Droits des animaux : en fait-on trop  ?

Les dénonciations par les associations de protection des animaux provoquent une importante prise de conscience collective. Mais jusqu'où aller ? Une tribune de Pascal Picq publiée dans le cadre du forum "Une époque formidable" organisé à Lyon, ce lundi 15 octobre 2018 par Acteurs de l'économie - La Tribune, et durant lequel le paléoanthropologue au Collège de France intervient au côté de Louis Schweitzer.
(Crédits : DR)

Les débats sur l'éthique et le droit animent notre époque. C'est la marque d'un malaise dans notre civilisation, mais aussi d'une inquiétude sur les changements actuels qui transforment nos sociétés sous l'impulsion de la révolution numérique et sur fond de détérioration des écosystèmes et d'effondrement des biodiversités. N'est-il pas étonnant que soient discutées presque conjointement la question des droits des animaux et celle des droits des robots au sein de la Commission européenne et d'autres instances internationales et nationales ? Quels rapports entre les animaux et les robots ? D'un point de vue anthropologique, et même ontologique, la façon dont une culture pense les animaux prévaut aussi pour les robots ou les machines « animées ».

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À cela s'ajoute un contexte inédit avec la compréhension des intelligences des animaux et l'arrivée imminente des robots sociaux qui créent un nouvel espace possible des intelligences et de leurs interactions.

Dynamique de la sélection ­naturelle

La question des droits des animaux se heurte à des formulations trop générales ou imprécises. On ne cesse de lire et d'entendre des digressions sur l'intelligence ou de droit de l'animal. Or l'animal des philosophes ne correspond pas du tout aux animaux ou au règne animal des naturalistes. Comme l'a rappelé Claude Lévi-Strauss à maintes reprises, le concept d'animal n'a aucune définition, si ce n'est que d'y jeter sans discernement tout ce qui n'est pas humain ou postulé comme tel. Ceux qui se sont arrogé le privilège de dire le droit et qui est sujet de droit ont édifié des critères élargissant le nombre des exclus tout en restreignant le cercle des élus (Nouvelle histoire de l'homme, Perrin 2005).

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Un des arguments des militants de la libération des animaux repose sur « le droit à leur propre existence » et à conserver leur place dans la nature. À partir de ce principe, il y a une confusion entre l'espèce et l'individu. La nature et l'évolution ne correspondent pas au retour des conceptions naïves de la création ou de l'échelle des espèces d'Aristote, où chaque espèce se trouve à sa place (sauf l'homme). Car, si on étend le principe de sensibilité aux autres espèces, les prédateurs vont devoir changer de régime. Plus encore, l'interdépendance entre les espèces d'un écosystème, la coévolution, passe par des régulations qui font qu'à chaque génération une partie des individus disparaît sans descendance au bénéfice des autres ; c'est la sélection naturelle. Au cours de son grand voyage, Charles Darwin observa qu'il n'y avait jamais de surpopulation des diverses espèces. L'écologie évolutionniste montre comment un environnement se détériore si un prédateur disparaît, laissant les maladies décimer les populations de proies. La nature n'est « bien faite » que par cette dynamique de la sélection naturelle. Le « droit » à l'existence des espèces se fait ainsi.

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Il faut attendre le XXe siècle, et surtout sa deuxième moitié, pour que les droits s'ouvrent à tous, et plus récemment aux animaux. Alors que tous les humains ne bénéficient pas encore de ces droits, n'en fait-on pas trop pour les animaux ? Doit-on attendre que tous les humains acquièrent ces droits légitimes, trop longtemps retenus, pour enfin s'adresser à ceux des animaux ? C'est un sophisme imbécile. Comment faire entre l'exclusion trop longtemps maintenue et une certaine naïveté rousseauiste qui interdirait toute interaction utilitaire ou alimentaire avec les animaux ?

Question d'éthique

La question des droits, exclusivement d'ordre humain, entraîne forcément celle de l'inclusion et de l'exclusion. C'est une question de valeurs, de connaissances, de responsabilité et d'éthique. Quant à savoir si on en fait trop, je répondrai que, le jour où tous les humains bénéficieront des droits de l'homme, alors nous pourrons nous la poser. Mais on en est loin, et l'histoire de notre modernité montre que les pires sorts faits à des humains reproduisent les techniques des pires sorts faits aux animaux. Le XXe siècle a été un siècle de terreur technique pour les deux (Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo, Gallimard, 2016).

Les humains et les animaux sont liés par leur évolution et pour leur devenir, et c'est l'homme qui détient les conditions de ce devenir (De Darwin à Lévi-Strauss : l'homme et la diversité en danger, Odile Jacob, 2013). Si l'homme est une espèce parmi tant d'autres dans la diversité du vivant, il occupe une place particulière par sa puissance écologique, et de cette question du droit des animaux dépendront les conditions de l'évolution des générations futures. Comme dans l'évolution avec la sélection naturelle, les droits des hommes et des animaux et leurs conséquences sélectives détermineront les droits des générations futures.

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