Relance économique post Covid-19  : une micro taxe pour un maxi effet

OPINION. Dans leur nouvel essai "Il faut taxer la spéculation financière" (Odile Jacob), les mathématicien et économiste Ivar Ekeland et Jean-Charles Rochet - respectivement ancien Président de l'Université Paris-Dauphine et professeur à l'Université de Genève et au Massachusetts Institute of Technology (MIT) - préconisent l'instauration d'une taxe de 0,3% sur l'ensemble des paiements électroniques, c'est-à-dire les transferts d'argent entre comptes bancaires de particuliers et d'entreprises, qui en France s'élèvent à plus de... 30 000 milliards d'euros par an. De quoi, annoncent-ils, financer avec raison et justice une (grande) partie des besoins de reconstruction économique post-pandémie Covid-19, et "réaligner les intérêts individuels dans le sens du bien commun".
Ivar Ekeland (photo) a signé un nouvel essai Il faut taxer la spéculation financière (Odile Jacob) avec Jean-Charles Rochet.
Ivar Ekeland (photo) a signé un nouvel essai "Il faut taxer la spéculation financière" (Odile Jacob) avec Jean-Charles Rochet. (Crédits : DR)

Quand la pandémie de COVID-19 sera enfin contenue, et que la situation sanitaire permettra la reprise de l'activité économique, notre pays aura beaucoup souffert. Il faudra que l'Etat vienne au secours des nombreux ménages qui ont été précarisés par le confinement et aide les entreprises les plus exposées à éviter la faillite. Cela va coûter cher.

L'endettement public de notre pays, qui est déjà de 115% du PIB, dépassera probablement son plus haut niveau historique de 150%, qui avait été atteint au sortir de la Première Guerre mondiale. Il semble clair qu'un tel niveau de dette publique mettra la France dans une situation difficilement soutenable à moyen terme.

L'Etat devra donc rapidement trouver de nouvelles et substantielles ressources fiscales. Or, augmenter les impôts traditionnels, qui pèsent déjà lourdement sur le travail, la production et la consommation, conduirait certainement à une catastrophe économique et sociale dans un contexte de récession mondiale. Rétablir l'impôt sur la fortune pourrait certes rapporter quelques milliards d'euros, mais cela serait très insuffisant.

Une idée naturelle en temps de crise est de taxer les transactions financières. L'exemple historique le plus connu est le droit de timbre sur les transferts d'actions, instauré par la Grande-Bretagne en 1694 pour financer une guerre contre la France. Créé initialement pour quatre ans, cet impôt est toujours en place aujourd'hui.

A la suite de la crise financière mondiale de 2007-2009, la France a aussi instauré en 2012 une taxe sur les achats d'actions, mais elle rapporte très peu. Suite au lobbying de l'industrie financière, les transactions à haute fréquence, qui constituent l'essentiel des échanges, sont exonérées. De plus, les banques proposent à leurs plus gros clients des montages complexes pour éviter cette taxe.

6 500 milliards de dollars de transactions quotidiennes

En fait, il faudrait arriver à taxer l'ensemble des transactions financières, sur les obligations, les options, les marchés à terme, les devises. Ces transactions ont littéralement explosé au cours des dernières décennies.

Les transactions quotidiennes sur le seul marché de gré à gré des produits dérivés de taux d'intérêt dépassent 6 500 milliards de dollars dans le monde, soit chaque jour près de 3 fois le PIB annuel de la France ! Est-on certain que toutes ces transactions ont une véritable utilité sociale ?

Mais comment taxer tous ces marchés, tous ces produits financiers sans inventer une usine à gaz fiscale et désorganiser le système financier ? L'économiste américain Edgar Feige a eu une idée géniale de simplicité : collecter la taxe au point d'arrivée de toutes ces opérations complexes, c'est-à-dire sur le compte en banque du spéculateur.

Nous proposons avec Feige de mettre en place une micro taxe d'environ 0,3% sur tous les paiements électroniques, c'est-à-dire tous les transferts d'argent entre comptes bancaires de particuliers et d'entreprises.

Baisse de la TVA

Les montants en jeu sont considérables. Dans le cas de la France, le volume annuel des paiements électroniques (sans compter les paiements interbancaires) est supérieur au montant astronomique de 30 000 milliards d'euros par an, soit plus de 125 fois le PIB.

Même si la taxe conduit à une diminution de ces paiements de 50%, elle rapporterait quand même 45 milliards d'euros par an. On pourrait trouver injuste de taxer indistinctement tous les paiements, même ceux qui ne correspondent pas à des transactions financières, mais à des activités économiques vitales, et qui mettent en jeu des ménages modestes.

Malheureusement, c'est le seul moyen simple de mettre un terme à toutes les stratégies d'évitement des banques et au lobbying de l'industrie qui ont rendu très largement inefficaces toutes les taxes sur les transactions financières expérimentées jusqu'à ce jour dans de nombreux pays.

