Philippe Meirieu : "Espoir, es-tu là ? "

Les sociétés sont souvent caractérisées à partir de leurs modes d'organisation sociale et de leurs institutions politiques. C'est donc, pour Philippe Meirieu*, professeur des universités émérite en sciences de l'éducation, en changeant les structures de l'économie ou en réformant les institutions que nous irons vers une société plus solidaire et responsable. Mais est-il certain que cela soit suffisant ?
(Crédits : DR)

Dès 1937, des intellectuels et syndicalistes européens réunis en France par le ministre de l'Éducation nationale du Front populaire, Jean Zay, écrivaient : « Persuadés du rôle primordial de l'économie dans l'évolution des sociétés, on en est venus à méconnaître les facteurs proprement humains. On oublie qu'il ne sert à rien de bâtir un monde économique nouveau si l'on ne prépare pas des hommes capables d'y bien vivre. Sinon l'équipe gouvernante changera peut-être, mais l'aliénation et l'injustice renaîtront d'elles-mêmes. Il faut, en particulier, que nous puissions nourrir les aspirations des jeunes en offrant à leur énergie autre chose que l'exaltation des vedettes, ou la haine partisane née dans l'aveuglement, ou même une déification sommaire du sport. »

On ne saurait trop dire à quel point ce qui se passe aujourd'hui sous nos yeux confirme une telle affirmation. Les soubresauts de l'histoire, les drames et les conflits que nous traversons, les bouleversements politiques les plus inattendus ne semblent pas, en effet, pouvoir affecter un « développement » économique construit sur les vertus cardinales de la concurrence et de la consommation. L'effondrement des grands récits et l'emprise des géants de la mondialisation tracent une voie à laquelle nul ne semble pouvoir résister. À l'image du téléphone portable - l'invention qui s'est répandue le plus vite dans le monde depuis l'apparition de l'homo sapiens sapiens - la production des biens de consommation est une vague d'une telle ampleur que rien ne semble pouvoir l'arrêter.

Plaisir

Or ce phénomène est accompagné d'une mutation anthropologique fort bien décrite par le philosophe Marcel Gauchet : alors que, depuis des millénaires le corps était, pour les humains, le siège de la souffrance tandis que « l'esprit proposait notre seule voie d'accès aux vrais plaisirs et s'offrait comme l'instrument de notre bonheur en ce monde et de notre éventuelle félicité dans l'autre », c'est le corps qui est, aujourd'hui, le lieu de toutes les jouissances. Pourquoi, alors se « prendre la tête » en recherchant les plaisirs de l'esprit quand tout nous pousse, au contraire, à « prendre notre pied » ici et tout de suite ?

La question centrale pour notre avenir devient alors : où nos enfants trouveront-ils donc leur plaisir ? Dans la consommation toujours plus effrénée de ressources épuisables ou dans le partage de richesses inépuisables ? Dans la course à la satisfaction individuelle à travers une multitude de prothèses technologiques ou chimiques ? Ou bien dans la transmission et la coopération, à travers des activités qui n'épuisent pas notre planète déjà exsangue : l'éducation et la culture, les échanges réciproques de savoirs et le débat démocratique, la création collective et la joie partagée de construire ensemble un monde plus solidaire ?

L'espoir est là : dans l'inversion du chemin qui a conduit à notre aliénation matérialiste, dans notre capacité à faire découvrir à ceux qui arrivent dans ce monde que le plaisir d'apprendre et la joie de comprendre ensemble sont porteurs des plus hautes satisfactions en même temps qu'ils instituent l'humanité dans chacune et chacun d'entre nous.

*Auteur de La Riposte (Editions Autrement, 2018)

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