5 ans après sa révolution, la Tunisie doit devenir un hub économique

La recrudescence des manifestations en Tunisie souligne les désillusions post-révolution d'une partie de la jeunesse. La transition a imposé des priorités de nature politiques, délaissant dans un premier temps les problèmes d'ordres économiques. L'enjeu, aujourd'hui, est de conforter la transition politique en Tunisie par une relance économique soutenue, inclusive, créatrice d'emplois et capable de réduire les disparités régionales et de renforcer la solidarité nationale. Par Adel Ben Lagha Consul Général de Tunisie à Lyon

La Tunisie a connu la semaine dernière des manifestations menées par de jeunes chômeurs dans nombre de régions déshéritées de l'intérieur du pays.  La "géographie" de ces émeutes a suscité chez les observateurs un sentiment de déjà-vu et leur a rappelé les événements survenus en janvier 2011 ayant conduit alors à la chute de Ben Ali qui avait gouverné la Tunisie d'une main de fer pendant 23 ans.

5 ans après, l'espoir suscité par la révolution tunisienne a laissé place à la désillusion, notamment auprès des jeunes à la recherche d'emploi. Autant dire que tout, ou presque, reste à faire en Tunisie sur ce plan. Mais rien de surprenant dans tout cela. La transition ayant imposé des priorités de nature politique à l'ordre du jour national, les problèmes d'ordre économiques, aussi urgents et pressants, se sont trouvés relégués au second plan.

Il faut reconnaitre aussi que l'économie tunisienne, héritière d'un modèle de développement ayant déjà montré ses limites dès les années 90 [1], a été sévèrement impactée par le climat d'instabilité qui a régné pendant la transition ainsi que par les événements tragiques qui ont ponctué cette période.

Politique budgétaire expansionniste

Dans un climat post-révolution marqué par de très fortes revendications sociales, les gouvernements qui se sont succédés ont adopté des politiques budgétaires expansionnistes qui ont soumis les finances publiques à de très fortes tensions. Alors que le revenu de l'État n'augmentait que lentement, les dépenses, elles, ont connu une augmentation fulgurante [2]. La facture des subventions a plus que triplé et la masse salariale du secteur public s'est envolée sous l'effet combiné des augmentations salariales et des recrutements effectués. Le financement de cette politique expansionniste a été assuré par des emprunts locaux et internationaux entrainant une forte augmentation de la dette publique [3].

Contexte politique difficile qui impacte l'investissement

Parallèlement, la transition politique, difficile et assez longue, et les tensions politiques, sociales et sécuritaires qui l'ont marquée ont sérieusement affecté le climat de l'investissement et l'activité économique en général ce qui a maintenu le chômage à des niveaux assez élevés (15%), notamment chez les jeunes diplômés (31%) et particulièrement dans les régions de l'intérieur.

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A l'absence de croissance soutenue et au ralentissement de l'investissement, viennent s'ajouter les attaques terroristes perpétrées au Musée de Bardo et à Sousse ayant sévèrement touché le secteur du tourisme qui jusqu'alors assurait environ 400 000 emplois directs et indirects.

L'enjeu, aujourd'hui, est de conforter la transition politique en Tunisie par une relance économique soutenue, inclusive, créatrice d'emplois et capable de réduire les disparités régionales et de renforcer la solidarité nationale.

Un nouveau cadre de développement économique

Ainsi, depuis son investiture en février 2015, le gouvernement issu des élections s'est employé à développer un nouveau cadre de référence pour le développement économique et social du pays, et a élaboré à cet effet un plan de développement quinquennal pour la période 2016-2020 qui s'articule autour de trois  grands axes.

Sur le plan économique, il s'agit de passer d'une économie à faible coût à un hub économique. Sur le plan social, il s'agit de favoriser le développement humain et l'inclusion sociale, tout comme la concrétisation des ambitions des régions. Sur le plan environnemental, il est question de consacrer la durabilité du processus de développement notamment à travers le développement de l'économie verte.

Ces objectifs sont déclinés en programmes d'actions et en projets concrets devant permettre la récupération graduelle de l'activité économique durant les 2 prochaines années, pour concrétiser le décollage économique à partir de 2018. Une grande conférence internationale est prévue lors du second semestre pour présenter aux acteurs internationaux les grands projets structurants prévus dans le cadre de ce plan.

Modernisation de l'administration

De nombreux défis sont à relever dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan. Il s'agit de développer l'effort de l'investissement public et privé  (pour le porter de 18,5% du PIB en 2015, à 25% à horizon 2020), favoriser l'émergence  d'un tissu économique plus diversifié et à contenu technologique élevé, améliorer la qualité du système éducatif en vue d'impulser l'employabilité, améliorer l'infrastructure pour augmenter l'attractivité des régions, développer la décentralisation en jetant les bases de la gouvernance locale.

Il s'agit également de mener les grandes réformes attendues, surtout celles relatives à la modernisation de l'administration, la révision du système des marchés publics, la promulgation du nouveau code d'investissement, la poursuite de la réforme fiscale et celle du secteur financier, ainsi que de l'adoption d'une politique volontaire pour impulser le partenariat public-privé.

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Pour que ce plan de développement apporte les résultats escomptés au niveau de l'emploi et de l'amélioration des conditions de vie, il faut un peu plus de temps. Pour que la Tunisie réussisse dans cette nouvelle épreuve, elle a besoin d'être accompagnée activement (et pas que politiquement) par ses amis et partenaires, maintenant avant qu'il ne soit trop tard, car aux difficultés internes s'ajoutent l'enlisement de la Libye dans la violence et les menaces terroristes qui pèsent désormais sur l'ensemble de la région. L'aide française annoncée vendredi dernier est un pas dans le bon sens et un exemple à suivre.

Malgré le désenchantement qui a gagné les jeunes 5 ans après la révolution, le peuple tunisien, qui a su mener à bon port et avec une extraordinaire résilience la transition démocratique dans un contexte des plus difficiles, une expérience qui a valu à sa société civile, dynamique et mature, un prix Nobel de la Paix,  dispose de tous les atouts de réussite et a toutes les raisons de rester optimiste.

[1] Croissance essentiellement générée par un effet d'accumulation plutôt que de productivité, chômage croissant, stagnation de l'investissement privé national et étranger à des niveaux relativement faibles, forte concentration géographique des exportations vers certains pays de l'Union Européenne, disparités régionales et sociales grandissantes....

[2] Plus de 40% entre 2011 et 2014

[3] Passant de 40,7% du PIB en 2010 à environ 52,8% en 2015

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Commentaire 1
à écrit le 28/01/2016 à 11:21
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Les Tunisiens se sont effectivement bien faits avoir, sur ce coup-là. Notes, ce n'est pas non plus la première pseudo-révolution de cette période submergée par le capitalisme...

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