Attentats de Paris : Dix leçons à tirer de la tragédie

Dominique Wolton, directeur de Recherche au CNRS et directeur de la Revue internationale Hermès revient sur les attentats du 13 novembre. Pour le sociologue, ces actes de barbarie sont de nature à ressouder les peuples pour apporter une réponse citoyenne au-delà de la simple répression politique, judiciaire et militaire. Une réponse que devra porter la jeunesse comme base de la contre-attaque républicaine.

Vendredi soir 13 novembre 2015. Paris - 130 morts, 352 blessés. 6 commandos. Jamais vu. Horreur. Sidération. Un pas de plus dans l'escalade du terrorisme. En mitraillant les terrasses de café et à l'intérieur du Bataclan, salle de spectacle où plus de 1000 personnes assistaient à un concert de rock, c'est tout simplement à la vie que l'on s'attaquait. Dix observations, pour le moment :

1 - Tout le monde est visé.

Ni les juifs ni les journalistes comme à Charlie en janvier à Paris. Non, tous des Français ordinaires, tous les publics sans aucune distinction, et surtout avec la volonté de tuer le plus grand nombre possible de personnes. Le terrorisme de masse. Il suscite un rejet de masse, bien plus violent et unanime qu'en janvier.

2 - C'est la jeunesse qui est pointée.

Avec ce mode de vie parisien, en terrasse, dans les cafés, les bars, avec une certaine cohabitation culturelle et un « art de vivre » à la française. La haine de la vie, de la joie, du bonheur tranquille, de la musique. L'apologie de la mort. L'insupportabilité de l'altérité.

3 - Les démocraties sont fragiles.

On ne peut jamais arrêter totalement le terrorisme, mais depuis quinze jours, le pays se redresse, sans doute plus solidaire, fier d'être lui-même et refusant les amalgames. Peut-être aussi la première victoire contre l'extrême droite. Un désir de se retrouver tous ensemble, quelles que soient les origines et les religions. A preuve la cérémonie d'hommage national du vendredi 27 novembre, la présence des drapeaux français aux fenêtres et un mémorial Place de la République et au Bataclan. Une occasion historique de sortir de la haine et du racisme pour lutter ensemble contre le terrorisme aveugle qui n'est ni religieux, ni politique, mais simplement centré sur la haine de l'autre. Le défi, pour les démocraties est de devoir conjuguer répression et préservation des libertés. Sans oublier une réflexion critique sur un modèle éducatif trop inégalitaire et autocentré.

4 - Les djihadistes endoctrinent des jeunes déracinés dans tous les pays.

Et beaucoup de Français, furent les assassins du 13 novembre. Aucun pays, en tout cas en Europe et au Maghreb n'est à l'abri du recrutement, de l'endoctrinement. C'est le modèle occidental, avec ses forces et ses faiblesses qui est ici haï... Ce modèle qui a souvent trahi ses propres valeurs d'égalité, de respect de l'autre, de promotion et qui reçoit tout cela en boomerang.

5 - L'Etat islamique n'a rien à voir avec l'Islam.

Celui-ci sert de caution. C'est le terrorisme le plus violent de tous ceux qui se sont succédé depuis 40 ans. La victoire doit être d'abord militaire. Les pays musulmans doivent aussi lutter réellement contre ces caricatures de toutes les traditions islamiques. Pas seulement en se désolidarisant, mais en luttant. Sortir des innombrables ambiguïtés qui entourent les liens entre les différentes familles de l'Islam, les pays arabo-musulmans, les terrorismes.

6 - La « guerre » et la politique de répression ne suffisent pas.

Il faut aussi comprendre comment ces terroristes en sont arrivés là. On ne naît pas terroriste, on le devient. Comprendre est la condition de l'action politique. Examiner les causes historiques. Depuis les années 1980, Les Etats-Unis et l'Occident ont contribué à déstabiliser le Moyen-Orient (Iran, Irak, Afghanistan, Syrie, Liban, Yémen...) favorisant les guerres, les terrorismes, les renversements d'alliances religieuses, les politiques de bouc émissaire... Le résultat est un désordre politique, militaire, culturel, et religieux qui a favorisé plusieurs vagues de terrorisme... et d'extrême droite.

7 - L'islam radical a aussi profité de la paupérisation de la jeunesse liée à l'immigration en Europe de l'Ouest et à la panne de l'ascenseur social et culturel.

Les inégalités économiques et sociales, et un certain apartheid ont créé les conditions favorables au recrutement de jeunes, souvent très jeunes, extrêmement lucides sur la réalité de ces réelles exclusions. Autrement dit les inégalités économiques et sociales jouent un rôle politique aussi important que les facteurs religieux dans cette fascination pour la haine de l'autre, la guerre, la pureté. La religion n'explique pas tout, loin de là. Et par ailleurs la mondialisation de l'information permet à chacun de tout voir et de tout savoir. Les médias et les réseaux sociaux deviennent des accumulateurs de rumeurs, de haine et de renfermements communautaristes.

8 - Il est dangereux de parler de guerre pour ces actes terroristes, même si cela permet d'indiquer leur violence.

