Entreprendre : 4 espèces animales passées à la loupe

Avec le lancement ce jour du cycle "Homo Animalis", organisé par Acteurs de l'économie-La Tribune en collaboration avec Boehringer Ingelheim, notre série de sept articles décrypte la manière dont l'espèce animale "entreprend". Si toutefois, il est possible de lui accoler ce verbe... Qu’elles soient loup, insecte, orque ou oiseau, ces différentes espèces animales portent en elles des germes entrepreneuriaux, ou plutôt des caractéristiques proches de l’humain lorsqu’il s’agit d’innover, de communiquer ou d’agir en groupe. Décryptage avec notre quatrième volet sur ces espèces singulières.
(Crédits : DR)

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  • COLLABORER COMME LES INSECTES

Invasion d'insectes (sauterelles ici) au Nord du Sénégal le 4 octobre 2014

Contrairement aux humains, il n'existe pas, chez les insectes sociaux, de société reposant sur une construction de l'esprit, avec des règles, des lois, des croyances et des objectifs. Tout repose sur des instincts individuels qui, associés, aboutissent à un comportement et une structure complexes.

« La construction d'un nid représente une somme de règles individuelles qui, additionnées, deviennent des galeries interconnectées. On peut penser à première vue que cela est construit de manière réfléchie alors que la structure repose sur des essais-erreurs », avance Mathieu Molet, maître de conférences en biologie, à l'Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de la Sorbonne.

Si l'on imagine mal un constructeur automobile fabriquer des milliers de pièces pour que l'une d'elles fonctionne au hasard, « de plus en plus de travaux en R&D, comme la biologie moléculaire, commencent à fonctionner de cette manière, en générant de nouveaux médicaments par le biais de modifications aléatoires ». Les insectes offrent aussi l'exemple d'une collaboration structurée, avec une motivation toutefois différente de celle des salariés en entreprise.

« Plutôt que d'aider un autre individu au hasard sur la base d'un bénéfice attendu comme l'argent, certains insectes n'ont pas besoin d'un retour concret sur l'aide apportée et visent avant tout l'intérêt du bien-être général et de la poursuite de la lignée. On voit ainsi des ouvrières fourmis stériles qui ne se reproduisent pas mais sont capables de transmettre leur programme génétique en aidant des mères, qui peuvent fabriquer de nouvelles ouvrières. »

C'est ce concept de « récompense commune » qui pourrait, d'après Mathieu Molet, être repris en entreprise pour donner plus de sens : « Les ouvriers se sentent souvent déconnectés de la santé de leur entreprise. Or, développer des bénéfices mutuels entre l'entrepreneur et ses salariés est quelque chose qu'il ne faut pas perdre de vue, pour un travail qui profite à tous. »

  • (S')ORGANISER COMME LE LOUP

Les deputes de montagne redoutent l'inflation des loups

Depuis des années, le loup a développé des capacités de collaboration pour faire face à son environnement. « Contrairement aux autres carnivores comme les félidés, les loups ont perdu certains attributs au cours de leur évolution comme les griffes rétractiles tandis que leur mâchoire s'est raccourcie et leur cou s'est allongé. Ils ont été contraints de compenser et de se mettre à chasser ensemble les grandes proies », illustre Jean-Marc Landry, biologiste, éthologue et fondateur de la Fondation Jean-Marc Landry qui œuvre pour la biodiversité.

Là encore, contrairement à d'autres carnivores, les loups se sont dotés de règles implicites pour sociabiliser et coopérer.

« Tandis que beaucoup de carnivores solitaires ne supportent pas la présence d'autres membres de leur espèce, les groupes de loups s'accordent pour savoir qui mange le premier, ou si l'on partage la proie... On sent qu'il s'agit d'une expérience qui ne peut s'acquérir que s'ils vivent en groupe et gagnent fréquemment des proies. »

La collaboration peut même s'étendre jusqu'à une certaine forme de protection lorsque cela s'avère nécessaire : « Un cas récent en Italie a fait apparaître qu'un louveteau paralysé du train arrière a survécu grâce au groupe. »

Il existerait également plusieurs formes de leadership entre les loups : « Il y a des leaders qui vont prendre des initiatives et mettre en place une autorité naturelle, tandis que d'autres vont suivre, comme ce que l'on observe chez les chevaux. Mais ce ne sont pas toujours les mêmes individus qui décident, ce qui montre qu'il existe une relation complexe. »

