L'empathie en entreprise, un bien nécessaire

Pour Bruno Soubiès, il faut en finir avec "les grands programmes RH, les fausses promesses, etc. L'heure est au pragmatisme, aux petits changements au quotidien qui amélioreront concrètement la vie des salariés et de leur entourage." Titulaire d'un DESS en RH et communication sociale et auteur de "L'entreprise a l'écoute de son personnel - libérons son pouvoir magique" (Editions Kawa), il explique les raisons dans cette tribune.
(Crédits : DR)

Si l'entreprise souhaite réussir à atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés en termes de performance économique et se développer sereinement et durablement dans un environnement de plus en plus mouvant, leurs dirigeants se doivent de réfléchir, pour créer (à leur propre rythme), les conditions favorables à une meilleure compréhension et une prise en compte des attentes de chaque collaborateur.

De nombreuses études (dont Gartner) montrent clairement un effet de levier entre augmentation du taux de satisfaction des collaborateurs et taux de satisfaction clients, entre engagement des collaborateurs et performance économique.

Or, encore trop souvent, les politiques suivies par les directions des ressources humaines se "contentent" de se focaliser sur l'élaboration et le maintien de procédures et modes de fonctionnement censés assurer la meilleure marche possible de la structure.

Autant ce carcan pouvait avoir une utilité après-guerre afin d'assurer avec rigueur le cadrage des opérations pour mener à bien la production de masse et atteindre des objectifs avant tout quantitatifs ("Trente glorieuses"), autant perpétuer à l'identique un tel héritage tend aujourd'hui à représenter un réel danger. En effet, on constate, dans nombre des directions des ressources humaines, une forte "résistance au changement" alliée à une incontestable facilité à rester prisonnier d'habitudes d'un autre âge...

Adaptation

Le monde - et le contexte économique, ont très fortement évolué sous l'impulsion de nouvelles technologies qui ont fait des clients - mais aussi des collaborateurs, des êtres connectés, mobiles, agiles et indépendants.

Ces évolutions complexes, qui se sont déroulées à vitesse grand V ont incité les entreprises à s'adapter, pour survivre et croître, aux nouveaux besoins du marché et, surtout, des clients.

En revanche, la prise en compte des besoins et attentes des collaborateurs reste en berne. Seuls, quelques "francs-tireurs", principalement des startups, ont mis les collaborateurs au cœur de leur politique RH. Et avec quel succès !

Il devient donc de plus en plus urgent de tenir compte du vécu du collaborateur, de prendre en considération le fait qu'il dispose, dans son cerveau et ses gestes, d'une immense richesse et que cette richesse est le fondement de l'entreprise. Ni plus ni moins, il s'agit d'un changement fondamental de paradigme !

Attention à la frustration

Majoritairement, les collaborateurs ont tissé un lien relationnel intime et personnel avec leur entreprise, développé un "esprit de corps". Ils y aspirent à une relation humaine individualisée en fonction de l'âge, du parcours, des aléas de la vie personnelle, des attentes. Ne pas en tenir suffisamment compte provoque une frustration menant inexorablement au détachement, au désengagement.

Les directions des ressources humaines qui sauront se concentrer sur le bien-être et au développement des collaborateurs permettront à leur structure de se développer bien mieux et bien plus vite que si elles s'étaient cantonnées à l'atteinte d'objectifs réduits au simple quantitatif. Alors qu'attirer des talents est de plus difficile, posons-nous la question : que font les entreprises pour les conserver, en faire de véritables ambassadeurs de leurs produits et services ? L'empathie peut y répondre.

Premièrement

Pour les collaborateurs, c'est le sentiment d'être écoutés, consultés. Nombre de salariés déplorent la quasi-disparition de la possibilité d'échanger, de débattre "simplement" avec leur hiérarchie.

On ne s'aperçoit même plus que ce l'on ne ferait jamais vivre à des clients, on le laisse subir aux clients internes. Se sont ainsi dégradées les conditions de travail, ce qui a provoqué une perte de confiance voire une défiance envers l'organisation de ce travail et généré des frustrations directement liées au cumul des non-dits, à l'absence d'écoute de ce mal-être par une hiérarchie difficile d'accès ou trop souvent indisponible.

Mettre de l'empathie, de "l'huile dans les rouages" paraît pourtant n'être que du simple bons sens. Pour que les choses évoluent, le rôle des managers est primordial : ils doivent être perçus comme étant au service de leurs collaborateurs et non comme de simples "geôliers.

