Crise des villes moyennes, une question géopolitique

Chacun s'accorde à considérer les villes moyennes comme un problème, voire à diagnostiquer leur fin. Mais quelle est la nature de ce problème ? Pour Acteurs de l'économie-La Tribune, Daniel Béhar, géographe et professeur à l'École d'urbanisme de Paris (Université Paris-Est) analyse la situation.
(Crédits : Thomas Koszul)

La crise des villes moyennes n'est pas véritablement géographique. Celles du Sud et de l'Ouest de la France, de Cahors à Bayonne en passant par La Rochelle se portent plutôt bien tandis que celles du Nord et de l'Est sont fragilisées, mais comme les métropoles qui leur sont proches (Lille, Rouen, voire Strasbourg). D'un point de vue urbain, cette crise n'est pas globale : le déclin démographique concerne avant tout les communes centres d'aires urbaines moyennes qui elles, peuvent être dynamiques, à Pau par exemple.

Et cette désaffection pour les centres-villes est observable dans tous les territoires urbains, villes petites et moyennes, à l'exclusion seulement d'une petite dizaine de grandes métropoles. Enfin, la bulle immobilière et financière autour du commerce, générée par la convergence d'intérêts entre les élus locaux et les grandes enseignes, si elle se manifeste de façon exacerbée pour l'instant dans les villes moyennes, concerne aussi les grandes villes et au premier chef la région parisienne.

En réalité, la crise des villes moyennes est celle du modèle géopolitique qu'elles incarnent depuis deux siècles : celui de la ville chef-lieu. Ce modèle, c'est à la fois, vu d'en haut, la projection au sol du maillage égalitaire républicain avec ses attributs (la préfecture, l'hôpital, l'École normale...) et vu d'en bas, les relations étroites, organiques, entre la ville et la campagne, au sein de chaque bassin de vie.

Ce modèle est en crise, en voie de disparition. L'explication principale n'est pas la concurrence des métropoles, mais la transformation de nos modes de vie, de notre rapport au territoire. Dans une société mobile, nous pratiquons le « zapping » territorial, nous nous affranchissons des frontières de nos bassins de vie. Les chefs-lieux ne sont plus des points de passage obligés. Les campagnes - touristiques, productives ou résidentielles - ne sont plus celles de leur ville moyenne mais d'un monde globalisé.

Triple alliance

Dépasser cette crise nécessite pour les villes moyennes d'en prendre acte : elles ne constituent plus le niveau intermédiaire dans une armature urbaine ordonnée en poupées russes, entre campagnes et grandes villes. Il leur faut aujourd'hui négocier leur place au sein de systèmes territoriaux ouverts, en construisant une triple alliance.

En premier lieu, il s'agit pour elles de redéfinir leur offre de service vis-à-vis de populations et de territoires environnants pour lesquels elles ne sont plus en situation de monopole : qualité, spécialisation, mutualisation, etc. telles sont alors les pistes à creuser. Alliance ensuite avec les métropoles. Vis-à-vis de ces dernières, les villes moyennes disposent de potentiels qui les mettent en capacité de développer des relations de réciprocité : fonctions patrimoniales et culturelles, spécialisations productives, etc. Enfin, ces alliances territoriales de voisinage ne suffisent plus. Les villes moyennes, seules ou en réseau, doivent aussi jouer la carte de l'ouverture au monde, en tirant parti des atouts propres à chacune d'elles.

Plus que tout autre territoire, les villes moyennes sont en quelque sorte des constructions de l'État nation à la française. C'est avec cet héritage qu'il leur faut aujourd'hui prendre de la distance.

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