Futur du travail : et si l'exemple venait du secteur artistique ?

Remplacement de l’homme par la machine, phénomène de burn-out, taux de chômage en croissance, augmentation du nombre d’indépendants… le monde du travail est en pleine mutation. Même s’il semble compliqué de prédire avec précision ce qu’il deviendra dans un monde où les transformations s’accélèrent, une chose est aujourd’hui certaine, il faut le réinventer ! Et si des solutions venaient du secteur artistique s'interroge Emily Lecourtois, responsable développement et stratégie chez SMart à l'occasion du troisième épisode du rendez-vous des communautés créatives Meet & Greet (ce 23 janvier au B612) sur le futur du travail, dont La Tribune est partenaire.
(Crédits : DR ADE)

La créativité est aujourd'hui reconnue comme source d'innovation et l'on connaît la capacité des artistes à inventer.

Dans le champs des technologies, le secteur des industries culturelles et créatives a souvent fait figure de pionnier dans la dématérialisation et le changement de support de stockage d'information à l'instar de l'orgue de barbarie où pour la première fois l'on stockait des données sur un autre support que la partition ou du CD. Le monde de la musique fut d'ailleurs l'un des premiers secteurs à subir de plein fouet les effets de la dématérialisation et des nouvelles pratiques d'échange liés au numérique avec l'apparition de Napster en 1999.

Caractérisé par son économie du prototypage, le secteur artistique pourrait également se révéler une source d'inspiration dans une économie qui fonctionne de plus en plus à la demande et sur la valeur d'usage. En effet, rare sont les produits comme ceux de la culture a échappé au phénomène de saturation de sa consommation. La musique plus on l'écoute et plus on l'apprécie.

Quand l'artiste préfigure les nouvelles formes de travail

Dans son ouvrage Portrait de l'artiste en travailleur, Pierre-Michel Menger décrit fort justement la manière dont l'artiste incarne la figure du néotravailleur "inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrinsèquement motivé, pris dans une économie de l'incertain, et plus exposé aux risques de concurrence interindividuelle et aux nouvelles insécurités des trajectoires professionnelles."

Ainsi ce qui est la norme du travail de l'artiste, c'est à dire le travail en mode projet avec une discontinuité de l'emploi, une multitude de clients, un travail en réseau que décrivait déjà Howard Becker dans les Mondes de l'Art en 1982 est en train de devenir la norme de grand nombre de travailleurs dans l'économie de la connaissance.

Seulement si ce mode de fonctionnement répond aux aspirations d'autonomie des travailleurs et une volonté d'échapper à un lien de subordination de plus en plus mal vécu, il ne doit pas faire oublier la précarité auquel il est souvent assorti. Ni faire oublier que cette ultra flexibilisation de l'emploi sert avant tout les avantages des employeurs qui peuvent ainsi faire varier le coût de la main d'œuvre et ne plus avoir à ce soucier du parcours et donc de la formation de leurs salariés dont 54% d'entre eux « auront besoin d'une requalification de leur compétence » d'ici 2022 estime le rapport du Forum économique mondial (WEF) paru en novembre dernier.

Dans une flexibilisation du travail qui va se généralisant, observons les réponses apportées par ce secteur. Des réponses coopératives et solidaires qui constitueraient un progrès social.

Du point de vue de la protection sociale tout d'abord, nous avons inventé en France dès 1936 l'un des rares régimes qui reconnaît et rémunère le temps de travail non salarié ou l'inter-contrat et protège contre les aléas de l'emploi. Ce régime, c'est celui de l'intermittence du spectacle. Souvent décrié comme trop coûteux, ce système qui repose sur la solidarité interprofessionnelle, permet pourtant de couvrir le temps nécessaire à la recherche, l'acquisition de savoirs et savoir-faire nécessaires à l'exercice de son métier.

Aussi quant on connaît l'enjeu de la formation et de l'adaptation de ses compétences, la question de l'extension de ce régime peut se poser. L'intermittence pourrait être le socle à un revenu contributif. C'est en tout cas l'objet d'une expérimentation que mène l'équipe de recherche constituée autour de Bernard Stiegler sur le territoire de la Plaine Commune. Et cela devrait être un axe de revendication des artistes eux-mêmes afin que ce système ne soit plus vu comme un privilège.

La capacité d'inventer de nouvelles solidarités des artistes se retrouvent aussi dans l'organisation même du travail.

D'un point de vue des espaces de travail, les artistes ont également fait figure de précurseurs dans le développement des espaces de travail partagés. Des lieux intermédiaires qui furent l'objet d'un rapport de Fabrice Lextrait datant de 2001 soit il y a près de vingt ans aujourd'hui. Ainsi on peut se demander si le squat artistique, lieu de mutualisation, de socialisation et de connexion nécessaire au développement de son activité ne préfigurait pas lui aussi le phénomène actuel de « tiers lieux » où se regroupent travailleurs indépendants et entrepreneurs dans une logique communautaire.

Pour finir d'un point de vue économique, le secteur artistique a su développer des organisations nouvelles, coopératives permettant de mutualiser des services pour développer leur activité qui s'étendent aujourd'hui à un plus grand nombre de travailleur. Prenons l'exemple de SMart. Née en 1998 en Belgique, ce qui était une Société Mutuelle pour ARTistes est aujourd'hui l'une des plus grandes entreprises partagées en Europe (160 000 travailleurs) où créateurs, artistes mais également formateurs, jardiniers ou coursiers mutualisent des services administratifs, juridiques et financiers pour développer leur activité et sécuriser leur parcours. Un système coopératif qui assure la réinjection des bénéfices dans le projet pour s'adapter au besoin en évolution de ses membres et qui fonctionne sur un principe de solidarité garantissant des aléas comme ce fut le cas à la liquidation de Take It Easy en 2016 où SMart a couvert les 300 000 euros de salaires dû aux coursiers membres de la coopérative.

Source d'inspiration et d'innovation, le secteur artistique et culturel doit être valorisé comme un terrain privilégié de recherche et développement ou de recherche action inscrite dans une démarche d'innovation sociale. Ce secteur aujourd'hui mis à mal par la baisse des financements publics et souffrant d'une image d'entre-soi doit être considéré comme un investissement d'avenir. Il doit pouvoir servir de modèle pour inventer un monde du travail plus coopératif et répondre aux enjeux et défis qui sont les nôtres.

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