Trump et Le Pen : le loup entre dans Paris

Ce que signifient les premiers pas de Donald Trump à la Maison blanche questionne bien au-delà des frontières américaines. Le "mal" multiforme qui nourrit et que distille le président américain désormais contamine les consciences françaises, si l'on en juge leur indulgence, leur abdication, voire leur allégeance. Il y a urgence, extrême, à endiguer la propagation. Les antidotes du philosophe Etienne Klein pour restaurer le Progrès font lumineusement écho à cette exigence, et s'appliquent à tout résistant aux virus trumpiste et lepéniste.

Pas une ligne (ou presque) dans les médias, pas une seule déclaration au sein de la classe politique pour dénoncer l'indicible cynisme. Et pourtant ou... pour cause : le 25 janvier, le Dow Jones franchissait la barre des 20 000 points pour la première fois dans son histoire séculaire. Le bon comportement d'ensemble des entreprises américaines en constituait le ferment, et tout comme ses "cousins" Nasdaq et S&P 500, l'indice phare de Wall Street ponctuait là une année de progression record, d'environ 25 %.

Mais cette flambée vient aussi couronner, même célébrer la victoire de Donald Trump, puisque près de la moitié du bondissement des indices est intervenue après le 9 novembre 2016. En d'autres termes, l'Amérique de la finance s'est réunie pour légitimer le dirigeant démocratiquement élu le plus funeste depuis Adolf Hitler en 1933, au nom des profits que promet la double perspective de déréglementation financière (engagée depuis la signature le 4 février du décret ad hoc détricotant la loi Dodd - Frank) et de renchérissement du marché intérieur - le chancelier allemand avait d'ailleurs, lui aussi, bénéficié du soutien déterminant d'éminents industriels, séduits par les chimères mercantiles de l'idéologie nationaliste.

Fric et haine

La prospérité annoncée du capitalisme boursier américain aura donc pour théâtre : le massacre de la biodiversité et le pillage des ressources naturelles ; l'édification d'un mur avec le Mexique ; le feu au Proche-Orient après le déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem ; la dégradation des droits et des libertés - d'informer, d'avorter, etc. - ; la déconsidération de ce qui fait création et œuvre artistiques ; la stigmatisation de pans entiers de la population, de la société, et même de la civilisation contemporaine - homosexuels, musulmans, pauvres, réfugiés politiques, immigrants, etc. - ; le démantèlement de l'Obamacare ; le mépris pour une Europe espérée se décomposer dans le sillage du Brexit ; une stratégie géopolitique dantesque ; la glorification des armes et de la torture ; la réhabilitation du népotisme ; l'enracinement de la post-vérité ; l'instrumentalisation tous azimuts - de la paranoïa, de l'opposition, des réseaux sociaux, etc.

Enfin, la sacralisation du "fric", du gain, de la marchandisation, de la compétition, de l'égocentrisme, de l'immédiateté, de l'intolérance, du manichéisme, du narcissisme, de la vanité, du despotisme religieux. Et de la haine.

La France des Lumières dans le noir

Ce "monde" ne verra, heureusement, que partiellement le jour, surtout si les mouvements de résistance qui se propagent dans les universités, dans les rues, et dans des entreprises emblématiques pour riposter aux projets anti-immigration s'enracinent ; mais ourdie par un gouvernement dont la composition malheureusement nourrit l'effroi, l'apocalypse est fondée. Et c'est donc ce que les acteurs, y compris citoyens, du capitalisme financier, boursier, spéculateur font le choix de modeler. L'amoralité intrinsèquement constitutive de leurs actes a fait place au stade suivant - et ultime - : celui de l'immoralité. Sans que (presque) personne ne s'en émeuve.

Pire, et jusqu'au sein de consciences que l'on croyait protégées de ce spectre, même dans la France des Lumières, le sournois et redoutable venin de la "normalisation" et de l' "acceptation" semble inoculer subrepticement et infuser les raisonnements, notamment dans les cénacles décisionnels que domine le dogme de la realpolitik et du pragmatisme.

La préservation des intérêts de LVMH aux Etats-Unis justifiait-elle que Arnault (père et fils) soient les premiers Français à s'entretenir ostensiblement dans la Trump Tower avec le président américain ? Que n'entend-on pas autour de soi qui sinon cautionne ouvertement au moins réclame indulgence, patience, confesse aussi quelque admiration pour une incarnation inédite de "l'autorité, de la réussite, de l'irrévérence" trempées dans un "patriotisme" que les dirigeants politiques français, Marine Le Pen bien sûr exceptée, sont rendus coupables d'abandonner.

Démission rampante

Oui, Donald Trump est celui qui libère la parole, qui "ose" : anathématiser ces "médias qui désinforment", punir "tous les musulmans, graines de terroristes", combattre "tout ennemi : associatif, universitaire, artistique" engagé dans une voie altruiste, pourchasser "toute cible : intellectuelle, politique, entrepreneuriale, commerciale, financière, institutionnelle" susceptible d'entraver la prospérité domestique et la propagation du sectarisme religieux...

