Le Medef au défi de la collaboration

[Editorial] "Il" est l'ADN de l'impressionnante progression du groupe Visiativ présidé par Laurent Fiard, également aux commandes du Medef Lyon-Rhône (à lire Acteurs de l'économie - La Tribune actuellement en kiosques) ; "il" caractérise la relation de ce dernier avec son homologue du Medef Auvergne Rhône-Alpes (candidat à la succession de Pierre Gattaz), Patrick Martin, grâce à laquelle l'instance patronale s'est revitalisée ; "il" est au centre du rapport sur l'objet social des entreprises bientôt publié : le mot "collaboration" est au cœur des enjeux. Et devra singulariser la stratégie du successeur de Pierre Gattaz si le Medef veut accomplir l'aggiornamento auquel les prétendants aspirent... et que la réalité dicte.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Les chiffres en imposent. En trois ans, à coups effrénés d'acquisitions, « sa » société - cotée sur Euronext Paris depuis le printemps 2014 - a vu son chiffre d'affaires (de 50 à 106 millions d'euros) et son effectif (de 350 à 700 collaborateurs) doubler. Et l'objectif affiché d'ici 2020 peut sembler vertigineux : fort d'une levée de fonds de 15,1 millions d'euros accomplie en novembre dernier, franchir la barre des 200 millions d'euros d'activité.

Lier cette croissance « seulement » à l'extrême vitalité du secteur d'activité serait fallacieusement réducteur : certes, l'édition de logiciels et la transformation numérique des PME constituent un gisement inépuisable de développement. Mais l'origine du succès entrepreneurial qu'« il » conduit depuis une trentaine d'années aux côtés de son associé Christian Donzel, tient à d'autres recettes. « Sa » société, c'est Visiativ. « Il » a pour nom Laurent Fiard. Et pour l'heure, si la frénétique stratégie de croissance externe semble s'articuler avec une réalité organisationnelle et sociale cohérente, c'est-à-dire si le bondissement des chiffres économiques et financiers ne semble pas provoquer les dégâts humains traditionnellement consubstantiels de ce type de dynamique, cela tient en partie à une double « culture » d'entreprise et managériale elle-même visionnaire. Fondateur du congrès « Entreprise du futur » qui le 18 janvier à Lyon a rassemblé près de 5 000 « assoiffés » d'innovation, Laurent Fiard travaille à sceller l'identité industrielle et l'identité managériale de sa société autour d'un concept commun : collaboration. « L'innovation collaborative » singularise en effet le cœur de son métier mais aussi le moteur de son entreprise.

Souffle nouveau

Collaboratif. C'est aussi ce qui caractérise l'esprit du tandem qu'il forme avec Patrick Martin. Laurent Fiard est en effet « aussi » président du Medef Lyon-Rhône, et le Pdg du groupe bressan de négoce et de distribution Martin Belaysoud - lui-même dans une forte dynamique de croissance, l'ETI de 2 500 salariés programmant d'atteindre 710 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018 - est aux rênes du Medef Auvergne-Rhône-Alpes. Chez ces deux quinquagénaires, une qualité relationnelle et une même légitimité entrepreneuriale qui ont permis d'extraire l'institution patronale de l'atonie mais aussi d'un certain nombre des clivages et des adversités qui empoisonnaient auparavant son fonctionnement.

Lire aussi : Patrick Martin : "Je veux remettre un patron à la tête du Medef"

Rien n'est bien sûr définitivement apaisé dans cette citadelle d'égos, rien n'est totalement pacifié sur ce champ de batailles autant personnelles qu'idéologiques exacerbé par des enjeux sensibles - avenir des chambres de commerce, composition des corps intermédiaires (Ceser, etc.), fiscalité, raréfaction des subsides, redistribution des compétences économiques entre collectivités territoriales, articulation des instances représentatives de « l'entreprise » et de l'économie locale, concurrence avec la CPME... sur fond des traditionnelles joutes politiques et partisanes - ; mais il est incontestable qu'un souffle nouveau traverse le fonctionnement de l'instance, y compris dans la vitalité du dialogue social et paritaire. Le désormais ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a longtemps revendiqué ses succès transpartisans au sein du milieu économique lyonnais pour crédibiliser son ambition nationale : les fameuses expérimentations locales destinées à être le laboratoire d'un déploiement hexagonal. Postulant à la succession de Pierre Gattaz, à la tête d'une institution fragilisée par les rivalités intestines et doctrinaires, par les combats de clans et d'ambitions, Patrick Martin peut-il lui-même s'employer à cette déclinaison nationale des accomplissements locaux ?

Progrès partagé

Collaboratif, c'est également ce qui conditionne l'issue du chantier, colossal et passionnant, que l'exécutif gouvernemental a initié via simultanément la préparation du Pacte (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) et la réalisation d'une mission « Entreprise et intérêt général » confiée au président de Michelin Jean-Dominique Sénard et à Nicole Notat (Vigéo Eiris). Parmi les desseins poursuivis par ce double dispositif appelé à se concrétiser, y compris législativement, au cours des prochains mois, figure celui de reconsidérer et d'élargir l'objet même des entreprises, afin qu'il reflète davantage la nature des activités et des organisations contemporaines, mais aussi les aspirations et les dispositions des salariés, notamment des générations en devenir. « Participer », « être considéré », « s'épanouir », « équilibrer », « inventer », « contribuer », « droit à l'échec », « prendre des initiatives », « être acteur »... composent en effet le lexique de cette jeunesse en quête de sens. « Quête » signifiant équitablement trouver, donner, partager du sens.

Une formidable opportunité pour infuser le système économique et entrepreneurial de « causes » - économie sociale et solidaire, enjeux environnementaux, sujets éducatifs et culturels, lutte contre les inégalités et les discriminations, diffusion des connaissances, innovations d'envergure sociétale, etc. - susceptibles d'éclairer « sa raison d'être ». Collaboratif, ce chantier l'est à double titre : dans sa construction - la qualité de sa réalisation dépendra des méthodes de collaboration sollicitées - et dans sa destination - reconnaître en la culture de collaboration l'une des ferments de l'épanouissement personnel, de la performance responsable, bref du progrès partagé.

L'aggiornamento du Medef

On le sait, et le « bilan » de Pierre Gattaz pour partie le consolide : le Medef devra accomplir un puissant aggiornamento s'il veut dépasser ses seules attributions de négociateur, de mandant, d'acteur du paritarisme, s'il veut se libérer des chaînes politiques qui pénalisent sa marge de manœuvre et des obsessions dogmatiques qui entravent sa possibilité d'initiative, s'il veut prétendre à devenir une locomotive des transformations de la société donc des entreprises. La réputation de l'organisation patronale est en souffrance, notamment parce que son fonctionnement et sa stratégie n'épousent pas suffisamment les aspirations et les besoins d'une communauté d'entrepreneurs extraordinairement variée et surtout « en avance » sur elle. L'avenir de l'instance est conditionné à sa faculté d'incarner « ceux » qu'elle représente. Certes la tâche est complexe, tant les réalités vécues, les singularités sectorielles, l'éventail des attentes composent une mosaïque hétérogène. Pourtant, Laurent Fiard le met en œuvre au sein de Visiativ, son fonctionnement avec Patrick Martin l'illustre, les aspirations dans les entreprises l'incarnent, et surtout l'immense communauté des entreprises qui « réussissent » - à conquérir comme à survivre - le démontre : il est l'heure d'honorer la collaboration.

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