Forum Cnam La Tribune : une matière pour espérer, des armes pour résister

Un succès public au-delà des espérances, mais surtout une "production" intellectuelle et émotionnelle exceptionnelle : les huit débats composant la première édition du forum Cnam La Tribune : Tout changer ! auront constitué un formidable gisement d'espérances, et, concomitamment au "séisme" américain, placent chacun face à ses responsabilités : à quel "monde" aspire-t-on ? Et qu'est-on prêt à "transformer" au fond de soi-même pour l'accomplir ? Il y a urgence à répondre. Car après ceux outre-Manche (Brexit) et outre-Atlantique, un tremblement de terre du même ordre pourrait affecter la France le 7 mai prochain.

Ils étaient 1 200 spectateurs à s'être inscrits à cette journée de dialogues et de débats qui se sera révélée d'une exceptionnelle densité, aussi bien intellectuelle qu'émotionnelle. Elle avait débuté en beauté (avec Pascal Picq, Jean-Louis Etienne, et Nicolas Baverez) et s'est conclue en feu d'artifice autour d'Edgar Morin.

Et bien sûr, le tremblement de terre de l'élection américaine aura constitué une toile de fond extrêmement singulière aux huit tables rondes. Qu'il s'agisse de démocratie, d'éducation, d'innovation, de travail, de mathématiques, d'individualité, tout ce qui fut entendu, tout ce qui fut offert à apprendre ou à bousculer, était "aussi" plein de réconfort et d'espérance en ce jour funeste outre-Atlantique.

"J'ai tous les âges en moi"

Le débat final, orchestré autour d'Edgar Morin répondant aux interrogations de trois entrepreneurs (Léna Geitner, Arnaud Mourot, Kevin Allec), peut constituer une belle illustration du ton général de cette journée. De quoi était-il question ? De jeunesse. Qu'est-ce qu'être jeune en 2016 ? Ou plutôt : qu'est-ce qu'être une jeune personne ?

Dans quelques semaines, Acteurs de l'économie - La Tribune publie un livre majeur, titré Révolution[s] et préfacé par Edgar. 630 pages de mise en perspective de dix années d'entretiens, conduits auprès d'une centaine de sociologues, de philosophes, d'économistes, d'historiens, d'artistes, de scientifiques, et qui constituent un véritable programme politique, au sens bien sûr de la res publica, pour qui veut entreprendre sa vie dans la conscience, la considération, l'épanouissement des autres vies, des vies de tous les autres - y compris végétales et animales qui composent la biodiversité.

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Parmi cette centaine de penseurs, figure le sociologue Serge Guérin. A l'évocation des attributs, des fragilités, de l'avenir de la jeunesse, cette jeunesse si antagonique, tour à tour désabusée et lumineuse, sacrifiée mais inventive, vassalisée aux diktats technologiques, consuméristes, immédiats mais déterminée dans ses convictions, en panne mais aussi en quête d'idéaux, séduite par les funestes chimères des formations politiques europhobes, populistes et nationalistes, mais capable de les combattre avec force, ce spécialiste de l'intergénérationnel y confie :

"Edgar Morin, Alain Touraine (dont l'échange avec Cynthia Fleury ce 9 novembre fut d'une grande intensité), Claude Alphandéry, pour ne parler que d'eux, mais aussi les innombrables anonymes, octo- ou nonagénaires, qui font preuve de rébellion, de combativité, d'espérance, font honneur à ce que le "père" de la complexité (Edgar Morin, donc) proclamait il y a peu : "J'ai tous les âges en moi."

La vieillesse, un gain

Oui, Serge Guérin a bien raison, Edgar, Alain, Claude ont juxtaposé chaque âge, c'est-à-dire qu'ils ont aggloméré les expériences, les aventures, les engagements de chaque instant, de chaque période de leur vie. Ils ont modelé leur conscience et leurs actes, certains comme Edgar et Claude hier dans la résistance au nazisme, aujourd'hui tous trois dans le refus d'accepter les normes, les injustices, l'intolérance, l'inhumanité, le dérèglement de l'environnement. Ils continuent de vivre dans la prise de risque "gratuite", autant physique qu'intellectuelle, quand rien ne les y oblige. Ils témoignent que la vieillesse n'est pas seulement une perte, mais continue d'être aussi un gain.