De plus, une telle taxe serait pratiquement indolore pour un ménage moyen, qui se contente d'encaisser et de décaisser son revenu. Il payerait la taxe deux fois, une fois quand il le reçoit et une fois quand il le dépense. La charge totale pour l'immense majorité des ménages serait donc d'environ 0,6 % de leur revenu, que l'on pourrait même neutraliser par une baisse de la TVA.

Réinventer une économie durable

En revanche, les ménages qui possèdent un portefeuille financier important, et qui spéculent activement sur les marchés financiers, seraient imposés de façon substantielle. Contrairement à la TVA, la micro taxe serait donc progressive, car les ménages riches "consomment" davantage de paiements que les autres, et elle ne découragerait que certaines activités spéculatives dont l'utilité sociale n'est pas claire.

La taxe que nous proposons est très facile à collecter (une ligne de code sur les logiciels de gestion des comptes bancaires) et très difficile à éviter. Elle a été mise en place avec un certain succès par plusieurs pays, et elle fait depuis peu l'objet d'un projet de référendum d'initiative populaire en Suisse, sous l'impulsion de l'économiste franco-suisse Marc Chesney. Nous l'avons analysé : elle permettrait de rééquilibrer le système fiscal actuel, qui taxe trop lourdement le travail, l'épargne et la consommation, et exonère la spéculation financière.

Cette taxe serait capable de réaligner les intérêts individuels dans le sens du bien commun. Elle frapperait peu les ménages moyens et ne taxerait pratiquement pas les activités productives ni la consommation. Elle serait en mesure de recueillir l'assentiment d'une grande majorité des citoyens. En ces temps difficiles où l'Etat a besoin de ressources nouvelles et doit réinventer une économie durable, nous souhaitons qu'elle fasse l'objet d'un débat public.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 33
à écrit le 06/05/2021 à 16:07
Signaler
Wé d'accord avec cette micro taxe moins douloureuse que celles qu'on subit depuis plus de quarante ans !

à écrit le 07/12/2020 à 11:56
Signaler
Encore une idée stupide de plus pour faire payer les particuliers...

à écrit le 18/05/2020 à 16:33
Signaler
Je ne comprend pas le calcul de base, il faut etre plus ambitieux :) Si on prend en reference 30 000 millards comme reference et que l' on applique 2% sur chaque transaction, ca couvre le budget de l'etat francais... et en supprimant toutes les autre...

à écrit le 11/05/2020 à 23:34
Signaler
Encore l imagination au service des taxes On l aimerait au service des économies ....

à écrit le 02/05/2020 à 9:47
Signaler
Intéressante approche. Une fois de plus la "taxe indolore" pour une bonne cause. Et certainement elle serait annoncée, comme toutes les précédentes, à application provisoire … un provisoire que l'on voit ensuite tendre vers la perpétuité (sans all...

à écrit le 01/05/2020 à 8:09
Signaler
Où est l'intérêt de l'opération? La France est une "démocratie" autoritaire où le Transport, l'Enseignement, la Santé et bientôt la Retraite sont nationalisés; même le Travail l'est, puisque les syndicats de travailleurs n'ont qu'une existence symbol...

le 01/05/2020 à 11:27
Signaler
Il ne s'agit pas d'instaurer 1 nouvelle taxe mais de taxer différemment. Vous seriez moins taxé, du moins dans les propositions suisses et belges, mais tout le monde le serait, même les multinationales qui échappent légalement à l'impôt

le 01/05/2020 à 13:05
Signaler
comme du temps de napoleon3 ils faut qu'il soit responsable de leur acte comme un retard de décision et surtout interdire a vie a tout élus d'être avocat d'affaire et de vendre des entreprise francaise idem pour les magistrat fonction politique in...

à écrit le 30/04/2020 à 18:30
Signaler
Il y a urgence à arrêter de donner la parole aux économistes, ils ont un vocabulaire réduit à 2 mots croissance et impôts

à écrit le 30/04/2020 à 17:54
Signaler
Pourquoi pas une micro taxe sur tous les paiements électroniques quelques qu'ils soient. Cette idée avait déjà été étudiée en Suisse et qui est restée en stand by... Il faudrait exiger de l'état cygalle un moratoire sur toutes ses dépenses et qu'el...

à écrit le 30/04/2020 à 17:35
Signaler
Cette taxe est une excellente suggestion qui évitera de créer un nouvel impôt, comme l'avez fait Raymond Barre en 1976, lors de la période de sécheresse

à écrit le 30/04/2020 à 17:11
Signaler
C'est carrément un hold-up !!

à écrit le 30/04/2020 à 15:54
Signaler
"que l'on pourrait même neutraliser par une baisse de la TVA" non, la mettre à 25% comme dans le nord de l'Europe, et 12% pour l'alimentaire (5,5% c'est faible), les deux combinés ça ferait plus d'argent, et ça resterait, le provisoire qui rapporte d...

le 01/05/2020 à 11:30
Signaler
On parle de l'ensemble des transactions bancaires, pas juste des achats des ménages. Quand une multinationale rachete un concurrent ça chiffre plus que l'achat d'1 pain. Ces chiffres sont disponibles sur internet

à écrit le 30/04/2020 à 15:33
Signaler
Pourquoi pas 1% de plus de tva?, ça serait indolore pour nous tous et une petite imposition qui toucherait automatiquement des ressources blanches, les petites choses de la vie non illégales qui permettent à beaucoup d'améliorer des fins de mois, pui...

