L'Homme préhistorique, un entrepreneur avant l'heure

Marylène Patou-Mathis, directrice de recherche au CNRS, rattachée au département préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle

À cette question la réponse est oui, si l'on considère qu'un entrepreneur est celui qui innove, qui renouvelle ses techniques ou ses stratégies, ici de subsistance, pour améliorer sa situation, mais surtout celle de son groupe ou de sa communauté d'appartenance. Le préhistorien travaille sur le temps long ; ce qui lui permet d'avoir une vision globale des réponses adaptatives face à des changements extérieurs, environnementaux, mais aussi internes, sociétaux. Celles-ci étant perçues au travers des innovations qui jalonnent notre histoire, même lointaine, celle de notre lignée aujourd'hui représentée par une seule espèce : Homo sapiens.

Depuis les origines, une longue succession d'innovations a permis à nos ancêtres  de  résoudre les difficultés auxquelles ils ont été confrontés. Grâce aux nouvelles connaissances acquises au fil du temps et à leur capacité d'entreprendre, les premiers humains ont développé des savoirs et des savoir-faire qui ont permis à notre espèce d'occuper et d'exploiter tous les biotopes. Dès l'acquisition de la bipédie permanente, il y a plus de six millions d'années, les mains, qui ne sont plus indispensables à la locomotion, peuvent manipuler des objets, les transporter d'un lieu à un autre et en fabriquer. L'accroissement du cerveau qui s'ensuit, avec l'apparition de nouvelles capacités cognitives, entraîne le développement de nouvelles activités, notamment liées à la subsistance : la viande de mammifère entre dans leur menu. Pour l'obtenir, parce qu'ils n'ont ni griffes ni crocs, nos ancêtres inventent l'outil, il y a environ 3,4 millions d'années. Les innovations dans la confection des outils sont multiples, tant dans les modes de débitage que de façonnage des roches (conception de schémas opératoires qui d'une pierre brute mène à un outil), et tendent vers une efficience maximale. Au fil du temps, grâce, là encore, à des innovations culturelles, ces peuples chasseurs-cueilleurs nomades deviennent moins dépendants des aléas climatiques. Il y a au moins 1,8 million d'années, certains vont s'aventurer hors de leur territoire d'origine, l'Afrique. Ils s'adaptent à de nouveaux territoires qui leurs sont inconnus comme ceux de l'Eurasie où règne un climat glaciaire. Certains groupes poursuivent leur route vers la Chine et l'Asie du Sud-Est, plus tard, les Néanderthaliens migrent jusqu'en Sibérie et les premiers Hommes modernes, lors d'une phase très froide, passent en Amérique du Nord par le détroit de Béring alors exondé.

Collaboratif

Pour s'alimenter, d'abord charognards et opportunistes, ils deviennent très vite des chasseurs de petits mammifères puis de plus grands, et des pêcheurs. Ils inventent alors des armes qu'ils perfectionnent au cours du temps ; d'abord simples (épieu en bois) puis composites (lance, sagaie lancée au propulseur, harpon). À l'emploi originel de la pierre, ils ajoutent celui du bois végétal et, vers 40 000 ans, celui des matières dures d'origine animale (os, ivoire de mammouth et bois de cervidés). Simultanément, ils conçoivent des stratégies cynégétiques, qui leur permettent d'équilibrer l'équation « dépense énergétique/apport calorique » et requièrent la collaboration des membres de leur clan, voire d'autres groupes, récompensée par le partage de la proie abattue (comportement au cœur de la structure sociale de ces peuples chasseurs-cueilleurs). De l'animal, fournisseur de ressources tant alimentaires que non alimentaires, ils prélèvent tout ce dont ils ont besoin pour vivre (peau, os, bois de cervidés, tendons), ce qui nécessite là encore un savoir-faire. Parmi les inventions humaines, celle de la maîtrise du feu, qui se généralise à partir de 500 000 ans, est la plus importante après celle de l'outil. Elle a profondément amélioré leur vie quotidienne, mais également renforcé les liens sociaux en favorisant la transmission autour des foyers des savoirs, voire des mythes fondateurs propres à chaque communauté. Au cours de leur histoire, les Hommes n'ont cessé d'entreprendre puisqu'ils ont constamment innové, transformé et adapté leurs techniques à leurs besoins. Mais seules les innovations partagées par le plus grand nombre et transmises ont réussi. Il est probable que certaines d'entre elles sont le fait d'individus plus entreprenants, plus créatifs que d'autres, mais elles n'auraient pas eu le succès évolutif que nous constatons sans le partage des tâches et la collaboration de tous.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.