"Avec les nouvelles technologies, la culture scolaire doit se redéfinir"

"Savons-nous encore apprendre ?" A l'heure d'internet et des nouvelles technologies, alors que l'école a perdu de son "autorité", la dernière Conférence Seb Talks de l'année, en partenariat avec La Tribune, a abordé cette question : doit-on réapprendre à apprendre ? Pour y répondre, François Dubet, sociologue et professeur émérite à l'Université de Bordeaux, qui pointe notamment une "obsession de l'apprentissage" dans notre société.
François Dubet
François Dubet (Crédits : Emmanuel Foudrot/ADE)

Apprendre, c'est acquérir un savoir-faire, mémoriser une connaissance et même enseigner à quelqu'un... Mais aujourd'hui, quelle signification revêt ce verbe pour la société ? Que veut dire le mot "apprendre" pour l'entreprise ? À l'heure d'internet et du numérique, devrions-nous finalement réapprendre à apprendre ?

Le sociologue François Dubet se veut d'abord rassurant :

"Oui, nous savons encore apprendre. On sait toujours apprendre à marcher, à parler, à faire du vélo... Pour l'essentiel de ce qu'apprend un être humain, il n'y a d'ailleurs même pas besoin d'être accompagné par un spécialiste".

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(photo : Emmanuel Foudrot/ADE)

Mais ce professeur émérite, qui travaille depuis de nombreuses années sur l'éducation et la jeunesse, pointe, parallèlement, un bouleversement de la notion d'apprentissage. Notamment au sein de la cellule familiale.

"Avant, l'apprentissage consistait pour les parents à transmettre à ses enfants ce que l'on était. Un petit garçon allait devenir un homme, et une petite fille une femme. Aujourd'hui, on ne souhaite plus qu'un enfant soit comme nous, mais qu'il soit un être singulier, unique, autonome, épanoui.... C'est un changement très profond dans le modèle éducatif", souligne-t-il.

La perte de légitimité de l'école

Un cadre éducatif qui évolue également à l'école, une institution confrontée à une perte d'autorité - qui est pourtant un pilier de l'apprentissage - au même titre que l'Eglise ou que le politique.

"A mon époque, l'autorité du maître allait de soi. Un instituteur ne peut plus dire aujourd'hui « respecte ce que je représente ». Ce monde n'est plus, on lui rigolerait au nez. Une vraie panique s'est emparée de l'école à cause de l'effondrement de sa légitimité. De mon temps, lorsque j'étais écolier dans un petit village du sud-ouest, l'école était le seul moyen pour moi de découvrir et de comprendre le monde. En cela, les nouvelles technologies impliquent que la culture scolaire se redéfinisse."

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(photo : Emmanuel Foudrot/ADE)

François Dubet se dit, notamment, inquiet de la faible culture scientifique en France.

"Le problème, c'est que l'enseignement des sciences est réservé aux filières scientifiques, les autres sont exclus. Nous avons une bien meilleure culture littéraire que scientifique. On ne peut pas avoir de débat sur l'économie du pays si personne ne comprend ce qu'est un taux de croissance. Dans le même ordre d'idées, nous n'avons aucune idée de comment fonctionne le smartphone que nous avons dans notre poche. On s'entoure d'objets qui apparaissent magiques et on perd, en cela, la maîtrise du monde."

"Une obsession de l'apprentissage"

Dans le cadre de sa vie professionnelle, l'apprentissage est intimement lié aux notions de "changement" et "d'agilité" si chères aux entreprises.

"Apprendre est devenu une sorte d'éthique sportive. Je dirai qu'il y a, dans le monde professionnel, une obsession de l'apprentissage et du changement. L'idée d'aujourd'hui est de combattre la routine. Je ne fais pas l'apologie de l'immobilisme mais c'est devenu une sorte de manie de vouloir toujours changer. En entreprise, à peine a-t-on appris à utiliser un logiciel qu'il faut déjà en apprendre un autre. Et cela épuise", souligne-t-il.

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(photo : Emmanuel Foudrot/ADE)

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