Corine Pelluchon : "L’écologie n’est pas une énième idéologie..."

[Les Grands Entretiens 5/5] La philosophe Corine Pelluchon est engagée dans la défense de la cause animale et environnementale. Cette professeur à l’université Gustave Eiffel s’interroge sur notre capacité à avancer sur le chemin de la transition écologique. Elle interviendra au cours d’une table-ronde "Ecologie, c’est maintenant ou jamais" du Forum Une Epoque Formidable, organisé par La Tribune, les 12 et 13 octobre prochains à Lyon.
Je ne crois pas du tout au grand soir -de l'écologie, ndlr-, à cette image de la radicalité qui me semble fausse et parfois facile, glisse la philosophe Corine Pelluchon, pour laquelle il faut savoir avancer de manière concrète.
Je ne crois pas du tout au grand soir -de l'écologie, ndlr-, à cette image de la radicalité qui me semble fausse et parfois facile", glisse la philosophe Corine Pelluchon, pour laquelle il faut savoir avancer de "manière concrète". (Crédits : DR)

Dans votre dernier ouvrage, "Réparons le Monde" (éditions Rivages-Payot) ainsi que dans vos précédents livres et essais, vous alertez sur la nécessité du changement et de la transition écologique. Est-ce que la crise du Covid-19 est une aubaine en ce sens ? A-t-elle permis de réveiller les consciences sur ces sujets selon vous ?

"Quelque chose s'est passé, c'est indéniable. Je constate que, depuis quelques mois, les hommes et femmes politiques de la plupart des partis se sont emparé.e.s des sujets qui ont trait aux conséquences sanitaires et écologiques de nos modes de vie et de notre rapport aux animaux. En ce moment, il y a une rivalité entre les députés pour apparaître comme le plus engagé en faveur des animaux. Comme il y a une rivalité entre les partis qui se présentent tous comme les champions de l'écologie. C'est une bonne chose, car cela va les obliger à agir !

Je ne dirais jamais que cette crise est une aubaine, car elle a des conséquences économiques et sociales désastreuses. Certaines personnes ont toutefois pris conscience des aberrations de notre modèle de développement, mais pour changer réellement ses styles de vie et modifier les modes de production, il faut remanier ses représentations et valeurs, se remettre en question, et innover. Or les difficultés économiques et le climat de tension existant dans notre pays peuvent être des obstacles à ces évolutions.

La crise peut générer ou aggraver le repli sur soi des individus et des pays. Il serait nécessaire que les êtres aient le désir d'instituer le bien commun, avec ce que cela implique en termes de dispositions morales et de manières d'être. La crise globale que nous traversons devrait nous pousser à mettre de côté notre désir de s'imposer en s'opposant systématiquement les uns aux autres, en disqualifiant l'adversaire ou le pouvoir en place. Mais malgré ces problèmes et les risques, y compris politiques, qui sont réels, l'écologie et le souci pour les animaux sont désormais des sujets incontournables. Il s'agit d'un processus irréversible."

Quelles sont les pistes pour avancer sur le chemin de la transition écologique ?

"La lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité sont inséparables d'une réflexion sur les conditions de travail et la justice sociale. Les enjeux sanitaires, mais aussi le respect des animaux sont au cœur de la transition écologique qui repose sur ces quatre piliers.

Concernant l'économie de marché, elle est indispensable au bon fonctionnement de notre société mais il faut la réguler.

"Un capitalisme sauvage s'est installé, conduisant à des contre-productivités écologiques et sociales et à la maltraitance animale. Nous devons faire évoluer les modes de consommation, de production et de distribution."

Il s'agit aussi de donner les moyens à ceux qui vivent de l'exploitation animale de se reconvertir pour trouver leur place dans un monde moins violent pour les animaux. Avancer sur ces sujets ne ruinera pas le pays. Au contraire !"

Vous avez une vision assez large de cette transition, quelle est votre définition de l'écologie ?

Pour moi, l'écologie est la sagesse de notre habitation de la Terre. Pensée à la lumière d'une phénoménologie qui décrit l'humain dans sa corporéité et souligne notre dépendance à l'égard de la nature, l'écologie est articulée à l'existence. Politiquement, cela implique de déterminer les règles cohabitation plus juste avec les autres vivants, humains et non humains."

Nous le constatons dans nos interactions quotidiennes mais aussi, dans des oppositions parfois violentes sur les projets d'infrastructures : l'écologie et l'animalisme sont des causes clivantes dans notre société française. Comment la transition écologique peut-elle emmener avec elle l'ensemble de la population, sans fracture ?

"Si mon travail doit servir à quelque chose, c'est bien à donner des clefs pour avancer sur ces questions de manière constructive et pragmatique.

"L'écologie n'est pas une énième idéologie servant à designer ses amis et ses ennemis."

Evidemment, nous avons des opinions divergentes, mais il y a une différence entre l'éthique et la politique : nous pouvons être purs en éthique, mais en politique, - en démocratie du moins -, nous ne pouvons imposer notre point de vue. Il faut donc délibérer et débattre. Par ailleurs, nous sommes presque tous nés dans un monde où nous pensions pouvoir consommer sans limite et où les animaux étaient considérés surtout comme des moyens pour nos fins. L'amélioration de nos rapports aux animaux suppose de s'affranchir de représentations périmées, mais tout le monde ne va pas au même rythme.

Enfin, pour que les individus modifient durablement leurs styles de vie, il faut qu'ils aient le désir de le faire. Il ne faut pas seulement mettre l'accent sur les sacrifices, mais sur le fait que la transition écologique peut être l'occasion pour chacun de remettre à plat ses représentations et ses valeurs, de changer ses habitudes, de se réapproprier sa vie en mangeant, en produisant autrement, etc. L'enjeu est l'autonomie, le fait de vivre en accord avec ce que l'on croit. Les injonctions moralisatrices et culpabilisantes ne sont guère utiles. Par ailleurs, laisser les jeunes dans la peur est dangereux. Comme le fait de rompre le lien entre les générations."

"L'écologie pensée ainsi est un projet d'émancipation. Cela a également un sens collectif. La question est de se demander comment faire de la transition écologique un projet stimulant où l'on institue le bien commun en se donnant les moyens d'agir ici et maintenant."

Le "grand soir de l'écologie", c'est pour bientôt alors ?

"Je ne crois pas du tout au grand soir, à cette image de la radicalité qui me semble fausse et parfois facile, à cet imaginaire où l'on fait table rase du passé. Le défi est de savoir avancer de manière concrète en amenant des changements substantiels, mais en trouvant aussi des accords sur fond de désaccords, ce qui suppose d'être capable de faire un pas de côté pour négocier sans pour autant se compromettre."

Participez vous aussi au Forum Une Epoque Formidable, organisé par La Tribune, les 12 et 13 octobre prochains à Lyon ici.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.