7 mai 2017, Marine Le Pen Présidente

Mai 2020. Emmanuel Macron dans le fauteuil d'édile de Lyon - comme l'illustre un reportage-fiction à découvrir dans le n°133 d'Acteurs de l'économie - La Tribune. La victoire de l'insubordonné social-réformiste, fruit d'un patient processus d'adoubement par Gérard Collomb et d'installation dans les réseaux locaux, notamment patronaux, constitue une respiration bienvenue dans un panorama domestique et planétaire funeste. Petit retour en arrière, avec pour origine la victoire de Marine Le Pen au scrutin présidentiel de 2017.

Le triomphe de Donald Trump aux Etats-Unis en novembre 2016 était annonciateur du tremblement de terre qui a frappé la France le 7 mai 2017. « Enfin » une femme à l'Elysée. Mais pas n'importe laquelle : Marine Le Pen a bénéficié d'un incroyable scénario, symptomatique de la déliquescence démocratique et de la folie irresponsable du cénacle politique.

Un mois après la fin de la primaire Les Républicains qu'il a spectaculairement remportée, François Fillon est éclaboussé par la révélation d'une affaire de corruption qui le condamne à renoncer. Au contraire d'Alain Juppé qui, le 27 novembre, avait annoncé sa retraite irrévocable, Nicolas Sarkozy peut rebondir sur ses déclarations non définitives une semaine plus tôt, et reprend le flambeau de la candidature de droite. Son ancrage sur les terres idéologiques du Front national s'avère désastreux : 17 % des électeurs se rallient à lui.

De son côté, Emmanuel Macron, tributaire d'un socle partisan insuffisant, se retrouve confiné à un résultat seulement honorable - 8 %. La candidature de François Hollande, a priori ubuesque au regard de son bilan, de son discrédit dans l'opinion, et d'un style inaudible d'une population en quête d'un fort leadership, « a suicidé » la primaire de la gauche républicaine : seuls 11 % des électeurs d'un scrutin présidentiel pulvérisant le record d'abstention (56 %) lui ont fait confiance lors du premier tour.

Et c'est ainsi qu'au - grand - soir du 23 avril, c'est à une alternative populiste inconcevable avant que la campagne ne s'enflamme quelques mois plus tôt à coups de déclarations, de promesses, de dénonciations hystériques, que font face les Français : la candidate du Front national opposée à Jean-Luc Mélenchon. Pour le résultat que l'on sait. La France semble abattue, mais elle paye là son arrogance et sa fatuité, sa sourde oreille aux nombreux signes avant-coureurs, « si certaine » que les scénarii les plus apocalyptiques ne pouvaient l'atteindre.

L'Allemagne, elle aussi brune

La France est dans le chaos idéologique, elle l'est également aux plans institutionnel et politique puisque au lendemain du scrutin législatif que le sursaut citoyen a commué en « barrage » de l'exécutif, le gouvernement dirigé par Florian Philippot fonctionne par ordonnance, dépossède ou radicalise les leviers décisionnels, et instaure un régime autoritaire « à la turque. » Pour cela, il peut s'appuyer sur l'indéfectible soutien des régimes positionnés sur une longue diagonale qui relie Washington à Moscou, en passant par Bruxelles, La Haye, Varsovie, Budapest, Vienne. Et Berlin, car en effet outre-Rhin un séisme tout aussi inouï s'est abattu le 19 mars 2018 avec la victoire du Parti National-démocrate (PND) au scrutin législatif anticipé.

A l'instar d'une grande partie de l'Europe, le Bundestag est brun. Impensable. Insensé. Invraisemblable. Stefan Zweig, auteur du double Appel aux Européens - La désintoxication morale de l'Europe en 1932 et, deux ans plus tard, L'unification de l'Europe, deux imparables diagnostics sur le dépérissement de la civilisation européenne -, imaginait-il que quatre-vingt ans plus tard sa lumineuse prophétie s'accomplirait une seconde fois ?

Le chaos

Chaos idéologique, institutionnel et politique, mais aussi socio-économique et géopolitique. L'Europe n'est donc plus : la partition de la Belgique est entérinée, l'espace Schengen est éradiqué - l'édification des barbelés entre le Mexique et les Etats-Unis a convaincu la France, l'Espagne et l'Italie d'autoriser la création de milices armées qui surveillent les frontières donnant sur la Méditerranée -, les Pays-Bas, la Pologne, la Grèce, l'Autriche et bien sûr la France ont abandonné l'euro.

La paupérisation du tissu entrepreneurial s'accélère, les professionnels bancaires et financiers sont dans le coma, le pouvoir d'achat décline, le démembrement du secteur public, copieusement privatisé, fragilise l'Etat de droit. Au-delà de l'Hexagone, l'abrogation des traités de libre-échange et l'instauration de barrières douanières aussi bien « humaines » qu'économiques ont précipité les grandes « nouvelles » puissances, Chine et Inde en tête, dans des difficultés sociales et, concomitamment, dans des logiques isolationnistes qui ont exacerbé comme jamais le sentiment nationaliste.