Il a même été recensé des cas où le leader pouvait être un loup à trois pattes ! Une caractéristique dont les chefs d'entreprise pourraient selon lui s'inspirer : « Dans les meutes de loups comme en entreprise, l'autorité naturelle est quelque chose d'important, avec des patrons qui ne doivent pas chercher à s'imposer. »

  • COMMUNIQUER COMME L'ORQUE

Président fondateur de l'association Orques sans frontières, le spécialiste des orques libres Pierre Robert de Latour a cumulé 5 500 plongées réussies avec des orques au cours des vingt dernières années. À tel point qu'il a eu l'idée d'identifier le mode de fonctionnement des orques dans la chasse afin de s'en servir pour débloquer des situations de crise en entreprise :

« Les orques ont développé un système de communication bien meilleur que le nôtre basé sur l'écholocation et la production de sons, qui circulent mieux dans l'eau que dans l'air. »

Il compare leur système de communication à « un internet en temps réel ». «

Elles ont un niveau de communication bluffant, qu'elles savent mettre à profit pour ne laisser aucune chance à leur proie. Ce système fonctionne un peu comme celui des chauves-souris : les orques émettent des sons et reçoivent un écho qu'elles sont capables de récupérer et de transformer en image. »

Doté d'un cerveau quatre fois plus gros que l'humain, ce mammifère marin s'en servirait ainsi pour rester en communication permanente avec ses semblables, même lorsqu'il se déplace. « Leur formation de nage est elle aussi tout sauf aléatoire, avec les mâles à la queue, les femelles au milieu et les jeunes en périphérie », souligne Pierre Robert de Latour. Même dans la chasse, les orques font preuve de coordination, en partageant l'information immédiatement.

« Elles sont également capables de s'adapter lorsque leur environnement change pour trouver de nouvelles stratégies de chasse, comme lorsque les harengs ont migré plus au nord et qu'elles ont été concurrencées par la baleine à bosse. Les orques se déplacent et obligent la baleine à attaquer sur les côtés, et non par le dessus, pour pouvoir récupérer elles aussi des poissons. »

  • INNOVER COMME L'OISEAU

Changements climatiques: des oiseaux hivernent desormais en israel

Chez les oiseaux, l'innovation fait partie des caractéristiques communes à plusieurs espèces. « Nous avons, par exemple, déjà vu des mésanges qui arrivaient à percer les bouteilles de lait livrées sur le pas des portes en Angleterre tandis que d'autres corvidés sont très habiles pour utiliser des outils afin d'aller chercher des insectes ou des choses inaccessibles avec leur bec », remarque Alain Caizergues, ingénieur expert de l'unité Avifaune migratrice à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Néanmoins, ce dernier précise que les innovations n'ont rien à voir avec les capacités dont disposent les hommes :

« Contrairement à l'oiseau, l'homme a atteint une spécialisation considérable, qui l'oblige à collaborer, ce que les animaux comme les oiseaux ou même les insectes sociaux n'ont jamais réalisé. »

Pour autant, les oiseaux ont justement montré un certain nombre d'innovations qui témoignent de leur capacité d'adaptation à un environnement façonné par les hommes. Ils savent également faire preuve d'une autre qualité, qui est la collaboration avec leurs semblables, dans certains cas comme les parades destinées à la reproduction. « On constate, dans des espèces comme celle du manakin lancéolé, que plusieurs mâles vont parader dans des ensembles hautement synchronisés pour séduire la femelle, même si, en bout de ligne, un seul individu sera choisi », affirme Alain Caizergues.

Dans la population des cormorans, plusieurs individus vont s'allier pour pêcher ensemble des bancs de poissons.

« Dans ce cas, c'est la sélection naturelle qui va favoriser ce comportement », estime Alain Caizergues. Chez les pinsons, détaille-t-il, on observe aussi une forte synchronisation qui leur dit à quelle période et dans quelle direction migrer. « Certains oiseaux vont aussi voler en triangle pour économiser de l'énergie », ajoute l'expert. Cette coopération peut même aller jusqu'à du « cooperative breeding », où les jeunes oiseaux mâles issus des espèces nivicoles aident leurs parents à élever et nourrir les plus jeunes au lieu de se disperser.

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