à écrit le 30/04/2020 à 14:11
Signaler
le résultat sera une diminution des transactions par carte de paiement et des virements bancaires: retour au cash !

à écrit le 30/04/2020 à 13:29
Signaler
tout à fait d'accord avec Bara. encore une taxe supplementaire. le mouton est tondu , stop. c'est simple, un ménage moyen sera taxé de 0.6% de ses revenus minimum( 0.3% de son salaire à l'entrée et 0.3% sur tous ses achats ).consequence: 1er: vivem...

à écrit le 30/04/2020 à 13:18
Signaler
Et un impot sur les vieux cher EKELAND ? Tu as 75 ans, tu habites en suisse, je propose de taxer tes revenus de 20% à partir de 80 ans pour être au-delà du seuil légal de survie. Tu piques des besoins sanitaires, tu as déjà tout consommé et n'a plus ...

le 30/04/2020 à 14:17
Signaler
Si I. Ekeland habite en Suisse il est probable qu'il reste, en tant que fonctionnaire retraité, "résidents fiscal à perpétuité". Dans ce cas, même si quelqu'un n'a plus aucune activité en France et même s'il change de nationalité, sa retraite subit l...

à écrit le 30/04/2020 à 13:12
Signaler
Et c'est parti pour le concours Lépine des taxes et impôts ! Plus on est oisif et improductif, et plus on propose de taxer les autres...

à écrit le 30/04/2020 à 12:19
Signaler
L'idée est séduisante, pourquoi ne pas l'appliquer au delà du revenu médian histoire de ne pas taxer les plus modestes, quitte à aller au delà des 0.3% ...... et pour ne pas toucher à la TVA

le 30/04/2020 à 12:44
Signaler
Ces économistes ont-ils mesuré le seuil de pression fiscale à partir du quel les investisseurs iront se faire tondre ailleurs ? Quand il ne restera que des routiniers, qui paiera les impots toujours plus élevés que leur entretien réclame ?

le 30/04/2020 à 13:21
Signaler
Voilà une réaction bien française! De tous on passe à une taxe pour quelques uns. Toujours les mêmes, bien sûr.

le 01/05/2020 à 13:28
Signaler
votre reflexion explique bien le probleme vous etes pour les impots, mais seulement tant que vous n'etes pas concerne! voila ou est le pb he ben dites vous que les autres ne veulent pas etre concernes plus que vous par les pbs ou vous ne vous sent...

à écrit le 30/04/2020 à 11:59
Signaler
J'ignorais qu' I. Ekeland était économiste … La France taxe déjà tant de choses sous tant de noms et elle s'en trouve si bien, que l'idée n'a rien d'original. D'ailleurs, il y a déjà une taxe bien française sur les transactions boursières. On peut...

à écrit le 30/04/2020 à 10:32
Signaler
chacun a des idees qui ne coutent rien la france a deja une tff, qui ne coute rien ( sauf au bon pere de famille auqel on demande d'investir dans les entreprises) ca sera un melande de tva ( la france a deja 20%) et de tff sur la conso ca risque e...

à écrit le 30/04/2020 à 10:21
Signaler
Ce projet de nouvel impôt minimise les prélèvements sur les particuliers sans fortune. Il n'y a qu'un privilégié pour prétendre que 0,6% des revenus est presque rien. Si la spéculation financière est immorale et inutile, qu'elle soit interdite. Si el...

à écrit le 30/04/2020 à 9:54
Signaler
Certes des bonnes idées pour l’après mais je reste très pessimiste lorsque je lis ceci en pleine crise COVID : « Interbev dénonce dans un communiqué le 29 avril 2020 "l'ouverture à droits de douane très réduits (7,5 %) à des viandes mexicaines qui ét...

à écrit le 30/04/2020 à 9:31
Signaler
Taxer la spéculation financière c'est la légitimer, un véritable cercle vicieux, il faut la déréguler totalement en séparant tout simplement, banques de dépôts et d'investissements et arrêter toute injection d'argent public chez les spéculateurs et m...

le 30/04/2020 à 10:16
Signaler
separer les banques ne sert a rien. Si une banque d investissement comme lehman brother coule, elle va entrainer des banques de depot a qui elle aura emprunté de l argent (car que fait une banque de depot de l argent de ses clients ? elle le prete !)

le 30/04/2020 à 10:34
Signaler
@ multipseudos: :D Heu dans le mot "séparer" c'est quoi que tu comprends pas !? :D

le 30/04/2020 à 11:34
Signaler
@ multipseudos: "car que fait une banque de depot de l argent de ses clients ? elle le prete !" C'est pour cela qu'il faut séparer définitivement les deux entités et interdire les interactions entre les uns et les autres. D'ou d'ailleurs le t...

à écrit le 30/04/2020 à 9:24
Signaler
Ahhhh ces doux rêveurs de l'ancien monde !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.