Smartphone et covid-19 : allons-nous tous finir addicts ?

OPINION. Nos modes de vie changent, et la technologie et nos smartphones en sont maintenant parties prenantes. Mais il ne sert à rien d'être nostalgique d'une époque sans écrans. Au contraire, il nous appartient de réinventer notre rapport aux technologies, et de commencer par redonner sa place à l'humain avancent César Lacombe et Victor Loiseau, co-fondateur de la startup Let Me Think opérant dans le milieu du bien-être.
(Crédits : DR)

Cette période de confinement continue de bouleverser notre quotidien. Une récente étude publiée par Ipsos pour le fabricant de smartphone OPPO a révélé que la moitié des Français passaient plus de 3 heures par jour sur leur smartphone. Ce chiffre interpelle. Pour Nellie Bowles, journaliste du New York Times, "Le coronavirus a mis fin au débat sur le temps d'écran. Les écrans ont gagné". Mais qu'ont-ils gagné ? Et qu'avons-nous perdu ?

Ne soyons pas catastrophistes ! Oui, nos modes de vie changent, et la technologie et nos smartphones en sont maintenant parties prenantes. Mais il ne sert à rien d'être nostalgique d'une époque sans écrans. Au contraire, il nous appartient de réinventer notre rapport aux technologies, et de commencer par redonner sa place à l'humain.

Les écrans, à l'assaut du confinement

Après avoir par d'innombrables aspects transformé notre quotidien, les smartphones et les écrans sont pendant cette crise nos outils de connexion avec le monde réel. Difficile d'imaginer ce que serait notre vie sans eux !

Confinés chez-nous, nos téléphones se révèlent être de formidables outils pour répondre à leur fonction première : nous permettre de communiquer les uns avec les autres.

Nous avons tous installé l'application Houseparty sur nos smartphones pour pouvoir garder le contact avec ceux dont nous sommes loin. L'application détenue par Epic Games - les créateurs de Fortnite - bénéficie en effet d'un boom monumental et se retrouve en tête des classements des différents stores d'applications. Mais aussi, soudainement, les multiples conversations de groupe que nous avions avec nos amis et notre famille reprennent vie. Les échanges se font plus fréquents, et nous sommes tous ravis de pouvoir partager des moments virtuels avec les personnes qui nous sont chères.

Dans le même temps, les technologies de l'information et de la communication se révèlent être des solutions idéales face à l'impact des mesures de confinement sur l'activité économique. De la même manière que l'application Houseparty bénéficie d'un immense pic de popularité, le service de visioconférence Zoom a vu son nombre d'utilisateurs actifs exploser en passant de 10 millions en décembre dernier, à plus de 200 millions aujourd'hui, ce qui représente une augmentation de 2 000% en à peine 4 mois ! Nos écrans nous permettent alors de continuer à travailler en nous donnant la possibilité de faire des réunions à distance, ou de communiquer simplement.

Même, la période actuelle signe une révolution pour le télétravail dans lequel nous sautons les deux pieds joints. Imposé au début des mesures, il révèle aujourd'hui tout son bénéfice et son intérêt, ce que clamaient déjà ses plus fervents avocats.

Nous pouvons en tirer une certitude : travailler demain se fera encore plus qu'avant au travers des écrans, connectés les uns aux autres.

Finalement, nos smartphones et autres écrans nous permettent de continuer à avoir une vie à peu près normale pour beaucoup. Nous sommes certes éloignés, mais nous ne sommes pas seuls. Les réseaux sociaux n'ont jamais aussi bien incarné leurs rôles qu'aujourd'hui, et nous ne nous sentons plus autant coupables qu'avant de passer de longues minutes à scroller nos fils d'actualités.

Nous voyons-là tous les bénéfices que peuvent avoir sur notre quotidien les multiples appareils connectés que nous avons, et qui ont envahi nos bureaux et nos poches depuis quelques dizaines d'années.

Une relation parfois problématique

Nous ne découvrons pas aujourd'hui que notre smartphone est une source de distraction. Cependant, la crise actuelle a élargi le spectre d'influence que notre smartphone et nos écrans ont sur nos vies. Le danger n'est pas tant celui de l'addiction, mais bien celui de la perte de contrôle. Au travail, qui ne s'est pas déjà surpris à scroller machinalement sur Instagram ou LinkedIn, en étant bien incapable de se rappeler pourquoi il avait initialement saisi son smartphone ? Réfléchissez-y. Réussir à utiliser son smartphone de manière consciente est un vrai défi. Réussir à se couper de son smartphone en est un autre. Le chemin est encore long, nous sommes encore 35% des utilisateurs de smartphones à l'utiliser jusqu'à 5 minutes avant de se coucher.

