Oui, Mgr Philippe Barbarin doit prendre ses responsabilités

Faut-il révéler l'identité de "Pierre", ce "haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur" qui se déclare victime d'actes pédophiles perpétrés par un prêtre lyonnais et qui rend le cardinal Philippe Barbarin responsable d'inaction, en toute connaissance de cause, à l'endroit du présumé prédateur ? D'aucuns, dans l'entourage du Primat des Gaules, pourraient se laisser tenter. À l'instar de celle d'Acteurs de l'économie, les rédactions qui connaissent l'identité de "Pierre" s'y refusent catégoriquement, au nom des même raisons éthiques qui doivent amener l'Archevêque de Lyon à "prendre ses responsabilités". "Prendre ses responsabilités" non dans le sens des exhortations à la démission proférées par le Premier ministre et sa secrétaire d’État en charge des victimes, mais dans celui que lui dicte la "vérité" à laquelle sa triple conscience d'Homme, de disciple de Dieu, et de dépositaire d'une morale théoriquement inaliénable, le confronte.

La défense du cardinal Philippe Barbarin menacerait de dévoiler "son" identité. "Son", c'est celle de "Pierre", ce haut fonctionnaire aujourd'hui en poste au ministère de l'Intérieur et qui accuse le prêtre d'une paroisse lyonnaise, Jérôme Billioud, de l'avoir agressé sexuellement au début des années 1990. La plainte qu'il déposa en 2009 fut classée sans suite, délai de prescription oblige - "grâce à Dieu", osa, dans une formulation ubuesque, l'Archevêque de Lyon le 15 mars -, mais il s'en expliqua de vive voix auprès de ce dernier qu'il rend coupable de ne pas avoir agi de manière proportionnée et adéquate auprès du curé incriminé.

C'est d'ailleurs cette même "inaction" à l'égard des autres prêtres coupables d'actes pédophiles ou d'agressions sexuelles et maintenus dans des fonctions les mettant en relation avec le public, qui vaut à Mgr Barbarin d'être anathématisé.

Ingérence

L'identité de "Pierre", nous sommes plusieurs rédactions à la connaître depuis près d'une semaine. La divulguer ? Bien sûr que la tentation fut grande, bien sûr que le débat fut rude. Non pour le "scoop" mais parce que cette identité permet de mieux "comprendre" l'origine et la motivation des "sorties médiatiques" du Premier ministre Manuel Valls puis de sa secrétaire d'Etat chargée de l'aide aux victimes, Juliette Méadel - heureuse de trouver là matière à "exister" dans un périmètre de compétences compassionnelles qui continue de prêter aux railleries - ; le premier exhorta le Primat des Gaules à "prendre ses responsabilités", la seconde le somma "évidemment de démissionner."

Lire aussi : [Enquête] Les visages contrastés du cardinal Philippe Barbarin

Ingérence, immixtion : ces déclarations insensées, irrespectueuses du principe fondateur de séparation de l'Église et de l'État et surtout de l'indépendance de la justice, trouvent en effet leur origine dans la grande proximité de "Pierre" avec le sommet de l'État.

La parole à la justice

Et à ce titre, la tribune publiée dans Le Figaro du 19 mars - et co-signée notamment par l'écrivain Denis Tillinac et le recteur de l'Université catholique de Lyon Thierry Magnin - a raison de rappeler que :

"La parole étant à la justice", "les déclarations de personnalités politiques de haut niveau préjugeant des résultats des enquêtes ou prétendant dicter conduite au cardinal reflètent des a priori inavoués, qui, au-delà de la personne du cardinal, ont sans doute pour objet un monde catholique jugé trop peu malléable. (...) Le scandale pour l'heure n'est pas uniquement la révélation d'actes de pédophilie après des décennies de refoulement, mais aussi l'opprobre que l'on s'empresse de jeter sans vergogne sur un homme qui entend ne rien cacher, ni esquiver et qui a dit sa confiance en la justice de son pays."

Injustifiable

Complot, machination "maçonnique", règlement de compte à l'endroit d'un des hiérarques du clergé français les plus rigoristes sur les sujets sociétaux - avortement, contraception, célibat des prêtres, et bien sûr "mariage homosexuel" contre lequel il s'afficha avec détermination -... les défenseurs du cardinal charismatique, emblématique du dialogue inter-religieux et singulièrement dévoué aux pauvres et aux chrétiens massacrés en Orient, peuvent toutefois avancer moult motivations, plus ou moins fondées, plus ou moins fantasmées : non rien, absolument rien ne peut justifier que l'identité d'un homme avant tout meurtri dans sa chair par les pratiques pédophiles d'un représentant ecclésial, soit révélée publiquement et jetée en pâture.

"Franchir le Rubicon" constituerait une faute lourde, une faute inconcevable. Une faute impardonnable, autant de la part d'un directeur de la rédaction que de l'avocat du cardinal.

Faute impardonnable

Faute impardonnable pour un média, qui a pour responsabilité de publier non seulement dans le respect du cadre juridique, mais avec discernement, avec loyauté, avec considération des circonstances, de la nature des faits en jeu et des rapports de force, avec le souci de "peser" l'utilité informationnelle et démocratique de ses révélations.

Et avec pour "arbitre" l'appréhension humaine des enjeux. Ce conditionnement dépasse le champ déontologique et a pour nom éthique.

Faute impardonnable bien sûr aussi pour le diocèse lyonnais, empoisonné par une succession d' "affaires" auxquelles il n'a pas le droit de riposter par l'emploi de pratiques dignes des sombres heures de la France collaborationniste.

Non, il est des circonstances qui exigent des moyens de défense appropriés. La situation de l'archevêché n'est pas celle d'une "vulgaire" et désespérante fraude fiscale orchestrée par un ministre du Budget ; c'est celle de la plus haute hiérarchie d'une institution incarnant la plus haute exigence morale et humaine, et qui est soupçonnée d'attitude élusive voire dissimulatrice à l'endroit de délits pédophiles perpétrés par des hommes exerçant la plus puissante des autorités et le plus asservissant des pouvoirs : spirituels, sur des publics par définition vulnérables.

"Vraie vérité"

La seule défense valable est celle de la "vraie vérité", la vérité moins de l'Homme Philippe Barbarin que du disciple de Dieu. Seul le prêtre Philippe Barbarin, qui réunit ces deux identités - et même une troisième, celle de citoyen, jusque dans un récent passé, auquel le Pape Benoît XVI mit fin, habilement et scandaleusement distinguées par l'Église pour "justifier" l'indicible silence devant l'indicible agissement -, connaît cette "vraie vérité", cette réalité que la justice ne pourra juger que partiellement, qu'incomplètement.

La haute conscience morale dont il est incontestablement pourvu devrait donc conduire l'Archevêque à "prendre ses responsabilités", non dans le sens biaisé employé par le Premier ministre mais dans celui qui honore son double engagement d'homme auprès de Dieu et de justice auprès des hommes.

À ce titre, confiance en son intégrité, son discernement et, si la situation l'impose, en son courage, doit lui être maintenue.

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Commentaires 2
à écrit le 21/03/2016 à 18:12
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Beaucoup de circonvolutions journalistiques pour expliquer que Mgr Barbarin doit prendre ses responsabilités!

à écrit le 21/03/2016 à 18:00
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la chape de plomb de règle dans ce milieu j'ai longtemps travaillé dans ce milieu et même après en être sorti je préfère garder le silence sur mon identité je comprend que l'on ne veuille pas se dévoiler . le curé qui sévissais dans ce diocè...

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