Benzema évincé : le vrai procès est ailleurs

Evincé de l'équipe de France pour l'Euro, Karim Benzema est-il victime d'un injuste procès ? Peut-être. Peut-être pas. Mais surtout peu importe. Car le véritable procès à instruire est ailleurs. C'est celui du système marchand du football, formidable et immorale "machine à fric", à décérébrer et à vassaliser.

Enfin. Oui, enfin les instances du football français, sélectionneur en tête, ont tranché. L'avant-centre du Real Madrid est écarté de l'équipe de France pour l'Euro, officiellement au nom d'une "unité" et d'un devoir d'"exemplarité" que le natif de Lyon n'honorait pas.

Bien sûr, on pourra toujours contester - non sans arguments recevables - une décision prise avant la fin de l'instruction et d'un début de semblant de peine, et alors même que le handballeur vedette Nikola Karabatic, condamné en première instance en juillet 2015 pour escroquerie et complicité d'escroquerie dans l'affaire des paris truqués, continue de revêtir le maillot de l'équipe de France. Pourquoi "deux poids deux mesures" ?

Contexte social et ethnique défavorable

Le verdict du "procès" intenté à Karim Benzema, auquel les "pressions" exercées au plus haut sommet de l'État n'auront bien sûr pas été étrangères, résulte d'un magma d'arguments plus ou moins fondés, plus ou moins fantasmés, plus ou moins endogènes.

Une majorité de Français hostile à la réintégration du joueur, une attitude personnelle jugée au mieux distante, au pire arrogante, les images d'un hymne national ostensiblement tu imprimées dans les mémoires des télespectateurs, une antipathie générale que le sociologue Stéphane Beaud met justement en perspective d'un climat et d'un contexte de "tensions sociales et ethniques qui, sur fond d'attentats terroristes et de montée concomitante du racisme, traversent la société française avec la "jeunesse des banlieues" au banc des accusés.

Aux yeux du grand public, Benzema incarne à la fois la réussite économique, l'opulence financière, comme certaines vedettes de rap, la sous-culture juvénile des cités par l'affichage d'une masculinité agressive, une mise en scène du virilisme et du machisme, une opposition structurelle aux institutions." (L'Équipe, 14 avril).

Les « contre-exemples » Zidane et Karabatic

Bref, là où son apparente candeur, son timide sourire, ses engagements philanthropiques, l'adoubement dont les élites (médiatiques, industrielles, politiques) l'assurent, la discrétion de sa réussite matérielle mais aussi ses "signes visibles" d'intégration - "identité" et origine de son épouse Véronique, prénoms de ses quatre enfants, etc. - ont sanctuarisé "l'icône" Zidane même lorsqu'elle fit perdre une finale de Coupe du monde, Karim Benzema, lui, serait finalement victime d'un « délit de faciès ».

Un grave opprobre qui d'ailleurs crédite les arguments de ses défenseurs, outrés d'une condamnation par définition subjective quand celle, bien réelle, de Karabatic n'est escortée d'aucune sanction en équipe de France. Certes. Mais ce dernier a eu le bon goût d'être né "blanc" ; d'origine serbo-croate, il incarne une intégration "réussie" ; il "sait" habilement se rendre sympathique ; et il exerce dans un sport qui nourrit copieusement ses stars mais sans commune mesure avec le monde du football.

Une utilité pour la société inversement proportionnelle aux gains

Mais en réalité, le "cas" Benzema est-il important ? Et qui s'en soucie véritablement ? Qui donc ira pleurer sur le sort d'un joueur qui excelle en Espagne mais peine sous le maillot bleu, qui n'a jamais manifesté la moindre empathie devant les caméras ou les supporters, qui a perçu 15,3 millions d'euros de revenus en 2015 ? Personne ou presque.

Car le vrai débat est ailleurs, le véritable enjeu dépasse totalement le cas d'un joueur dont finalement l'utilité pour la société et la justification des gains sont inversement proportionnelles à la fortune que le système marchand, mondialisé et corrompu du football lui a permis d'amasser.