La contamination fait son oeuvre, escortée par un idéal national(iste) qui atteint un degré inédit de popularité. Voilà le monde, voilà même la civilisation que féconde l'insidieuse alliance des esprits, la pernicieuse collusion fomentée dans une pleutrerie, une cupidité, un égoïsme en définitive universels. Il n'a pas suffi d'être assommé le 9 novembre, et depuis de trembler : la démission s'empare d'une partie de l'opinion publique, confortée par le retrait complice d'une partie des élites.

A ses yeux, toute critique de Trump doit être assimilée à une diabolisation excessive, voire injuste. "Les loups sont entrés dans Paris", chantait Serge Reggiani dans un refrain communément assimilé à une parabole de l'invasion allemande en 1940 ; "le Loup entre dans Paris" : voilà comment, métaphoriquement, on pourrait cataloguer la prise de pouvoir trumpiste dans les consciences françaises...et la perspective des Présidentielles françaises. Ce dont peut témoigner tout spectateur des meetings de Marine Le Pen.

Combattant de quoi ?

"Notre croyance collective en l'impossibilité a créé les conditions de la possibilité », décortique le philosophe des sciences Etienne Klein à l'aune du séisme américain, mais aussi du Brexit anglais. Et demain du triomphe Lepéniste si rien n'est entrepris partout et par chacun pour y faire rempart. Ces "moments de l'Histoire" doivent faire de tout humaniste un militant dans son domaine, son travail, son territoire, ils cimentent l'absolu besoin de politique, l'impérieuse nécessité de revitaliser la Res publica, ils exhortent à se muer en résistant, en combattant. Mais combattant de quoi ?

Lire aussi : Étienne Klein : "Le Progrès est en voie de disparition"

L'investigation de l'auteur de Le pays qu'habitait Albert Einstein (Actes Sud) dans le champ du progrès apporte une réponse. Peut-être même la réponse. Ce progrès dépossédé de sa majuscule est celui, désormais, de l'avilissement de la science ; d'une désynchronisation de sa "contribution" démocratique et même d'un désarrimage de sa destination humaniste ; d'une déshérence que comble, aussi fallacieusement que triomphalement, l'innovation ; d'un dévoiement de la substantifique moelle qui avait germé au Siècle des Lumières. C'est celui d'une aliénation protéiforme - consumériste, utilitariste, marchande, temporelle - ; d'une "conscience malheureuse" qui tétanise ; d'un support spirituel qui dépérit... L'urgence, démontre Etienne Klein, est donc de réenchanter le Progrès, de travailler à réhabiliter la majuscule mutilée par cette succession de vicissitudes.

"Réservoir d'humanité"

Pour y parvenir, la somme des écueils à franchir et des engagements à réaliser est considérable. Les efforts convergent vers un même dessein : (re)configurer un futur aujourd'hui "en jachère", donner une possibilité à un avenir extrêmement difficile voire impossible à dessiner. De toutes les dispositions nécessaires à un tel accomplissement, le courage est sans doute, comme l'indique le scientifique, la plus déterminante.

Le courage de se dresser, de dénoncer, de proposer. Et d'entreprendre. "Quelle qu'elle soit, la difficulté ne doit pas nous plonger dans la résignation ou le désespoir : elle intervient pour nous révéler à nous-mêmes notre capacité d'audace et d'inventivité." La prise de pouvoir de Donald Trump forme une paroi vertigineuse de difficultés ; l'addition des courages et des convictions réveillant le "réservoir d'humanité" en sommeil, peut la rendre franchissable. À condition de ne pas démissionner.

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Commentaires 5
à écrit le 18/02/2017 à 9:51
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Trump a été élu démocratiquement, qu'en déplaise aux bobos. Le politiquement correct qui nous a été servi par devant (alors que nos beaux politiques par devant étaient vraiment malfaisants par dernière) conduit à un rejet des politiques d'hier. Ri...

à écrit le 14/02/2017 à 21:47
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Oui, les loups sont désormais en France. Mais ce ne sont pourtant pas ceux que vous voulez voir... Ou alors je revendique le droit de choisir ma meute.

à écrit le 14/02/2017 à 15:28
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Est-ce que la réalité de la géopolitique ne va pas rattraper M.TRUMP ? ( le recul du déménagement de l'ambassade EU à Jérusalem? par ex) Dans la société digitale qui se met en place, est ce un sujet qui interpelle et mobilise encore, dans le monde...

à écrit le 14/02/2017 à 9:57
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Merci pour votre analyse Et merci de redire des évidences qu' il faut maintenant défendre pas à pas

à écrit le 14/02/2017 à 8:16
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Je pense que Denis Lafay ne comprend pas ce qui se passe, l'aspiration profonde des peuples à retrouver leur souveraineté et leur identité.

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