des régions, des états et même de l'Europe vont probablement continuer de mettre l'accent sur la réindustrialisation et le fait de choisir de réinvestir sur les outils de production.

Ces décisions vont bénéficier aux deeptech et faire en sorte que la « vallée de la mort », que peuvent connaître les innovations entre le laboratoire et le monde de l'entreprise, va être plus largement comblée".

Alors qu'une partie des innovations produites par les startups misaient jusqu'ici sur des industrialisations massives, à plusieurs millions d'unités, pour se lancer, le phénomène de relocalisation de la production industrielle en France peut-il être synonyme d'une retour au "slow is beatiful" ?

"Il est en effet possible que nous revenions à des choses un peu différentes de l'émiettement de la chaîne logistique actuelle, avec des volumes plus mesurés et des modèles économiques qui soit plus progressifs et pas uniquement basés sur un investissement de 20 % du Capex immédiatement".

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