ERAI : le verdict accablant de la chambre régionale des comptes

Le rapport d'observations définitives que la chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes consacre à ERAI est sans appel. Le conseil régional de l'époque, alors présidé par le socialiste Jean-Jack Queyranne, a failli. La collectivité n'a pas exercé son pouvoir de contrôle d'unique financeur public, le président de la structure, Daniel Gouffé a fait fi du rôle du conseil d'administration et le commissaire aux comptes pourrait voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir déclenché une procédure d'alerte.

L'affaire ERAI (Entreprise Rhône-Alpes internationale), structure présentée comme le bras armé du conseil régional de Rhône-Alpes pour accompagner les entreprises à l'international, a alimenté la chronique pendant les nombreux mois précédant sa liquidation judiciaire le 30 juin 2015 par le tribunal de grande instance de Lyon. Et le rapport de la chambre régionale des comptes, qui sera débattu le 23 juin prochain dans sa version définitive par la nouvelle assemblée régionale présidée par Laurent Wauquiez (LR), était très attendu. Il confirme des manquements à tous les niveaux à des degrés divers.

Au nom de la continuité d'exploitation ?

"Afin de connaître la situation financière du groupe que constituait ERAI et ses filiales, les administrateurs et la collectivité auraient dû exiger des comptes consolidés certifiés* et des tableaux de trésorerie qui auraient révélé une situation très dégradée dès 2010", estime le rapport définitif.

Quant au commissaire aux comptes, "en s'abstenant de recourir à la procédure d'alerte" il "pourrait voir sa responsabilité engagée", tranche la chambre.

La position de l'homme de chiffre arguant de la continuité de l'exploitation (toujours subventionnée par la région) semble "fragile", aux yeux des juges financiers.

La chute finale d'ERAI, provoquée par une opposition politique de certains partis et notamment d'Europe Ecologie les Verts (EELV) exigeant que toute la lumière soit faite, a donné raison à cette observation.

Projet étranger à l'objet

Cette procédure d'alerte "aurait permis de clarifier l'intervention de l'association au profit de la région au titre de sa participation à l'exposition universelle de Shanghai et contraint les administrateurs à revoir voire même à mettre un terme au processus de filialisation", d'ERAI, peut-on lire.

Il se confirme bien que la manière dont ERAI s'est engagée "corps et biens" dans l'exposition universelle et la construction du pavillon de Rhône-Alpes est au cœur de critiques virulentes. Cette participation a été effectuée pour le compte de la région sans qu'elle ait été formalisée.

Le rapport la qualifie de "projet étranger à l'objet"d'ERAI dont "les financements n'étaient pas prévus dans la convention d'objectifs et de moyens".

Dans les mains du président

Au président d'ERAI, il est reproché d'avoir emmené seul l'association dans cette opération (tout particulièrement) sachant que la décision relevait des "attributions exclusives du conseil d'administration"  qui n'avait pas "marqué son accord ni décidé d'un budget prévisionnel".

Or, le coût de cette participation, tel qu'annoncé en mai 2010, "était estimé à 15 millions d'euros soit 1,6 fois le montant des produits d'exploitation de l'exercice précédent".

Par ailleurs, la chambre qualifie "d'anomalie majeure" la prise en charge dans la comptabilité de l'association de deux structures ad-hoc enregistrées par ERAI (pour le compte de la Région) auprès du ministère du Commerce de la République de Chine.

Selon les juges financiers, et malgré l'absence d'informations détaillées à l'annexe, le capital de zéro euro de la "prétendue filiale Erai expo", une des deux entités, aurait dû appeler l'attention des administrateurs. "Injustifiés", "non fondés" ou encore "artificiels" sont autant d'adjectifs utilisés pour d'autres traitements comptables relatifs à ce dossier précis.

Association transparente ?

Au-delà, l'attitude de l'exécutif régional de l'époque est mise face à ses contractions.

"Bien que Jean-Jack Queyranne (ex président socialiste) ait précisé en réponse aux observations provisoires que la Région n'a jamais souhaité assurer le pilotage d'organismes satellites, tel qu'ERAI. Et, qu'en agissant ainsi la Région a tenu à ce que cette structure ne soit pas un démembrement de la puissance publique encourant l'accusation d'association transparente (se confondant en pratique avec la collectivité), l'ensemble des constats établis par la chambre vient contredire cette affirmation".

Les juges en veulent pour preuve que la région a joué un rôle déterminant dans la nomination des directeurs généraux, que Daniel Gouffé (président d'ERAI) était le candidat de Jean-Jack Queyranne qui avait souhaité sa reconduction et en avait informé l'assemblée générale, ou encore qu'elle disposait d'une représentation élargie dans le conseil d'administration.

Audit externe sans suite

Si des mesures d'économies ponctuelles ont été décidées par le président de la région, en avril 2011, et que ce dernier a ensuite diligenté un audit externe en 2012, aucun document n'a été produit à la chambre "prouvant que la région aurait préconisé au conseil d'administration les vraies mesures de redressement qui s'imposaient et clairement identifiées par le rapport d'audit". Conseil d'administration qui, d'ailleurs, n'a pas eu connaissance des conclusions de l'audit.

La fuite en avant d'ERAI, s'est traduite par une multiplication des implantations à l'étranger et la filialisation de plusieurs antennes toutes déficitaires à l'exception de l'Allemagne.

Absence de provisions

La chambre note que ces filiales (sises souvent dans des zones de coopération de la région) et exerçant des activités concurrentielles, cumulaient une dette de plus de "6,3 millions en 2014 à l'égard de ERAI France, association mère".

Sur ce point, le rapport relève l'absence de provisionnement (à hauteur de la situation nette des filiales) qui aurait permis de faire apparaître qu'ERAI "n'était économiquement plus viable dès 2011 sans une augmentation de la subvention régionale". Un subventionnement, qui, au demeurant, était accordé "dans des conditions non conformes à la réglementation" et finançant en partie "l'activité commerciale de l'association".

Conflit d'intérêts.

Au chapitre ressources humaines, la chambre fustige une politique de rémunération inégalitaire et l'augmentation de 24% que se sont octroyé les cadres encadrants "à une période où la santé de l'association est connue comme critique". Il est également évoqué un "conflit d'intérêts" concernant plusieurs recrutements de proches ou de membres de la famille d'administrateurs oui d'agents de la région bénéficiant de surcroît d'une rémunération élevée au regard de leurs diplômes ou qualifications professionnelles.

Quelques chiffres :
126 salariés en 2014 et une masse salariale de 6,8 M€ (avec un pic à 8 M€ en 2012)
27 implantations en 2014 dans 21 pays
6,8 M€ de financement public pour 11,7 M€ de ressources totales en 2014
En 2013, 460 prestations individuelles de conseil à l'export et 260 entreprises accueillies dans les représentations étrangères.

 * Même si le code du commerce n'oblige pas une association à présenter des comptes consolidés, est il stipulé.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 17/06/2016 à 7:06
Signaler
La puissance publique a, dans ce cas particulier, totalement manqué de vista et d'intégrité. L'objet même d'ERAI était, depuis le départ, sujet à caution car le développement international des entreprises (privées), vers des clients le plus souvent p...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.