Vélib' : quand l'incertitude gagne la décision publique

La métropole du Grand Paris vient de confirmer l'attribution du marché "Vélib'" à la PME montpelliéraine Smoove, également basée à Lyon, au désavantage du leader de ce secteur JCDecaux. Une décision surprenante selon Maxime Huré, maître de conférences en science politique à l’université de Perpignan, chercheur au CDED et à Sciences Po Lyon et auteur du livre "Les mobilités partagées - Nouveau capitalisme urbain" édité par les Publications de la Sorbonne.

Le 12 avril dernier, le syndicat mixte en charge des mobilités partagées (vélos en libre-service, autopartage) de la métropole du Grand Paris a confirmé l'attribution du marché des vélos en libre-service Vélib' à la PME Smoove implantée depuis 2007 à Montpellier. Cette décision est une révolution considérable dans le monde des services urbains puisqu'elle relègue JCDecaux, n°1 mondial du mobilier urbain et de l'affichage publicitaire, à jouer les seconds rôles dans un marché des vélos partagés que la multinationale française a, en grande partie, façonné. Mais la vraie nouveauté est que ce choix introduit une rupture dans la gestion d'une importante infrastructure de transport et plonge les acteurs publics dans une situation d'incertitude sur le fonctionnement du dispositif et sur les stratégies métropolitaines du Grand Paris.

Cette décision intervient dans le cadre d'une volonté des pouvoirs publics de reprendre la main sur la gestion du dispositif Vélib' et d'étendre son périmètre à l'échelle du Grand Paris. Dès 2016, la ville de Paris a ainsi décidé de séparer le marché des vélos partagés de celui de l'affichage publicitaire et de confier sa gestion à un syndicat mixte, en charge des mobilités partagées sur le territoire du Grand Paris. Il s'agissait pour la puissance publique de mieux réguler les relations avec le futur opérateur en maîtrisant notamment les coûts et les recettes du dispositif. Cette décision était déjà extrêmement symbolique puisqu'elle s'attaquait directement au modèle économique proposé par l'entreprise JCDecaux (vélos financés par les recettes publicitaires).

La candidature surprise de JCDecaux

La première surprise de ce nouveau marché fut donc la candidature de l'entreprise JCDecaux sur un marché, dont le modèle économique était très éloigné de son propre modèle. Cette candidature indiquait alors un rapport de force nouveau entre l'opérateur historique et les pouvoirs publics parisiens puisque Paris devenait ainsi la première collectivité à contraindre l'entreprise française à transformer son modèle économique. Le nouvel appel d'offres Vélib' permettait à Paris de s'affirmer comme une grande métropole capable de réguler des relations entre opérateurs et collectivités et d'infléchir les stratégies des grands groupes de services.

Pour renouveler son marché, JCDecaux noua également une alliance avec deux autres poids lourds de la scène économique parisienne en matière de transports : les groupes RATP et SNCF. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que le contrat Vélib' soit de nouveau attribué à JCDecaux afin de maintenir une continuité du service pour les usagers, en étendant son périmètre et en améliorant la régulation du dispositif par la puissance publique. En outre, depuis toujours, pour conserver ses marchés, JCDecaux s'appuie sur une stratégie de réduction des incertitudes pour les décideurs politiques à tous les niveaux.

Mais voilà, les certitudes de l'action publique ont été balayées par l'offre de la PME Smoove. Et cette décision pourrait engendrer quelques difficultés sur le déploiement du futur dispositif et l'évolution de la métropole parisienne.

Des contestations sociales et électorales possibles

La première incertitude est politique. En choisissant un nouvel opérateur, la métropole parisienne a choisi de rompre avec un service, dont l'appropriation par ses usagers avait été un des moteurs de son succès. Au-delà d'une possible déperdition d'utilisateurs liée à l'augmentation des tarifs, il va falloir démonter l'ensemble des stations Vélib' implantées par JCDecaux pour installer de nouvelles stations Smoove. La ville de Paris va ainsi ouvrir une période de grands travaux sur la voirie et un moment de rupture dans l'utilisation quotidienne de son service. Certes, l'usager sait s'adapter, mais dans ce cas de figure, pourrait-on voir apparaître quelques contestations sociales ou électorales ?

La deuxième incertitude concerne la stratégie et l'image de la métropole du Grand Paris. En se passant de JCDecaux, Paris a d'abord fait le choix de privilégier une petite PME locale face à un grand groupe mondial. Mais JCDecaux n'est pas qu'un simple opérateur de service. L'entreprise accompagne les villes dans leur stratégie d'internationalisation depuis plus de 30 ans.

Quelles retombées économiques pour le Grand Paris ?

Au moment où la ville de Paris souhaite accueillir les Jeux Olympiques - JCDecaux est d'ailleurs un sponsor officiel de la candidature - et souhaite attirer les grands investisseurs financiers en provenance de Londres, la stratégie consistant à se passer d'un groupe comme JCDecaux questionne. La métropole parisienne souhaite-t-elle se priver des grands groupes pour construire l'économie de son Grand Paris ? La défaite de JCDecaux pourrait finalement être analysée comme le symbole d'une nouvelle stratégie métropolitaine privilégiant un développement économique alternatif.

La stratégie du Grand Paris est donc aujourd'hui partagée entre, d'un coté, un développement économique axé sur des acteurs locaux et alternatifs et, de l'autre coté, un développement économique souhaitant attitrer les grands investisseurs internationaux. Cela revoit probablement aux divergence politiques actuelles du territoire.

David ou Goliath ?

Enfin, la dernière incertitude est industrielle et concerne la capacité de Smoove à s'implanter durablement dans le paysage des services urbains. Son offre de qualité ne doit pas cacher la taille de sa structure - moins de 40 salariés avant l'obtention du contrat parisien. Au-delà du changement d'échelle de l'entreprise qui, espérons-le, sera correctement négocié, l'entreprise pourra-t-elle résister aux offres de rachat des grands groupes ? Rappelons qu'après avoir perdu le marché de l'affichage publicitaire à New York dans les années 2000 au détriment de la multinationale espagnole Cemusa, JCDecaux a acquis cette dernière en 2014 pour 80 millions d'euros et détient aujourd'hui le marché new-yorkais.

Dans un autre registre, comment réagiront les acteurs publics au recours formulé par JCDecaux, qui suivra quotidiennement l'application du contrat ? Un recours a déjà été introduit par l'entreprise française pour contester l'attribution du marché.

Vers une forte pression médiatique

L'analyse de ces transformations est ainsi extrêmement intéressante pour la recherche urbaine. Malgré ces incertitudes, une chose est sûre, la pression médiatique et politique quotidienne qu'a subit le dispositif Vélib' depuis 10 ans ne va pas s'atténuer. Au final la décision d'attribuer Vélib' à Smoove est extrêmement défavorable à JCDecaux, RATP et SNCF. Mais elle n'est pas non plus un cadeau pour la PME Smoove. Et ces changements seront évidemment scrutés par l'ensemble des acteurs politiques et économiques des autres grandes métropoles mondiales.

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