(Br) exit la démocratie participative ? Coup de gueule d'un accro du référendum

Face au processus de vote du Brexit, le débat bipolaire, la proto-manie sondagière, la disqualification des experts et une rhétorique creuse ont alimenté l'échec de cette consultation démocratique, estime Frank Escoubès, Co-fondateur bluenove. Pour lui, cette mascarade démocratique se poursuivra tant que quatre grands principes ne seront pas respectés : un principe d'information, un principe d'argumentation, un principe de conviction et un principe de délégation.

Que s'est-il donc passé pour en arriver là ? Difficile au lendemain du Brexit de ne pas évoquer l'anti-sagesse des foules, après ce "perfect storm" qui vient de chambouler l'ordre européen. Et pourtant, les 4 conditions d'échec étaient bel et bien réunies !

Quatre fiascos

 Fiasco n°1 : Un débat "bipolaire", comme on les aime dans les agora politiques, et comme on les déteste dans les enceintes réellement démocratiques.

Pourquoi ? Parce que les débats bipolaires sont les plus tributaires des forces de lobbying qui s'opposent. Et dans le cas présent, force est de constater que le message positif s'est dissipé dans les vapeurs des diatribes médiatiques.

La faute à qui ? Aux défenseurs du Remain, dont la sémantique ne fut pas à la hauteur symbolique de celle maniée par les partisans du Leave. A l'Union européenne, qui n'a pas défendu son projet avec la verve attendue. Et à l'absence de cartographie claire des avantages et inconvénients de chacune des deux options.

Fiasco n°2 : La persistance de cette proto-manie sondagière, dont on n'arrête pas de dire pourtant qu'elle n'est pas fiable. N'en jetez plus : entre les sondés plus nombreux parmi les partisans du Remain que du Leave, le décalage structurel entre les intentions de vote et le vote réel, les évolutions de dernière minute des fameux indécis et le caractère imprévisible du passage effectif aux urnes le jour J, tout concourt à créer... des "bombes à retournement".

Car les sondages au cours d'un débat sont assimilables à du trafic d'influence : ils conditionnent le libre arbitre. Il faut s'en préserver jusqu'à l'issue des délibérations.

 Fiasco n°3 : La disqualification des experts, associés probablement à la bête technocratique que l'on veut achever. On ne le dira jamais assez : un débat sans dires d'experts est un aspirateur à idées reçues. Cessons de laisser l'exclusive médiatique à la logorrhée des excités politiques, il s'agit là de conflits d'intérêts en marche.

Identifions a contrario deux populations de facilitateurs : des experts (en grand nombre pour éviter les prises d'otages dogmatiques) et des vulgarisateurs-interprètes (pour traduire au bénéfice de tous les citoyens les éclairages de certains observateurs éclairés).

Et laissons alors le débat s'instaurer. Car les citoyens n'ont pas toujours raison. Ils ont raison collectivement... s'ils sont correctement informés.

Fiasco n°4 : Une rhétorique creuse mixant allègrement bouc émissaire (l'UE), euphémismes (cachez ce terme xénophobie que l'on ne saurait voir), et concepts techniques (voir le nombre de consultations Google sur le terme "UE" au soir et au lendemain de l'élection).

Une règle cardinale de l'intelligence collective a ainsi été bafouée : s'assurer avant toute délibération de la compréhension partagée des concepts sous-jacents. Ce que nos amis britanniques appellent le "sense making" (développer un sens commun), et qu'ils semblent avoir transformé, pardon pour le parallèle, en "non-sense building".

 Réinventer les principes de la démocratie participative

Dans un article récent, j'appelais de mes vœux une petite révolution de la conception même de démocratie participative autour de quatre grands principes :

  • Un principe d'information : Différentes solutions numériques (simulateurs, comparateurs, etc.) peuvent aujourd'hui apporter toute la transparence requise pour permettre aux citoyens d'être le plus efficacement informés -

Où étaient-elles pour ce référendum historique?

  • Un principe d'argumentation : les votes citoyens doivent être conditionnés à l'organisation de débats (physiques et en ligne) instruits, argumentés et contradictoires, notamment sur format digital pour permettre des échanges à distance et dans la durée.

Ont-ils été vraiment tenus ?

  • Un principe de conviction : Des communautés d'experts doivent être constituées, en charge d'éclairer les citoyens sur les éléments clés à intégrer dans leurs réflexions.

Ont-ils eu voix au chapitre ?

  • Un principe de délégation : En référence aux principes de la « liquid democracy », les citoyens doivent désigner des représentants parmi leurs pairs, potentiellement différents selon les sujets, afin d'organiser et de coordonner les débats.

Y a-t-on même pensé ?

Je prétends que si chacun de ces 4 grands principes avait été respecté, l'issue du référendum aurait été différente. Et je prétends que tant que l'on organisera des référendums comme on le faisait au siècle dernier, on générera l'absurdité des "regrets" du lendemain (une première de l'Histoire) de la part de ces pro-Brexit qui s'affichent aujourd'hui comme floués, sans même la peur du ridicule.

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Commentaire 1
à écrit le 28/06/2016 à 14:55
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conclusion: ne plus faire de référendum... sinon il faudra attendre le 22ème pour espérer élever le débat...

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