« Il faut remonter à la fin des années trente pour retrouver pareil magma », se remémorent les sociologues nonagénaires Edgar Morin et Alain Touraine, contemporains du fléau pré-nazi. Comment s'étonner alors de la grande proximité nucléaire entre la Chine et la Corée du nord, et des manœuvres militaires qui enflamment le Pacifique et encerclent le Japon ?

Une géopolitique internationale explosive

Le conseil de sécurité de l'ONU ne se réunit plus, l'ensemble des instances composant la gouvernance mondiale (OMS, Banque mondiale, FMI, Unesco, AIEA...) sont désormais exsangues. Partout dominent les logiques et les stratégies de la peur, du repli, de la stigmatisation, du rejet. Elles se répandent méthodiquement par capillarité, elles sédimentent dans les familles, les entreprises, les écoles, dans chaque espace de vie collectif. Bien sûr, des poches de résistance s'emploient à juguler le fléau. Mais que pèsent-elles face à la résignation, à la complicité implicite ou au soutien déterminé d'une majorité de la population « fière de composer une nation homogène » ?

Profitant d'une offre médiatique, syndicale, institutionnelle, intellectuelle tour à tour habilement ou brutalement vassalisée par une réglementation inspirée des méthodes d'Erdogan, les contre-pouvoirs s'étiolent. Et ainsi la chasse aux étrangers, aux vulnérables, aux « différents » et aux « profiteurs du système » rassemble de larges suffrages au sein d'une opinion publique qui d'ailleurs s'est définitivement désintéressée des génocides perpétrés sur les terrains de guerre livrés à eux-mêmes.

Comment s'étonner alors que Bachar El-Assad dirige une large alliance avec les chiites qui, du Liban à l'Iran en passant par l'Irak est parvenue à embastiller Israël sous une cloche de terreur et de massacres ?

L'Accord de Paris, un lointain souvenir

Enfin, que dire de l'état « environnemental » de la planète ? Le climato-scepticisme rayonne et dicte les politiques. L'Accord de Paris sur le réchauffement climatique n'est qu'un lointain souvenir. Donald Trump et Marine Le Pen ont fait voler en éclats les contingences, et ont constitutionnalisé le « droit inaliénable » de forer, de construire, de bétonner, de commercer, de consommer, de transporter, de polluer - même la Chine, en réaction à ce retournement et elle aussi sous la pression de sa population et des lobbies industriels, s'est désolidarisée de ses engagements originels.

De quoi, espèrent par ailleurs ces gouvernants, apaiser la frustration qui ne cesse d'enfler parmi ceux qui les ont portés au pouvoir sur la foi de promesses démagogiques impossibles à accomplir. Le contentement individuel et immédiat s'est imposé au souci altruiste et long-termiste. Et sous le joug de politiques qui au mieux s'en désintéressent ou la découragent au pire l'atrophient et la laminent, la « culture » - de la connaissance, de la création artistique - est l'objet de violentes attaques. Ainsi, l'humanité se déshumanise, la civilisation se décivilise.

Emmanuel Macron à la mairie de Lyon ? Une simple fiction. Nettement plus amusante mais aussi moins probable que celle de Marine Le Pen à l'Elysée. Personne n'imaginait le Brexit le 23 juin 2016. Personne n'imaginait le triomphe de Donald Trump le 8 novembre 2016. Quand donc cesserons-nous de croire que le 7 mai 2017 une victoire du Front national est inimaginable ?

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Commentaires 6
à écrit le 29/11/2016 à 1:23
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Intéressante fiction bien fichue. Sauf le passage sur la victoire du NPD allemand. A la limite mettez l'AFD mais même là c'est peu crédible.

à écrit le 28/11/2016 à 11:19
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Au lendemain de la primaire à droite et de la victoire de F.Fillon, un story telling de politique fiction qui scotche et interpelle... A nos élites,intellectuels, journalistes et consorts : A force de tirer sur la corde et de prendre les électeurs ...

à écrit le 28/11/2016 à 9:09
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Bonjour, votre scenario de politique fiction est tout à fait credible. La montée de Trump ou de Le Pen, ou le Brexit, ne s'explique que par une chose : les classes populaires ont besoin d'ordre et de securité dans tous les domaines, n'en peuvent plus...

à écrit le 25/11/2016 à 19:04
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Hourrah!!... Vive la F.N. et la France LIBRE!!!...

à écrit le 25/11/2016 à 18:50
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Monsieur, votre fiction me glace et j'espère que jamais elle ne verra le jour. L'afflux aux primaires de la droite montre déjà que les Français, de droite et de gauche, se mobilisent pour parer la montée de l'extrême droite. Justement parce qu'ils pe...

à écrit le 25/11/2016 à 18:07
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Macron à la mairie de Lyon dans ces conditions serait alors vraiment un épiphénomène...

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