C'est une relation bien complexe que nous entretenons avec nos téléphones depuis leur arrivée omniprésente dans nos quotidiens. L'explosion du monde numérique nous aura fait entrer dans ce que l'on appelle l'économie de l'attention. La résultante en est que les modèles économiques des géants du numériques et des créateurs d'applications mobiles se basent sur le temps que nous passons à utiliser leur service. "Le temps c'est de l'argent". Nul n'aura mieux compris cette maxime que Facebook ou Google. En effet, c'est grâce au temps passé sur leurs applications, que nous générons de la donnée et pouvons visionner des publicités hyper-ciblées.

Les concepteurs des systèmes que nous utilisons aujourd'hui ont alors redoublé d'ingéniosité pour nous faire aller - et rester - sur leur solution. Par exemple, rien d'étonnant dans le fait que nos fils d'actualité sur Facebook ou encore Instagram soient infinis. Le simple fait que nous n'ayons jamais besoin de cliquer sur "page suivante" pour voir les nouvelles informations fait en sorte que notre cerveau ne se rend pas réellement compte de la quantité d'information face à laquelle nous avons été exposé.

En revanche, Google nous montre les résultats de recherche par page, car il est de son intérêt de classer les résultats de requêtes et de ne pas nous faire aller trop loin dans les résultats affichés. Les applications que l'on utilise au quotidien (réseaux sociaux, jeux...) sur nos mobiles, sont alors toutes conçues sur ces modèles, en faisant appel à nos biais cognitifs, ces moments où notre cerveau ne réagit pas de manière logique et consciente.

Le résultat de cette course à l'attention des utilisateurs a alors des effets néfastes pour ces derniers, et on ne compte plus la quantité d'heures passées les yeux rivés sur nos écrans, alors que l'on a autre chose à faire. En 2016, Kaspersky Lab réalisait une étude sur la baisse de productivité engendrée par nos smartphones au travail, et les résultats avançaient alors le chiffre marquant de 26% de perte de productivité à cause de nos smartphones.

Que faire ?

Face à ces dérives, des voix se sont fait entendre outre-Atlantique pour mettre en garde sur l'impact grandissant de ces problèmes. Tristan Harris, ancien designer éthique chez Google a d'ailleurs co-fondé le Center for Humane Technology, une ONG qui se fait l'avocat d'un monde où la technologie n'irait pas contre l'humain. Dans la même veine, des startups sont nées de cette envie de changer notre rapport aux technologies, en proposant des nouvelles manières d'utiliser nos smartphones, plus respectueuses de l'humain. On pourra citer le light phone, un téléphone minimaliste conçu pour servir de téléphone d'appoint lorsque l'on souhaite déconnecter, et qui aura rencontré un joli succès sur les plateformes de crowdfunding. Ou encore l'application Forest téléchargée plus de 10 000 000 de fois sur le Google Play Store, et qui nous permet de planter un arbre pendant une durée déterminée, durant laquelle on ne peut plus accéder à notre téléphone, au risque de tuer l'arbre. L'objectif étant bien sûr d'avoir la plus grande forêt possible. Let Me Think, quant-à-elle, développe une solution basée sur un totem connecté, qu'il s'agit de toucher avec son smartphone pour lancer sur ce dernier un espace de travail. L'espace de travail agit alors comme un second téléphone, pensé pour le travail, où l'utilisateur est libre de choisir les applications auxquelles il veut accéder, les notifications qu'il veut recevoir, et il bénéficie aussi d'une interface ainsi que d'un fond d'écran différent.

Aujourd'hui, cette crise rebat les cartes. Le monde entier est sur les écrans, et on réalise tous l'importance qu'ils ont dans nos vies, et le fait que nous devons transformer la relation que nous entretenons avec eux. Ils peuvent être à notre service et nous aider d'une manière incommensurable, ce que nous observons aujourd'hui au quotidien. Mais ils peuvent aussi jouer contre notre liberté, ce que nous observons depuis quelques années, principalement au pays de l'oncle Sam. Espérons qu'en Europe aussi, les voix seront de plus en plus nombreuses à se lever, pour construire, demain, la technologie dont nous avons besoin.

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