David Heurtel : "Le marché du carbone est un levier primordial de croissance"

David Heurtel, le ministre québécois de l'Environnement défend une vision économique vertueuse du marché du carbone, source d'innovation, de création d'emplois et de lutte contre le réchauffement climatique. En marge du sommet mondial Climat et territoires à Lyon, il analyse pourquoi le système nord-américain fonctionne, contrairement à celui européen.

Acteurs de l'économie-La Tribune : Le marché du carbone, lancé en 2013, est la pierre angulaire de votre stratégie de réduction des émissions de Co2, dont l'objectif est une baisse de 20 % d'ici 2020 par rapport à 1990. Pourquoi avoir adopté en priorité cet outil ?

Ce choix est d'abord lié au fait que cet outil permet des contrôles réguliers par rapport à nos objectifs de réduction. Notre marché du carbone est contraignant et non pas volontaire. Ainsi, il fixe des étapes très précises. 85 % de nos émissions sont désormais soumises au marché du carbone.

Ensuite, la mise en place d'un marché du carbone contraignant, avec un prix de la tonne établi, permet aux entreprises d'avoir une flexibilité et une prévisibilité. Le secteur privé possède alors une marge de manœuvre pour trouver les moyens d'adaptation, d'innovation, afin de moins dépendre des énergies fossiles, et donc de réduire leurs émissions.

Dans quelle mesure, le marché du carbone peut-il être vertueux pour l'économie  ?

Depuis la création de cet outil, nous avons réalisé sept ventes aux enchères de crédits carbone, dont trois avec la Californie qui a rejoint en 2014 notre marché. Elles ont généré des revenus de 550 millions de dollars, et nos prévisions nous amènent à 3,3 milliards de dollars d'ici 2020.

Cet argent est transféré dans un fond vert du gouvernement du Québec. Ce dernier réinvestit ce montant dans une trentaine de mesures identifiées dans notre plan d'action pour lutter contre le changement climatique. Celles-ci visent principalement le secteur des transports (44 % des émissions) ainsi que le développement des technologies propres.

Ce potentiel financier engendre ainsi la création d'un secteur de développement économique stratégique, créateur d'emplois et de valeurs, qui soutient une transition plus rapide et davantage efficace vers une économie plus sobre en carbone. Nous positionnons notre économie en adéquation avec les enjeux et défis du XXI siècle.

La notion du prix carbone est très critiquée par certains acteurs, dans certains pays. Ils estiment que c'est un coût additionnel, un fardeau. Nous pensons et prouvons le contraire. Depuis sa mise en place, l'économie québécoise est en croissance. Le marché carbone créé des opportunités économiques. C'est un vrai levier de développement.

En Europe, le marché du carbone n'est pas efficace. Pourquoi fonctionne-t-il en Amérique du Nord ?

Lorsque nous avons développé ce système, nous avons analysé l'expérience européenne et ses dysfonctionnements. La priorité était d'établir un prix du carbone. Ainsi, nous avons fixé un prix plancher et un prix plafond pour chaque vente aux enchères de crédits. Ensuite, le marché est administré par un organisme indépendant. Ce dernier fixe les prix et s'assure que les mécanismes de déclaration des valeurs des émissions soient respectés, par un travail rigoureux de vérification, dans une nécessité de transparence.

Nous avons également mis en place des protocoles, permettant une transition plus efficace, assurant un « soft landing ». Il s'agit d'assurer la gratuité de certains crédits afin que les entreprises s'adaptent à ce nouveau système. Il faut également proposer des crédits compensatoires aux sociétés qui innovent. Cela permet de créer un équilibre dans le marché.

Ces mécanismes se répercutent positivement sur le prix de la tonne. En 2013, elle était de 10 à 11 dollars. Elle est désormais à 15 dollars.

Qu'est-ce qu'implique l'augmentation du prix ?

En prenant de l'ampleur, cela démontre que ce marché est devenu un véritable levier d'incitation économique pour les entreprises qui y sont soumises. Plus la tonne de carbone prend de la valeur, plus ça pousse les entreprises à acheter tôt les crédits, et à investir dans les technologies plus propres. Elles réduisent donc leurs émissions ce qui pourra leur permettre ensuite de revendre leurs crédits à une valeur supérieure.

Lors des ventes, la quasi-totalité des crédits est cédée au prix plancher ou au-dessus. Cela montre la confiance des entreprises et la durabilité du marché.

Vous militez pour une logique territoriale et non pas nationale ou continentale. Quel est le gage d'efficacité de cette vision ?

L'approche régionale est la plus efficace, car elle permet de développer des systèmes qui sont adaptés à des réalités économiques propres à chaque territoires. L'idée est ainsi de poursuivre intelligemment l'élargissement du marché carbone. L'Ontario a pris la décision de se joindre à ce marché. Avec cette adhésion, 54 % de l'économie canadienne et 62 % de la population du pays sera désormais soumise au marché du carbone. D'autres provinces canadiennes et des états US souhaitent se joindre à ce mouvement.

Outre l'efficacité de réduction des émissions, il y a également une logique économique. Cette approche permet de tisser des liens économiques entre les différents territoires, en développant des chaînes de valeurs technologiques communes ; en participant à ce marché commun, des nouvelles opportunités s'ouvrent, permettant de développer les économies locales.

Le vrai pouvoir de changement réside dans les territoires. Il faut faire reconnaître lors de la COP 21 à Paris, le rôle essentiel des états locaux comme acteurs de premier plan.

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Commentaire 1
à écrit le 02/07/2015 à 9:22
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Cher ministre, vous vivez dans quel monde? Ponctionner les gens et les entreprises, ce qui revient in fine au même, ne crée aucune richesse. C'est une évidence. Cela permet simplement le financement de ceux qui écrèment (les fonctionnaires et le glac...

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