Présidentielle 2017 : Il n'existe nullement de vote "jeune"

Sociologue, directrice de recherche au CNRS, Monique Dagnaud estime que le vote de la jeunesse est pluriel, conséquence de son éclatement en différents segments. Décryptage.

Les attitudes électorales de la jeunesse sont connues : une propension à l'abstention et une préférence pour les partis extrêmes. Le tropisme "extrême" existe bel et bien, mais il se dirige soit vers l'extrême gauche, soit vers l'extrême droite, soit vers l'abstention. Cette dispersion fait de "l'excès" un paramètre des choix des jeunes électeurs, mais on en repère bien d'autres. Au bout du compte, la jeunesse est éclatée en différents segments et il n'existe nullement de vote "jeune".

Premier constat. Il y a une jeunesse intégrée ou en voie d'intégration qui n'est guère disposée au frisson de l'excès. Une partie d'entre elle pourrait voter allègrement pour l'extrême centre d'Emmanuel Macron* : ce dernier en mars 2017 capte 27 % des intentions de vote des 18-24 ans, soit un score légèrement supérieur à celui qu'il rencontre dans les autres classes d'âge. La jeunesse passée par l'université (44  % de la génération Y) peut être séduite par la volonté de l'ex-ministre des Finances d'enjamber le clivage droite-gauche et de réenchanter le projet européen et la mondialisation. Cette adhésion culminera sans doute chez les étudiants issus des filières d'élite, ceux pour qui le modèle californien, "compétition, technologies numériques, startup et innovation",  offre un terrain de jeu.

Pour des raisons idéologiques ou de sentiment de déclassement, d'autres jeunes adultes diplômés du supérieur pourront, de leur côté, opter pour une gauche radicale. Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, Benoit Hamon, attirent une partie du vote jeune : on a vu lors des mobilisations contre la loi El Khomri combien certains étudiants sont révoltés par le caractère peu inclusif de la société française. Aujourd'hui, cette préférence pour une gauche pure comme le diamant constitue moins la marque de fabrique de la jeunesse qu'elle ne le fit autrefois, mais cette tendance subsiste.

Rébellion

Restent les 41 % de jeunes qui n'ont que le bac et/ou une formation professionnelle courte et les 15 % qui sont sortis précocement du système scolaire munis tout au mieux du brevet. Leur vote s'orientera dans plusieurs directions, mais cette fraction des jeunes, et en son sein ceux qui sont en emploi, est sensible aux thèmes frontistes. Et c'est parmi eux que se recrutent beaucoup des électeurs du Front national - qui recueille près du tiers des votes des 18-24 ans. La droite classique, avec François Fillon comme candidat, semble n'attirer qu'une petite fraction des jeunes, autour de 10 %.

Autre geste emblématique : l'abstention. Deux tiers des moins de 24 ans n'ont pas voté aux dernières départementales. Le taux d'abstention des jeunes est en général supérieur de 10 % à celui de l'ensemble des électeurs, et ce, même aux présidentielles. Ce taux d'abstention conduit à réduire la part des jeunes dans la composition d'un l'électorat particulier : par exemple, le vote en faveur de Le Pen vient en tête pour la tranche des 18-24 ans, mais comme ils votent en petit nombre, ces jeunes ne constituent, au final,  qu'une faible fraction du vote global en faveur de Marine Le Pen. On évoque souvent l'idée d'un moratoire du vote - le primo votant n'est pas encore acculturé au rituel du suffrage universel, et de surcroît, il peine à se forger une opinion. D'autres motifs font de cette abstention un geste éloquent. L'instance politique, comme instrument de cohésion et de transformation sociale, a montré son impuissance à leurs yeux.

L'abstention apparaît alors comme une posture d'indifférence affichée, presque comme une rébellion. On dénote pourtant une sensibilité politique générationnelle qui s'exprime loin de l'isoloir. Au fur et à mesure que la communication en réseaux est devenue la norme, que les interactions horizontales se sont intensifiées, les vingtenaires cherchent le salut chez leurs proches et dans des actions avec leurs pairs.

Cette génération s'investit dans les mouvements associatifs et collaboratifs, l'économie solidaire et le crowdfunding, des secteurs qui touchent deux cordes sensibles : l'écologie et l'entre aide sociale ou humanitaire. L'engagement dans la société civile, la valorisation du local, l'attention à la transition énergétique et  aux nouveaux modes de vie : tous ces éléments  nourrissent plus solidement une identité générationnelle que ne le fait le vote.

*Sondage Elabe du 2 mars 2017, ces tendances apparaissent également dans d'autres sondages.

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