La religion, une chance pour l’entreprise ?

Jean-Paul Willaime, directeur d’études émérite à l’Ecole pratique des hautes études et sociologue des religions, dresse un constat : tant dans la vie interne d'une entreprise que dans ses engagements internationaux, l'ignorance des dimensions religieuses serait fort dommageable.

À première vue, cette question peut paraître non seulement incongrue, mais parfaitement illégitime. Incongrue, parce que l'on est plutôt enclin à percevoir la religion comme un facteur de tensions et de divisions, un facteur qui pourrait même nuire à la bonne marche de l'entreprise, à son image, voire à la réussite de ses affaires. Illégitime, car l'opinion dominante est que l'entreprise et la religion n'ont rien à voir, chacun étant invité à laisser ses options spirituelles, religieuses ou non, en dehors de son lieu de travail.

D'ailleurs, les entreprises privées, comme les institutions publiques, c'est d'abord la chance, à l'embauche, puis dans son activité professionnelle, de ne pas devoir décliner sa religion ou sa non-religion. L'appartenance ou la non-appartenance à une religion ne devant aucunement compter parmi les critères d'embauche ou d'accès à une formation (ce qui n'empêche pas que, dans les faits, l'on constate des discriminations à l'embauche à l'encontre de personnes musulmanes ou présumées telles).

Neutralité respectueuse

Si la liberté de manifester sa religion est permise au sein de l'entreprise, elle fait l'objet de diverses restrictions aisément compréhensibles. Mais si, dans le cadre d'inévitables et nécessaires limites, les entreprises manifestent une neutralité respectueuse des options religieuses de leurs personnels, ceux-ci se sentiront d'autant mieux intégrés dans l'entreprise qu'ils auront été reconnus dans leurs spécificités. Rien n'est en effet pire que le sentiment d'être discriminé parce que l'on incarne une altérité spirituelle par rapport à la religion majoritaire, laquelle a l'avantage de voir ses fêtes reconnues par le calendrier civil.

Lire aussi : La loi Travail et religions : un risque de confusion

Ainsi faciliter l'Aïd el-Kébir musulman ou le Yom Kippour juif pour les personnes concernées témoignera d'une neutralité respectueuse de la diversité religieuse. Christophe de Margerie, alors PDG de Total, expliquait, à l'occasion d'un colloque, combien il était indispensable pour une entreprise comme Total, présente dans 130 pays, de prendre en compte les dimensions religieuses des terrains très divers dans lesquels elle était impliquée. Selon lui, "les femmes et les hommes inspirés par leurs convictions religieuses" étaient "des partenaires indispensables et précieux", et il lui paraissait "légitime et souhaitable" d'entretenir des dialogues avec les organisations religieuses.

Tant dans la vie interne d'une entreprise que dans ses engagements internationaux, l'ignorance des dimensions religieuses serait à notre sens fort dommageable. Par contre, la pratique d'une laïcité d'intelligence et de dialogue, prenant en compte les dimensions religieuses des personnes et des terrains, tout en signifiant clairement les limites d'une telle prise en compte, ne peut qu'être bénéfice. À l'heure de la mondialisation et des migrations, l'entreprise doit de plus en plus intégrer le fait qu'elle mobilise des hommes et des femmes enracinés dans des cultures et traditions diverses. C'est aussi la chance de découvrir la variété des langages symboliques à travers lesquels se disent la condition humaine et le sens qu'y revêt le travail.

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Commentaire 1
à écrit le 26/01/2017 à 20:03
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Bonne façon de voir. Laïcité ne veut pas dire d'être contre les religions mais de ne pas faire de discrimination. N'exclure ni les sans religion ni les croyants. De plus un dialogue interreligieux fait dans de bonnes conditions peut être très valable...

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