Que faire de 15 millions d'euros ?

15 millions d'euros - soit 41 000 euros par jour - pour taper dans un ballon, c'est, faut-il le rappeler, l'équivalent des salaires cumulés de 150 chirurgiens hospitaliers ou de 400 chercheurs, de 700 infirmières, enseignants ou éducateurs, etc., bref, de ces professions qui "servent" les besoins fondamentaux de la collectivité humaine et ciments du bien commun, de l'équité, du fameux (et trop galvaudé) vivre-ensemble  : le soin, la recherche, la formation, l'éducation.

15 millions d'euros permettraient aussi, dans la seule ville de Lyon - où Karim Benzema est né, a grandi, fut formé et commença de briller à l'Olympique Lyonnais -, de sauver définitivement le fabuleux musée des Tissus honteusement méprisé par les instances locales, mais aussi de dynamiser l'offre artistique, y compris auprès d'un public socialement en panne et auprès d'une jeunesse assommée par la dictature matérialiste et consumériste, décérébrée par l'injonction technologiste et de l'immédiateté. La liste des comparaisons est sans fin, qui illustre l'immoralité absolue d'un système dont le scandale de la Fifa n'est que la manifestation la plus éclatante.

Public chloroformé et instrumentalisé

Et tout ça dans le silence, dans l'acceptation sourde et consentie, comme si ledit système de cette "machine à fric"» à laquelle trop d'acteurs sont ligotés ou asservis dans une relation collusive - en premier lieu les médias, prêts à consacrer en Grande-Bretagne 6,9 milliards d'euros de droits de retransmission pour la période 2016-2020 ! -, était bien trop puissant. Irréductible. Irréfragable.

Le rouleau-compresseur semble bel et bien indestructible, comme en témoignent la cynique fascination que le monde du football, ses joueurs pour la plupart infantiles, abrutis, vulgaires, dopés, analphabètes, enfermés sous leur casque audio et rivés sur leur console de jeu au moindre instant de repos, exercent sur une grande partie de la population, mais aussi la cécité de ce même public, instrumentalisé, chloroformé, pour l'outrageant excès mercantile.

De quels prodigieux attributs ce système, marketing, financier et spéculatif, est-il parvenu à s'armer pour endormir ou assujettir les plus vulnérables de la société et pourtant en théorie les plus enclins à le combattre ? Pour pervertir à ce point ce qui n'est que sport ? Pour continuer de faire accepter la violence, le racisme et les discriminations les plus insupportables ? Pour que l'indicible continue d'être toléré voire même encensé ?

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Commentaires 6
à écrit le 28/05/2016 à 10:53
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Souvent pour avoir des idées claires il est sage de revenir au début du commencement : L'origine d'un club de sport et sa Ville. Au départ il y a ,une ville qui organise et aide des jeunes à former une équipe de foot,il y a un peu, mais très peu...

à écrit le 15/04/2016 à 18:26
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Bravo pour cette tribune : des propos que l'on n'entend pas ailleurs et c'est bien dommage . Panem et circences ...

à écrit le 15/04/2016 à 16:38
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J'aime bien le joueur. Il s'est néanmoins complétement égaré avec ses fréquentations (Valbuena est aussi idiot que lui pour avoir filmé ses ébats), et la sanction est normale pour lui comme pour très probablement Valbuena. Le fait d'être beur n'a pas...

à écrit le 15/04/2016 à 10:18
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Ce que je retiens surtout c'est 2 poids 2 mesures !

à écrit le 15/04/2016 à 8:58
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"tensions sociales et ethniques qui, sur fond d'attentats terroristes et de montée concomitante du racisme, traversent la société française avec la "jeunesse des banlieues" au banc des accusés." Chapeau le sociologue de l'Equipe ! J'ai entendu la mêm...

le 18/04/2016 à 10:56
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"Le football étant en principe un sport d'équipe, il ne me parait pas aberrant de sortir un joueur qui semblait appuyer une tentative de chantage au sein même de l'équipe." Certes, mais c'est le rôle de l'entraineur. A partir du moment où même un me...

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