Mais la guerre est entre Etats avec des armées et des menaces collectives pour les civils. Reprendre ce mot pour des terroristes c'est justifier DAESH qui se veut un Etat ! Il faut préserver une précision sémantique et certaine modestie. Faire la guerre au terrorisme, oui. Dire que c'est une guerre c'est se tromper de proportion. Qu'en est-il alors de l'Irak, de la Syrie... ? C'est inquiéter encore plus les populations. La lutte contre le terrorisme sera longue hélas, mais il ne faut pas lui donner la légitimité, disproportionnée, d'une guerre entre Etats. Qu'y a-t-il comme autre mot, si l'on appelle guerre la lutte contre le terrorisme ? C'est le légitimer encore plus.

9 - La répression, indispensable ne suffit pas.

Il faut une politique offensive, optimiste, car les démocraties disposent d'atouts considérables dès lors qu'elles ont confiance en elles et elles savent mener une autre action. Ces actes de barbarie ressoudent les peuples, malgré tous leurs conflits internes autour de valeur d'identité et de solidarité qui permettent d'aller au-delà de la répression politique, judiciaire et militaire.

10 - Trois raisons d'être optimiste :

C'est la jeunesse qui était visée, massacrée. C'est la jeunesse qui est la base de la contre-attaque. Avec le rejet violent du racisme et de la barbarie. Avec la recherche d'une solidarité, le refus de l'amalgame entre islam et djihadiste et l'acceptation de refonder à son tour la démocratie. Le terrorisme devait diviser et tuer. Il renforce l'unité nationale, affaiblit le racisme, valorise la tolérance et surtout permet de retrouver enfin une jeunesse trop souvent insuffisamment mise en valeur.

L'Europe. La solidarité y est réelle malgré les divergences nationales, d'analyses, liées aux histoires différentes. Profiter de cette tragédie pour renforcer l'union. Aller plus loin dans l'intégration politique, militaire, culturelle. Une Europe fière de ses forces et de ses incontournables différences, et qui défend ses valeurs communes. Oser défendre notamment un certain modèle démocratique qui maintient le régime de droit, la tolérance et le respect de l'autre. Une occasion de revenir sur la crise des réfugiés. Refuser les amalgames, être fidèle à ses valeurs démocratiques et accueillir mieux ces réfugiés si proches de nous et dont le drame est directement en lien avec les erreurs politiques faites par tous depuis une génération. Arrêter de faire de l'Europe un bunker démocratique. Retrouver les traditions d'une Europe ouverte aux autres et qui d'ailleurs n'est elle-même que le résultat de flux migratoires sur plusieurs siècles. L'immigré est une chance, pas un problème. Pour l'Europe comme pour l'humanité. Tout le monde, à deux, ou trois générations est un immigré.

Revaloriser le concept de société multiculturelle. Le Benelux, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France sont depuis des générations des pays multiculturels. Pourquoi ne pas assumer cette richesse politique et culturelle ? Parce que l'extrême droite a intoxiqué toute l'Europe par son discours de la haine de l'autre, depuis une génération. Les forces politiques traditionnelles de droite et de gauche n'ont jamais eu le courage d'argumenter et de défendre cette réalité multiculturelle. Réalité qui est une chance, jamais un handicap. Le silence et la méfiance à l'égard de l'autre, le rejet, se sont installés.

D'ailleurs ces événements tragiques, comme tous les autres depuis 30 ans, ont montré à chaque fois combien ces populations issues de l'immigration sont les meilleurs défenseurs de nos valeurs démocratiques ! Et ce sont souvent les « nationaux » qui le plus souvent les trahissent. Les immigrés sont moins racistes que ceux qui n'arrêtent pas de défendre une « identité ». Identité qui n'est d'ailleurs jamais menacée ! Les populations multiculturelles nous donnent des leçons de civisme, de démocratie, de tolérance. A cet égard, refuser tout amalgame entre islam, islamisme, terrorisme, est essentiel pour l'avenir. Faire confiance. Et favoriser ce concept de cohabitation culturelle , indispensable pour légitimer cette nouvelle histoire du modèle de la démocratie...

C'est-à-dire apprendre à respecter toutes les racines culturelles et religieuses de son identité. Ce qui n'a rien à voir avec le nationalisme hostile d'hier. Avec comme boussole une laïcité de tolérance qui évite de rejeter l'autre et permet cette cohabitation respectueuse des uns et des autres. Renforcer le modèle multiculturel en Europe n'est-ce pas exactement ce qui est au cœur de son modèle politique ? C'est-à-dire apprendre à tricoter ensemble diversité culturelle et démocratie.

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Commentaires 4
à écrit le 03/12/2015 à 17:51
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"L'Etat islamique n'a rien à voir avec l'Islam." Voilà la petite musique qui recommence. Eh bien NON . "Oui, ça a à voir avec l’islam!" Par Abdellah Tourabi Ce sont les musulmans eux mêmes qui le disent . "Les fanatiques qui se réclament de Da...

à écrit le 01/12/2015 à 15:11
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Si l'on regarde l'actualité dans le monde depuis 50 ans , on n'est obligé de reconnaître qu'il s'agit de l'Islam qui est en guerre entre les conservateurs et les réformateurs .

à écrit le 01/12/2015 à 14:25
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Ah!si on n'avait pas des directeurs de recherche du CNRS!!! Encore un qui cherche, qui ne trouve que des banalités et qui vit dans son petit monde fait d'angelisme remunere par l'État.il devrait sortir de son bureau

à écrit le 01/12/2015 à 12:15
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C'est un sociologue tout est expliqué par le prisme des dominants/dominés vieux réflexe hérité de la culture marxiste qui n'explique pas pourquoi des pays prospèrent grâce a la technologie de l'Occident, avec une population très riches comme les mona...

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