Solitude et liberté, le paradoxe de l'entrepreneur

Est-ce la liberté qui motive l'entrepreneur ? La solitude de l'entrepreneur est-elle immuable ? Quelques éléments de réponses par Baptiste Canazzi en écho de la 11e conférence du cycle "Philosophie & Management", organisé fin janvier par Acteurs de l'économie - La Tribune en partenariat avec l'iaelyon school of managment.
(Crédits : DR)

À demander aux bizuts de l'entrepreneuriat ce qui les motive à entreprendre, nombreux sont ceux qui n'hésitent pas : la liberté. La réponse est d'ailleurs inscrite dans le sens même des mots : à l'instar de Proust qui pliait le langage au point d'en faire une langue étrangère, l'entrepreneur est d'abord celui qui "prend le monde" pour essayer de le plier à sa vision.

Mais n'est-ce pas une liberté bien paradoxale ? Car cette liberté de l'individu, qui s'exacerbe dans l'acte d'entreprendre, a bientôt fait de produire des personnes centrées sur elles-mêmes et sur leurs projets, au point que bien souvent rien n'y résiste autour. Or le paradoxe est que l'entreprise est par définition aux antipodes de cette forme d'égocentrisme. Dans son sens même, elle vise à aller vers l'autre : ne la crée-t-on pas pour 99 ans, c'est-à-dire pour aller au-delà de notre propre personne ?

Le paradoxe tient à ce que l'entrepreneur est un solitaire dans l'entreprise. Le cœur de son engagement repose sur une volonté individuelle, mais il est rapidement obligé de s'entourer pour faire avancer son projet. Et charge à lui de se transformer en gourou pour exister dans l'esprit des autres comme une partie d'eux-mêmes.

Entre liberté et indépendance

Notre hypothèse est que cette solitude tient au conflit des libertés qui résident dans l'acte même d'entreprendre. Rousseau distingue en effet la liberté de l'indépendance. La limite de l'indépendance tient à ce qu'elle ne peut exister réellement que dans la mesure où elle ne se confronte pas à celle d'autrui. Car il vient un moment où nos volontés individuelles se contrarient et c'est alors le début de la loi du plus fort. Et le paradoxe de la liberté, c'est qu'elle a besoin des autres pour exister. C'est là le fondement même de nos sociétés : c'est pour préserver notre liberté et notre sécurité que nous concédons notre indépendance.

En somme, le paradoxe tient au fait que l'entrepreneur est cet indépendant qui fait toute sa vie l'apprentissage d'une liberté qui lui est nécessaire, mais qu'il ne désire pas pour autant, trop conscient des effets délétères qu'elle pourrait avoir sur ce qui le meut intrinsèquement. L'entrepreneur est celui qui fait le choix indépendant de refuser la liberté et la sécurité, mais qui s'y confrontera pourtant toute sa vie : est-on toujours indépendant lorsque nous avons des employés ? C'est de ce conflit que découle la solitude de celui qui prend le monde, en a besoin et y est appelé, mais doit toujours se tenir à côté, au risque de se perdre.

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