L'uberisation, ni ange ni démon

Chiffon rouge pour certains, modèle à suivre pour d'autres, ces perceptions du phénomène d'ubérisation échouent à décrire la complexité de la rencontre entre innovations techno-économiques, pratiques sociales et action publique. Par Valérie Peugeot, prospectiviste au sein du laboratoire de sciences sociales et humaines d'Orange Labs et Présidente de l'association Vecam

La confusion qui entoure le terme "uberisation" explique son succès. Chiffon rouge pour certains, il évoque la capacité d'une toute jeune entreprise à bousculer, voire à désintermédier, les acteurs traditionnels d'un secteur, en mobilisant des innovations numériques et des formes grises d'organisation du travail, et une capacité à externaliser vers des particuliers l'investissement capitalistique, méthodes dénoncées comme relevant d'une concurrence déloyale.

Modèle à suivre pour d'autres, il renvoie à la créativité des startups qui convoquent les technologies pour réinventer des services dans des secteurs assoupis. Ceci pour le plus grand bonheur des utilisateurs.

Inadéquation des services face aux attentes

L'une et l'autre version échouent à décrire la complexité de la rencontre entre innovations techno-économiques, pratiques sociales et action publique. Observons le phénomène du point de vue de l'innovation : il n'existe pas de fatalité qui voudrait que cette dernière ne vienne que de l'extérieur d'un secteur. La consommation collaborative est née hors des grands acteurs qu'elle concurrence - hôtellerie, mobilité, transactions de seconde main.

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Cela s'explique certes par une difficulté de ces secteurs à intégrer le numérique dans leur métier et par des pratiques de prix rigides, mais aussi par une incompréhension de l'inadéquation de leurs services avec les attentes d'un nombre croissant d'individus : ne plus être propriétaire d'une voiture mais pouvoir la louer ; voyager hors des offres conformistes, en réservant en ligne au jour le jour ; acheter et revendre entre particuliers pour donner une seconde vie aux objets tout en générant un revenu...

Déjà les acteurs traditionnels s'organisent pour adopter ces innovations. Même si des pure players du numérique sont aux avant-postes, le secteur automobile travaille à la voiture électrique et à la voiture sans chauffeur ; les banques traditionnelles proposent des versions dématérialisées de leurs services ; et les taxis, soutenus par l'acteur public, vont pouvoir pratiquer la maraude électronique en étant géolocalisés, à l'image des VTC.

Comportements

Tentons maintenant de répondre à la question de l'uberisation généralisée du point de vue de l'emploi, sujet qui cristallise le plus de tensions. Nous devons d'abord nous prémunir des discours prédictifs qui mobilisent l'uberisation comme signe avant-coureur d'une sortie du système salarial pour aller vers une généralisation du travail indépendant.

Certes la massification des services collaboratifs peut se lire comme le miroir des dysfonctionnements des marchés de l'emploi. Mais la consommation collaborative révèle aussi l'appétit des individus pour des changements de leurs comportements de consommateurs. Ces comportements brouillent les frontières : la vie privée baisse ses barrières - je fais rentrer des inconnus dans ma maison, dans ma voiture ; je suis tour à tour consommateur et producteur du service ; j'alterne transactions marchandes (Le Bon Coin, Blablacar) et non marchandes (WarmShowers, Greeters). Ces activités interstitielles participent à renouveler les pratiques sociales : nouvelles sociabilités improbables et éphémères, consommations de proximité et de refus de l'obsolescence, occupation dans des périodes de sous-emploi ou d'isolement.

On tend aujourd'hui à réduire le dilemme des acteurs publics confrontés à l'uberisation à une équation simple : encadrer ces acteurs disruptifs pour qu'ils n'impactent pas trop les secteurs qu'ils viennent concurrencer, sans tuer l'innovation. Mais il est un dilemme plus subtil : éviter que ces innovations ne soient le prétexte à détricoter notre modèle social construit autour du salariat, quitte à limiter le volume d'activité médiée par ces plateformes ou à requalifier des liens de subordination qui s'exercent hors du cadre salarial ; et laisser s'épanouir des formes de consommation plus complexes et plus riches en valeur sociale que celles héritées du XXe siècle.

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Commentaire 1
à écrit le 16/11/2016 à 15:31
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L'uberisation c'est quoi ? Le summum de l'optimisation fiscale patronale ? L'art de faire travailler des gens, de taxer leur travail, et de ne pas les employer. Pour ma part, le seul organisme ayant le droit de proposer ce type de service, et d'en ti...

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