Tous trois sont l'exemple qu'être jeune, ou plutôt être une jeune personne, n'est pas un âge mais un état d'esprit, une foi, qu'on nourrit de principes, de convictions, de désobéissance, de luttes, de transgression, mais aussi, osons le mot : de valeurs, qui transcendent toutes les règles.

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Mieux que personne, ils savent qu'être ouvert au monde, accueillant à tous les mondes, colore ce qui compose son propre monde. Ils savent qu'entreprendre sa vie - autrement parce qu'on pense, crée et décide autrement -, c'est oser, initier, partager, c'est assumer, rebondir, imaginer, essaimer, c'est être attentif, sans angélisme, aux principes de fraternité et de bienveillance, d'équité et de subsidiarité, de dignité et d'altérités - au creux desquelles se nichent les plus beaux trésors.

C'est être, là aussi, un résistant, c'est être audacieux et insubordonné, subversif et libre, c'est bâtir avec sens et utilité, selon le principe, supérieur, de réciprocité propre à Axel Kahn : "Je suis parce que vous êtes, vous êtes parce que je suis".

Déjouer la vulgate

A ces conditions, il est possible d'inoculer de l'humanité dans la création, de l'humanité dans le progrès, de l'humanité dans l'humain. Et donc d'infuser et de diffuser de l'humanité dans l'humanité. Harmoniser la nécessité d'humanité intérieure et la nécessité d'humanité collective, est donc bel et bien de nature à donner un sens, du sens à l'existence. A former le sens de l'existence.

Les dizaines de milliers de jeunes qui ont fait le choix d'exercer le service civique en sont un bel exemple : contrairement à la vulgate qui aime à la déconsidérer, la reléguer, la discréditer, cette jeunesse incarnée par Edgar Morin concentre un formidable réservoir d'espérance, un formidable gisement d'actes concrets qui participent à réenchanter l'avenir de la société.

Et c'est dans cette jeunesse, mais plus largement auprès des jeunes personnes de tous les âges, qu'il existe des raisons de croire en l'avènement d'une "nouvelle civilisation, née d'une profonde réforme intellectuelle et morale" qu'il détaille dans la préface de Révolution[s]. Oui, la jeunesse est appelée à être la cheville ouvrière de cette métamorphose.

En chemin d'autonomie

"L'époque est formidable", insistait en plénière d'ouverture Pascal Picq, car elle est celle de tous les possibles. Elle se prête, comme jamais dans l'histoire de l'humanité, à ce que chaque individu décide, au fond de lui et avec les autres, à lui donner une consistance, une justification, une finalité.

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A condition d'engager une révolution des consciences pour que tout individu devienne un être en chemin d'autonomie, un être affranchi et accompli, un être renouvelé. Un être sujet. Pour y parvenir, faut-il tout changer ? Il n'y a pas de transformation du monde sans transformation de soi, et l'avènement de la "nouvelle civilisation" espérée par Edgar est à ce prix. Transformer le monde et pour cela en premier lieu son monde exige au préalable une prise de conscience entière, honnête de ce que l'on est, et de se placer en disposition d'être remué, d'accueillir l'inédit, de se mettre intérieurement en danger, de faire naître des conflits intérieurs, de tomber le masque. De rompre le silence pour sortir du silence. Bref, de se mettre à nu. Porter la transformation au-dehors commande d'abord de la déclencher en dedans.

Faire front face au Front

Le séisme qui s'est abattu le 8 novembre aux Etats-Unis, ce séisme dont personne ne mesure la magnitude pour les prochaines années ni n'évalue les répercussions pour toute la planète vivante et pour toute civilisation en devenir, fournit une raison de plus d'être, tous, des combattants, des innovateurs, de porter avec force cette transformation de nous-mêmes. Et il y a urgence.

Extrême urgence. Et d'abord en France. Personne n'imaginait sérieusement le Brexit le 23 juin 2016. Personne n'imaginait "tout court" le triomphe de Donald Trump cinq mois plus tard. Quand donc cesserons-nous de croire que le 7 mai 2017 une victoire du Front national est inimaginable ? C'est, quelque part, pour faire barrage à cette aussi redoutable que possible hypothèse, qu'aura servi, bien sûr très modestement, la première édition de Tout changer ! Puisse la suivante ne pas être celle de la résistance.

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