Quand la nature peut inspirer des stratégies économiques

Au-delà de ses inventions pratiques qu’elle a pu apporter, la nature peut aussi offrir des stratégies pouvant être appliquées au monde économique. Une dimension que l’Homme comprend depuis peu, lui qui, longtemps, « l’a domestiquée, transformée, pillée et en grande partie détruite ». Pour Serge Berthier, chercheur à l'Institut des nanosciences de Paris, la nature est une force qui peut ainsi apporter bien d’autres richesses. Une force qui se nomme : la bio-inspiration.

Le génial artiste et inventeur Leonardo da Vinci incitait ses élèves à sortir de l'atelier pour, disait-il : "Aller observer la nature, là est votre futur !" Une fois de plus trop tôt prononcée, cette phrase est une révolution pour l'époque et reste, encore aujourd'hui, d'une étonnante pertinence. Une révolution, car nous étions, pour reprendre les termes de Patrick Deville, en ces temps où la nature n'était pas cette vieillarde mourante qu'il faut protéger, mais un redoutable ennemi qu'il faut vaincre. Hormis cette remarquable parenthèse, l'Homme ne s'est que fort récemment inspiré de la nature pour ses œuvres, sauf peut-être dans le domaine militaire. Nous l'avons domestiquée, transformée, pillée et en grande partie détruite, mais nous ne commençons qu'à peine à la regarder d'un nouvel œil : que peut-elle nous apporter d'autre que ses richesses en éléments ?

La bio-inspiration

L'idée fondamentale de la bio-inspiration repose sur l'évolution et la sélection naturelle. Les organismes vivants que nous pouvons observer aujourd'hui sont le résultat de mutations aléatoires et du passage par le redoutable filtre de la sélection naturelle. Ils ont ainsi bénéficié de milliers d'années de tests grandeur nature - de recherche et développement, dirait-on aujourd'hui - et nous pouvons considérer qu'ils ont ainsi atteint une forme de perfection, ou plutôt un optimum.

Deux manières permettent d'aborder le bio-mimétisme ou la bio-inspiration. On peut d'une part adapter à nos besoins et avec nos matériaux les réalisations de la nature. L'exemple le plus connu est sans nul doute le velcro, copie conforme de la graine de bardane. Une extraordinaire réussite industrielle qui génère des chiffres d'affaires colossaux et a bouleversé l'accroche dans tous les domaines. Il en est de nombreuses autres, moins connues, ayant apporté de réels progrès dans de très nombreux domaines : aéronautique, cosmétique, affichage, médecine, etc. Des progrès, mais pas de bouleversements sociétaux !

Complexité et désordre

Au-delà de ses inventions pratiques, la nature peut aussi nous offrir des stratégies. Deux grands principes régissent les constructions naturelles. Le premier est la grande économie en éléments chimiques et son corollaire : la minimisation des déchets. Alors que nous utilisons peu ou prou l'ensemble des éléments de la classification périodique des éléments, la nature n'en utilise que très peu dans ses structures. Le second est la multifonction. Les structures naturelles sont toujours multifonctionnelles, ce qui participe également à l'économie évoquée précédemment. Cette stratégie - faire beaucoup avec peu - a un prix : la complexité et le désordre.

La première permet d'obtenir une structure adaptée aux diverses fonctions. Les structures naturelles sont multi-échelle, parfois fractales, chaque échelle étant particulièrement (mais pas exclusivement) optimisée pour une tâche donnée.

Le second - le désordre - permet l'optimisation en moyenne des différentes fonctions. Toutes étant aussi vitales les unes que les autres, aucune ne doit prendre le pas sur les autres, aussi ne sont-elles jamais "parfaites" et un judicieux désordre assure cette harmonisation des fonctions.

Un monde fini

Économie, désordre, multifonctionnalité, complexité : pratiquement l'inverse point par point de nos stratégies humaines. À un point tel que bien des réalisations industrielles bio-inspirées, pourtant très performantes, sont inadaptées à nos sociétés, notre mode de vie, et restent au stade de prototypes. La stratégie humaine - puiser à loisir dans les éléments naturels - s'est avérée parfaite dans un monde aux ressources "infinies" et a permis cette extraordinaire expansion qualitative et quantitative que nous connaissons.

Mais nous voilà arrivés dans un monde fini. Dans le même temps, alors que la population humaine va atteindre son maximum viable, nous allons également atteindre les pics de production de la plupart des éléments chimiques, beaucoup étant déjà considérés comme "stratégiques" aujourd'hui. Il est temps de réfléchir aux moyens de nous en passer, et c'est sans nul doute la plus grande leçon de la nature, et le plus grand intérêt de la bio-inspiration. Là, est notre futur.

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