Deuxièmement

Manifestement, les collaborateurs ressentent un éloignement de leur hiérarchie directe dont ils se plaignent d'une dérive (pressions, millefeuille, complication à souhait) qui, alliée à une multiplication effrénée des strates intermédiaires, ne cesse de décupler un sentiment de pesanteur au-dessus de leurs têtes (notion de plafond de verre).

Comment réagissent les collaborateurs à cette construction d'entreprise ? En accédant à des réseaux informels de contournement, justement appelés "radio moquette", ce qui laisse la porte ouverte à la diffusion incontrôlée de pseudo informations d'une qualité - et véracité pour le moins contestables.

Pour la plupart, fatigués, usés de voir leur condition insuffisamment prise en compte par la direction générale, et déçus, les "collaborateurs de base", comme leurs managers de proximité partagent les mêmes préoccupations et attentes : plus de participatif, de collaboratif.

Idéalement, un collaborateur devrait pouvoir disposer, au sein de l'entreprise, de deux référents non systématiquement hiérarchiques : le premier serait lié au domaine technique et serait à même de l'épauler sans que cela soit vécu comme une trahison par sa hiérarchie directe, le second serait dédié à ses besoins humains personnels, empreint d'une empathie et d'une qualité d'écoute active et sincère.

Pour une entreprise, adopter un tel suivi individuel lui garantirait, de la part des collaborateurs, un sentiment de confiance, une réconciliation avec sa hiérarchie directe.

Troisièmement

Soit s'exprime une totale satisfaction, soit - de manière particulièrement véhémente - les collaborateurs se plaignent de leur environnement, horaires et conditions de travail.  Comment expliquer une telle dichotomie entre « vie normale » et vie en entreprise ?

Pourtant, rien n'est plus simple que de faire en sorte de rendre (plus) agréable cette dernière, ne serait-ce qu'en réinstaurant une forme d'intimité ou en proposant aux collaborateurs un accès libre à toutes sortes d'activités extraprofessionnelles, à une cafétéria destinée à redevenir un véritable lieu de vie, de rencontres, d'échanges.

Clairement, une entreprise qui assumerait le choix d'associer véritablement les acteurs "terrain" à la disposition physique de leur environnement de travail quotidien et de leur proposer des activités extraprofessionnelles répondant à leurs attentes passerait un message fort à tous ses collaborateurs : "Nous prenons soin de vous !"

Concernant les horaires, beaucoup de collaborateurs ont le sentiment que leurs contingences privées (enfants malades, problèmes de nourrice, soucis du conjoint, etc.) sont occultées par principe, au bénéfice d'une "culture du présentéisme".

Il serait utile - voire indispensable, de songer, pour nos entreprises, d'accepter d'envisager qu'en faisant l'effort de s'adapter aux besoins des collaborateurs, ceux-ci sont beaucoup plus productifs que sous la contrainte. En contrepartie, les collaborateurs lui seraient reconnaissants de disposer de plus d'autonomie, de reconnaissance et de ne pas être, constamment, contraints de faire des choix au détriment de leur équilibre personnel, familial, sportif ou culturel.

Quatrièmement

La politique de "saupoudrage égalitariste" instituée comme règle de base et carcan inflexible par nombre d'entreprises, est largement rejetée par les collaborateurs.

Il s'agit là, selon eux, d'un refus de prise en considération de leur travail et d'un manque absolu de reconnaissance de la qualité individuelle de celui-ci au détriment d'une peur maladive d'une quelconque variabilité. La méritocratie représente ainsi une très forte demande. Son insuffisance, voire son absence, génère un sentiment d'iniquité plus que palpable, surtout pour celles et ceux qui se sentent les plus concernés, qui estiment aller dans la bonne direction et contribuer, de tout leur cœur, au développement de leur entreprise.

Enfin, chaque individu se voit confronté dans sa vie quotidienne à des peurs dues au contexte particulièrement tendu qu'affronte notre société : précarisation de l'emploi salarié, menaces d'attentats terroristes, dégradation de la qualité de sa prise en charge sociale et médicale par les services de l'Etat en cas d'accident de la vie ou de maladie...

Les entreprises qui sauront valoriser leurs collaborateurs auront, sans nul doute, d'autant plus de succès qu'elles sauront attirer à elles de nouvelles générations de collaborateurs agiles et motivés. A défaut de viser le bonheur au travail, il s'agit de faire en sorte de garantir au plus grand nombre les conditions d'un meilleur équilibre social et économique.

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