Quelle condition urbaine pour demain ?

Hervé Le Bras, démographe, chercheur émérite à l’Institut national d’études démographiques, et professeur à l'École des hautes études en sciences sociales, invite au pessimisme actif afin de comprendre quelle sera la place de l'Homme dans les villes de demain.

Pour cerner la place de l'Homme dans la ville du futur, deux approches sont possibles. L'une, utopiste dessine les contours de la ville idéale, la cité platonicienne, celle des abeilles, la cité du soleil, voire, plus près de nous, le plan de Paris proposé par Voisin et Le Corbusier. L'autre approche est empirique. Elle s'efforce de combiner et de prolonger les dynamiques actuelles.

Le premier cas prédispose à l'optimisme car il offre un objectif positif. Le second cas incite au pessimisme actif car il invite à corriger des évolutions déplaisantes. Notre métier de démographe, d'historien et de statisticien, nous pousse dans la seconde voie. En l'adoptant, quatre tendances urbaines persistantes se dégagent au cours des dernières décennies dans le monde entier.

Ségrégations

  • Premièrement, l'urbanisation définitive du monde. La condition humaine devient la condition urbaine. Autour de l'année 2000, la population urbaine de la terre est devenue majoritaire. Le mouvement s'est poursuivi au point que plus de 90 % des habitants des pays développés et de certains pays émergents comme le Brésil résident en ville ou du moins en agglomération. La croissance des mégacités est la plus rapide : Lagos, Mexico, Shanghaï, Sao Paulo, Kinshasa, dépassent déjà 15 millions d'habitants.

  • Deuxièmement, la ségrégation sociale. Dans les villes anciennes, toutes les couches sociales coexistaient. Dans la ville classique, la ségrégation était verticale : en bas et à l'étage noble, les riches, plus haut, les pauvres. Puis à partir du XXe siècle, les pauvres et maintenant les classes moyennes ont été repoussés vers la périphérie. Le mouvement s'amplifie encore. Paris intramuros compte 24 % de cadres et de professions libérales. Elles ne sont que 3 % dans les zones rurales lointaines.

Chevauchement et contradiction

  • Troisièmement, la ségrégation des âges. Les grandes villes concentrent les jeunes, en général célibataires. 12 % des habitants de Rennes, de Grenoble, de Montpellier sont âgés de 20 à 24 ans. 2,5 % seulement de ceux de la Creuse ou du Lot. Corrélativement, les zones rurales vieillissent. Dans les zones péri-urbaines, habitent les personnes d'âge intermédiaire avec leurs enfants, souvent dans des pavillons.

  • Enfin, la ségrégation familiale : à la ségrégation des âges s'y ajoutent, la localisation des familles monoparentales au voisinage des centres villes.

Ces tendances de long terme se chevauchent et se contredisent souvent. Ainsi dans les grandes villes, les riches des professions supérieures voisinent avec les jeunes, la classe d'âge la plus pauvre, et les familles monoparentales dont 40 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté.

Elles sont renforcées par la montée des inégalités et le recul des États providence sous les coups de boutoir du libéralisme. Allons-nous vers les débris urbains dispersés sur d'immenses territoires, que prophétisait Lewis Mumford, vers des cités duales aux territoires séparés pour riches et pour pauvres qu'annonce Manuel Castells, vers les global cities dynamiques de Sasskia Sassen, entourées de villes moyennes déprimées ? Espérons seulement que la condition urbaine ne soit pas à l'image de la condition humaine de Malraux.

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