L'intergénération, un modèle d'entreprise

L’intergénération existe au-delà de toutes nos différences de conviction, religieuse et plus largement idéologique. Elle est d’ailleurs souvent très forte au sein des communautés traditionnelles, et bien sûr avant toute chose au cœur de la famille. C’est ce vécu de chacun, au sein de sa propre famille, qui donne son caractère d’évidence et si facilement compréhensible à la notion d’intergénération. Mais quid de l’entreprise ? Par Serge Guérin, sociologue et consultant, professeur à l’Inseec.

Au sein de l'entreprise l'intergénération est un combat. Et une nécessité. C'est un combat non pas en raison de difficultés entre les âges mais surtout par l'éviction des plus âgés, institutionnalisée pendant plus de 30 ans par le développement des pré-retraites, et par la difficulté croissante d'une partie des jeunes, les moins qualifiés, à trouver un emploi. En outre les représentations restent très lourdes : vision négative des jeunes et forte déconsidération pour les seniors et dévalorisation de l'expérience.

Réciprocité dans l'échange

Reste que les évolutions sont là. La fracture numérique laisse place à une réciprocité. Les retraités sont aussi des mentors pour les plus jeunes.

Si à son introduction le numérique fut un élément de fracture, aujourd'hui, il permet au contraire d'inventer de nouveaux liens entre les générations. Sans parler d'une illusoire et peu souhaitable inversion de la chaîne de transmission où les plus jeunes apprendraient le monde et la vie aux anciens, on peut noter que certaines pratiques de réciprocité dans l'échange de savoir se sont mises en oeuvre. Ce n'est plus seulement l'ancien qui apprend au jeune, mais ce dernier qui accompagne son aîné.

Il y a une quinzaine d'années Louis Schweitzer, alors patron de Renault avait demandé à chaque membre du Comité exécutif de se former aux nouvelles technologies en s'appuyant sur un jeune qui ferait alors du tutorat inversé... L'écart de culture était néanmoins limité puisque, en dépit de leur âge, le jeune et le dirigeant partageaient le même diplôme ou la même école...

Depuis d'autres entreprises ont développé cette approche intergénérationnelle. Certaines évoquent la notion de reverse mentoring en faisant appel aux salariés juniors pour sensibiliser les dirigeants. Chez Engie, une démarche a été initiée en 2015 pour que 25 hauts dirigeants acceptent d'être "mentorés" par des jeunes salariés, avec la constitution de binômes déterminée en fonction des besoins de chaque cadre et du profil de chaque jeune mentor. Chez Axa, la sensibilisation au digital a été menée à grande échelle via des ateliers et des applications spécifiques. Plus de 1 000 salariés ont bénéficié de cette politique volontariste. De manière plus informelle, ce type de pratiques existe au quotidien dans de nombreuses entreprises, mais aussi dans les associations, et bien sûr au sein des familles, voire entre voisins.

Efficacité du mentorat

Mais le soutien des jeunes par les retraités dépasse le cadre strict de l'entreprise. Un exemple parmi des centaines d'autres : l'association Egee, constituée de retraités anciens cadres ou dirigeants d'entreprises, qui accompagne des jeunes désireux de créer leur entreprise, ou encore, comme avec Pôle emploi en Rhône-Alpes, qui accompagne des seniors chômeurs à retrouver un emploi. Leur compétence, leur réseau et les disponibilités en font des acteurs ultra-efficients au service de l'inclusion de jeunes comme de seniors. Et sur leur territoire, ils contribuent à la dynamique locale.

Ces systèmes de mentorat, ont largement fait leurs preuves, en particulier lorsqu'ils s'adressent à des publics, jeunes et moins jeunes, peu qualifiés. Des expériences, mobilisant des seniors pas nécessairement des retraités, sont développées depuis longtemps en France mais aussi ailleurs en Europe. En Belgique, "Duo for job" soutien l'inclusion sociale de jeunes issus de l'immigration via un mentorat s'appuyant sur des seniors en capacité non seulement d'aider au retour à l'emploi des jeunes par leur compétence et leur réseau professionnel mais aussi à  leur transmettre valeurs et codes cultuels occidentaux.

La force de l'intergénération réside dans cette relation à la fois symbolique et utile. La prise de conscience de notre interdépendance, et la satisfaction éprouvée grâce à ce lien entre générations, passe par cette réciprocité. Et cette réciprocité ne s'impose pas, mais elle se construit, au niveau des personnes, évidemment, mais aussi au niveau de la société.

*Serge Guérin, sociologue et consultant, Professeur à l'Inseec, où il dirige le MSc « Directeurs des établissements de santé », à Paris et qui devrait ouvrir à Lyon en septembre. Il vient de publier avec Pierre-Henri Tavoillot, "La guerre des générations aura-t-elle lieu ?" chez Calmann-Levy
Twitter : @Guerin_Serge

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