CEA-Leti de Grenoble, de la recherche à l'industrie

2ème partie de l’immersion au sein de l'entreprise grenobloise CEA-Leti. Si le financement de l'État et les programmes d'aide à la recherche (Europe, ANR) représente encore une part du financement du Leti, 75 % de son budget de 318 millions d'euros provient de partenariats mis en place avec des industriels. Car le prix des machines peut aller d'un million à dix millions d'euros l'unité, et monte même jusqu'à 50 ou 100 millions d'euros pour les plus onéreuses.

"Ce qui qualifie un peu le modèle Leti, c'est justement de pouvoir faire bénéficier les entreprises d'une mutualisation de moyens et d'expertises qu'ils ne pourraient pas se payer en dehors", résume Nicolas Lhermet.

Ainsi, PME comme grands groupes (ST Microelectronics, Soitec, Sofradir, Ulis, Movea, Apix Technologies, etc.) peuvent travailler en partenariat avec le personnel du Leti pour gagner en compétence, ou pour réaliser des tests qui leur permettront de déployer une technologie en interne.

"Nous travaillons sur des projets très applicatifs, avec souvent un transfert de propriété intellectuelle, dans une perspective d'industrialisation. Nous sommes donc loin de la recherche en amont", souligne Nicolas Lhermet.

Une équipe soudée

Stéphanie Gaugiran s'occupe, par exemple, du laboratoire commun mis en place avec la start-up Aledia en vue de concevoir et réaliser des LEDs intelligentes sur silicium.

"Nous travaillons avec les équipes de la start-up, qui compte 45 personnes, ainsi qu'avec une petite équipe du CEA-Leti de 10 personnes. Cela permet à l'équipe, qui est jeune et dynamique, d'être très soudée, car nous travaillons dans les mêmes locaux".

Selon elle, l'un des principaux défis est de bien arrimer les objectifs de la startup avec ceux du personnel du CEA-Leti :

"La startup peut avoir des objectifs qui changent, et qu'il faut pouvoir accompagner : cela implique que les équipes qui gèrent le projet soient bien en phase, et qu'elles soient très présentes sur le terrain pour qu'il y ait un lien constant", affirme-t-elle.

Les industriels ne sont jamais très loin :

"Nous les rencontrons souvent, parfois toutes les semaines ou tous les quinze jours pour faire des points d'étape. Nous avons également des jalons annuels pour pouvoir ensuite passer à l'étape supérieure", ajoute Vincent Reboud.

CEA Leti

Une production d'usine

Même si le CEA se positionne comme un chef de file en matière de recherche appliquée en Rhône-Alpes, il ne s'interdit pas non plus de travailler avec des entreprises internationales, qui disposent de financements plus importants en matière de recherche et développement. Sa "salle usine", qui a nécessité la construction de deux extensions pour accueillir des chaines de production de 200 et 300 millimètres dédiées au développement de nouvelles applications de micro et nanotechnologies, en est l'illustration.

"Le Leti a dû s'équiper pour s'adapter aux besoins de ses partenaires, en investissant environ 40 millions d'euros par an dans ses équipements afin de traiter par exemple du silicium sur 200 à 300 millimètres", résume Denis Renaud.

La consommation d'une ville de 20 000 habitants

Une infrastructure à mi-chemin entre la production et la recherche, qui a nécessité la conception d'une salle blanche à plusieurs niveaux, une sorte de mille-feuille comprenant des fonctions d'extraction et de soufflage de l'air, un réseau de conduites de plomberie et de gaz pour maintenir une température constante de 21 °C et une hygrométrie de 45 %. Un bâtiment qui consomme l'équivalent d'une ville de 20 000 habitants, et dont les équipes doivent chercher à maximiser l'utilisation.

Nicolas Reboud, chercheur au département de photonique, y travaille avec les industriels pour "prévoir les coups d'après" sur des programmes de recherche très tournés vers le domaine applicatif, qui peuvent durer d'un à dix ans, en fonction des industriels et du secteur.

"On suit la feuille de route définie par les experts et on fait de la recherche en amont afin de développer les briques qui manquent, et concevoir les nouveaux composants à une échelle de dix à vingt ans", explique-t-il.

Le management de l'innovation

L'un des défis est de faire la part entre passion et raison :

"Ce sont souvent des métiers de passionnés, où les gens ont envie de résoudre tous les problèmes qui se présentent à eux. Or, nous devons d'abord arriver à transférer ce que l'on a fait à l'industriel qui nous paie, pour qu'il ait la capacité d'innover par étapes", rappelle Vincent Cachard, 43 ans, chef du service imagerie du CEA-Leti.

Ainsi, les équipes du CEA-Leti doivent quotidiennement faire le pont entre des objectifs de recherche à long terme et les objectifs de leurs clients à plus court terme.

"Pour répondre à des pics de production, nous sommes amenés à faire appel à des intérimaires ou des CDD. Cela nécessite d'être très réactif, de former les gens et de capitaliser ensuite sur leurs savoirs à leur départ", précise Nicolas Lhermet, au laboratoire des composants pour l'éclairage.

Un juste équilibre à trouver

Les chefs d'équipe doivent également veiller à éviter toute dispersion :

"Le défi est de ne pas réinventer sans arrêt des choses qui ont déjà été faites. C'est pourquoi les métiers d'expertises sont occupés plutôt par des gens d'expérience, qui peuvent accompagner le développement et éventuellement réorienter sur des demandes déjà faites", explique le chercheur Denis Renaud.

Au quotidien, les équipes doivent veiller à toujours conserver un équilibre entre les besoins de la recherche amont et ceux de l'industrie :

"Si nous sommes trop en aval, nous perdons notre capacité d'innovation, et si nous sommes davantage en amont, nous ne serons pas pertinents avec le milieu industriel", rappelle Vincent Cachard.

Une confidentialité nécessaire

À la fois force et difficulté, la confidentialité qui est de mise au sein du CEA est un enjeu permanent pour servir au mieux les entreprises partenaires.

"C'est seulement ainsi que l'on peut être en contrat, en parallèle, avec deux entreprises qui peuvent être concurrentes", résume un chercheur.

Outre la mise en place d'équipes différentes, cela implique aussi le respect de certaines règles de base :

"Les équipes ne doivent jamais parler de leurs projets en cours. Il s'agit d'une habitude et une culture : lorsque vous êtes à la machine à café en train de discuter avec quelqu'un, vous changez de sujet naturellement lorsque quelqu'un d'autre arrive. Tout le monde l'accepte et le sait", résume Nicolas Lhermet.

"Cela passe aussi par des noms de code, que nous attribuons aux projets et qui font parfois rigoler les gens. Mais il est aussi très important d'expliquer qu'il ne s'agit pas simplement d'une lubie et que cela a une vraie importance afin de protéger les innovations en cours de développement", ajoute Stéphanie Gaugiran, en charge du laboratoire commun avec la start-up Aledia.

Une valorisation des travaux difficile

Si les équipes du CEA-Leti travaillent chaque jour sur des innovations et des briques technologiques qui pourraient révolutionner les produits issus de l'industrie d'ici cinq à dix ans, ces exigences de confidentialité rendent aussi parfois la valorisation de leurs travaux difficile.

"Les ingénieurs sont parfois restreints dans leurs publications scientifiques, car ils ne peuvent pas tout publier", met en garde Nicolas Lhermet.

Dans ce cadre, faire venir un nouveau partenaire industriel peut aussi s'avérer plus long, puisqu'il n'est pas toujours possible de montrer l'ensemble des réalisations effectuées, placées sous le sceau de la confidentialité.

Pour relire la première partie du reportage.

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